Face aux aléas économiques, aux crises conjoncturelles ou aux événements exceptionnels, les entreprises doivent parfois recourir à des mesures temporaires pour préserver leur stabilité sans rompre les contrats de travail. Parmi ces dispositifs, le chômage partiel – ou activité partielle – occupe une place centrale dans le droit du travail contemporain. Il permet de réduire ou suspendre temporairement l’activité des salariés, tout en assurant une protection financière minimale grâce à une indemnisation partiellement prise en charge par l’État.
Cependant, son application aux cadres soumis au forfait jours soulève des questions juridiques particulières. En effet, contrairement aux salariés dont le temps de travail est décompté en heures, les cadres au forfait jours ne sont pas soumis à la durée légale hebdomadaire de 35 heures, mais à un nombre annuel de jours travaillés fixé par convention ou accord collectif. Or, le mécanisme d’activité partielle repose sur un calcul horaire des heures chômées et indemnisées. Cette différence de logique entre deux modes de décompte du travail nécessite une adaptation rigoureuse du calcul et du versement de l’indemnité.
L’article L5122-1 du Code du travail précise que tous les salariés, y compris ceux au forfait jours, peuvent bénéficier de l’activité partielle dès lors qu’ils subissent une réduction de leur activité imputable à l’employeur. Pourtant, dans la pratique, la mise en œuvre du dispositif pour ces profils autonomes soulève des interrogations complexes : comment convertir les jours non travaillés en heures indemnisables ? Comment s’articule l’indemnité avec les jours fériés ou les congés payés ? Quelles limites s’imposent à l’employeur ?
À travers cet article, defendstesdroits.fr propose une analyse approfondie du chômage partiel appliqué aux cadres au forfait jours, en s’appuyant sur les textes du Code du travail, la jurisprudence sociale et les derniers décrets d’application. Il s’agit de comprendre comment ce dispositif s’adapte à un statut singulier, situé à la frontière entre le salariat classique et l’autonomie managériale, tout en garantissant les droits fondamentaux du travailleur.
L’objectif est double : sécuriser juridiquement la pratique de l’employeur et informer les cadres sur leurs droits à indemnisation, dans un contexte où flexibilité et sécurité doivent coexister sans déséquilibre.
L’activité partielle, également appelée chômage partiel ou chômage technique, est un mécanisme prévu aux articles L5122-1 et suivants du Code du travail, permettant à une entreprise de réduire ou de suspendre temporairement l’activité de tout ou partie de ses salariés, en raison de circonstances exceptionnelles : difficultés économiques, pénuries d’approvisionnement, sinistres, intempéries, ou encore transformation, restructuration ou modernisation de l’entreprise.
Le dispositif vise à éviter les licenciements économiques, en maintenant le contrat de travail et une partie de la rémunération. Pendant cette période, le contrat est suspendu mais non rompu : le salarié reste juridiquement lié à l’entreprise et bénéficie d’une indemnité d’activité partielle versée par l’employeur, qui est ensuite remboursé par l’État via l’Agence de services et de paiement (ASP).
L’activité partielle s’applique à tous les salariés, y compris ceux soumis à un forfait en jours ou en heures (article D5122-15 du Code du travail), même lorsque le chômage partiel se traduit par un arrêt complet de travail. Cela inclut donc les cadres autonomes dont le temps de travail est défini en nombre de jours travaillés sur l’année.
Le forfait jours est une modalité de décompte du temps de travail permettant de fixer la durée du travail non pas en heures mais en nombre de jours travaillés sur l’année. Ce régime, encadré par les articles L3121-58 à L3121-65 du Code du travail, concerne principalement les cadres disposant d’une autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps.
Or, le dispositif d’activité partielle repose sur une indemnisation horaire. Ce décalage entre le décompte en jours et le calcul en heures a nécessité la mise en place d’un référentiel de conversion précisé par l’article D5122-15 du Code du travail :
Ainsi, pour un salarié en forfait jours placé en chômage partiel, les jours d’inactivité doivent être convertis en heures afin de déterminer le nombre d’heures indemnisables.
Exemple :
Si un cadre au forfait jours ne travaille pas pendant deux semaines, son indemnisation portera sur 70 heures non travaillées (35 x 2).
L’indemnité d’activité partielle correspond à 60 % de la rémunération horaire brute du salarié, soit environ 72 % du salaire net horaire, conformément à l’article R5122-18 du Code du travail. Ce taux est identique pour les salariés au forfait jours, sauf dispositions conventionnelles plus favorables.
Le montant horaire ne peut être :
Cette indemnité est versée par l’employeur, qui perçoit ensuite une allocation équivalente de l’État. Si la convention collective applicable prévoit un taux supérieur, l’employeur doit s’y conformer.
Les cadres au forfait jours, souvent mieux rémunérés, subissent donc un écart de revenu temporaire, puisque leur indemnisation est plafonnée. Toutefois, certaines conventions collectives prévoient un complément d’indemnisation afin de maintenir un niveau de salaire plus proche du revenu habituel.
Prenons le cas d’un cadre au forfait annuel de 218 jours, rémunéré 5 700 € bruts mensuels.
Son taux horaire est calculé ainsi :
5 700 € ÷ (218 jours × 7 h) ≈ 3,73 € par heure.
Si l’entreprise connaît une période de chômage partiel de deux semaines, soit 70 heures non travaillées, l’indemnisation se calcule comme suit :
70 h × 3,73 € × 60 % = 156,66 € brut versés au titre du chômage partiel.
Ce montant, versé par l’employeur, est ensuite remboursé par l’État selon les modalités prévues à l’article R5122-19 du Code du travail.
Lorsqu’un jour férié non travaillé tombe pendant une période de chômage partiel, il doit être converti en heures (7 heures) puis déduit du nombre d’heures indemnisables.
Ainsi, un cadre bénéficiant de trois mois d’ancienneté (article L3133-3 du Code du travail) percevra 100 % de sa rémunération pour ce jour férié, tandis que les autres jours non travaillés seront indemnisés à 60 %.
Exemple :
Une semaine d’activité partielle comprenant un jour férié non travaillé correspondra à 28 heures indemnisées (35 - 7) à 60 %, les 7 heures fériées étant rémunérées intégralement.
En revanche, si le jour férié est habituellement travaillé dans l’entreprise, il sera pris en compte au titre des heures chômées et donc indemnisé à 60 %.
Lorsqu’un salarié au forfait jours pose un congé payé ou un jour de repos (RTT) durant une période de chômage partiel, ce jour est rémunéré intégralement et non comptabilisé dans le calcul des heures indemnisables.
La règle de conversion s’applique également : 1 jour de congé = 7 heures à déduire des heures chômées (article D5122-15 du Code du travail).
Ainsi, si un cadre pose un jour de congé au cours d’une semaine de 35 heures d’activité partielle, seules 28 heures seront indemnisées à 60 %, et les 7 heures de congé seront payées à 100 %.
Ce mécanisme empêche le salarié d’être doublement indemnisé et assure la neutralité financière du dispositif.
Il convient de distinguer les cadres autonomes en forfait jours des cadres dirigeants.
Ces derniers, en raison de leur position hiérarchique et de leur pouvoir de décision, ne sont pas éligibles à l’activité partielle (article L3111-2 du Code du travail).
Ils ne sont donc pas concernés par le dispositif d’indemnisation, sauf si un texte spécifique ou un accord interne élargit exceptionnellement le champ d’application.
L’employeur souhaitant recourir au chômage partiel doit :
En cas de fraude ou de déclaration inexacte, l’entreprise s’expose à des sanctions administratives et pénales, notamment le remboursement des allocations perçues et des amendes prévues à l’article R5124-5 du Code du travail.
La jurisprudence a précisé à plusieurs reprises les conditions d’application du chômage partiel aux cadres au forfait jours :
Ces précisions soulignent la volonté du législateur et du juge de garantir un traitement équitable entre salariés, tout en tenant compte de la spécificité du statut des cadres.
Le régime du chômage partiel des cadres au forfait jours illustre la complexité du droit du travail français face à la diversité des statuts et des formes d’organisation du temps de travail. Conçu initialement pour répondre aux difficultés économiques passagères, le dispositif a évolué pour s’adapter à l’ensemble des catégories de salariés, y compris les cadres autonomes, dont la gestion du temps échappe au cadre horaire traditionnel.
Cette extension du champ d’application repose sur un principe d’équité : tout salarié subissant une réduction ou une suspension de son activité, quel que soit son mode de décompte du travail, doit pouvoir bénéficier d’une compensation financière. Cependant, la transposition pratique de ce principe suppose un travail de conversion rigoureux entre jours et heures, afin d’éviter toute inégalité de traitement ou erreur d’indemnisation. L’article D5122-15 du Code du travail, en fixant un référentiel horaire (1 jour = 7 heures, 1 demi-journée = 3h30), permet de rétablir une cohérence technique, mais ne supprime pas pour autant les risques de mauvaise application par les entreprises.
Pour l’employeur, le dispositif exige une vigilance administrative et juridique accrue : justification des heures chômées, respect des plafonds d’indemnisation, consultation du Comité social et économique (CSE) et conservation des documents de suivi. Pour le salarié, il représente un outil de protection du revenu et une garantie de continuité du contrat, même en période de ralentissement d’activité.
Mais au-delà des chiffres et des barèmes, l’activité partielle soulève une question de fond : comment concilier flexibilité économique et sécurité juridique ? L’enjeu pour le droit du travail moderne n’est pas seulement de compenser les pertes de salaire, mais de repenser les cadres de l’emploi face à des modèles d’organisation de plus en plus hybrides – télétravail, autonomie, objectifs plutôt qu’horaires.
Ainsi, le chômage partiel des cadres au forfait jours s’impose comme un symbole de l’adaptation du droit aux réalités économiques contemporaines. Il consacre une vision équilibrée du salariat : celle d’un modèle capable d’évoluer, sans renoncer à ses principes essentiels – la protection du travailleur, la transparence de la rémunération, et le respect de la dignité professionnelle dans toute circonstance.
Oui. Contrairement à une idée reçue, le chômage partiel s’applique bien aux salariés en forfait jours, conformément à l’article D5122-15 du Code du travail. Le dispositif d’activité partielle ne distingue pas selon le mode de décompte du temps de travail : il concerne tous les salariés, qu’ils soient soumis à un horaire hebdomadaire ou à un forfait annuel en jours ou en heures.
Toutefois, pour les cadres au forfait jours, le calcul ne peut se faire directement en heures travaillées puisque leur contrat fixe un nombre de jours travaillés dans l’année (souvent 218). Pour compenser cette différence, la loi prévoit un référentiel de conversion :
Ainsi, un cadre placé en activité partielle pendant 10 jours sera indemnisé sur la base de 70 heures non travaillées (10 × 7). Ce mécanisme permet d’assurer une égalité de traitement entre salariés tout en respectant la spécificité du forfait jours.
À noter : les cadres dirigeants, visés à l’article L3111-2 du Code du travail, ne peuvent pas bénéficier de l’activité partielle, car ils exercent des fonctions impliquant une indépendance complète dans l’organisation de leur emploi du temps et dans la fixation de leur rémunération.
L’indemnité d’activité partielle est calculée sur la base des heures non travaillées après conversion. Elle correspond à 60 % du salaire horaire brut, dans la limite d’un plafond fixé par décret (article R5122-18 du Code du travail). Ce plafond est de 32,08 euros par heure chômée en 2025.
Ainsi, pour déterminer l’indemnité, il faut procéder en plusieurs étapes :
Exemple :
Un cadre au forfait jours perçoit 5 600 € bruts mensuels. Si son entreprise est fermée pendant 2 semaines (soit 70 heures chômées), son indemnisation sera :
5 600 ÷ 151,67 (base horaire moyenne) × 60 % × 70 = environ 1 550 € bruts d’indemnité d’activité partielle.
Certaines conventions collectives prévoient une indemnisation complémentaire prise en charge par l’employeur, permettant d’atteindre jusqu’à 75 % ou 80 % du salaire net. Il est donc essentiel de consulter sa convention de branche pour connaître les dispositions applicables.
Enfin, cette indemnité est exonérée de cotisations sociales (sauf CSG/CRDS) et soumise à l’impôt sur le revenu.
Les règles relatives aux jours fériés pendant l’activité partielle sont fixées par les articles L3133-1 à L3133-3 du Code du travail.
Deux situations doivent être distinguées :
Exemple :
Un cadre au forfait jours bénéficie de 35 heures indemnisées au titre du chômage partiel pour une semaine donnée. Si le 1er mai tombe cette semaine et qu’il s’agit d’un jour habituellement non travaillé, l’employeur doit déduire 7 heures du calcul, ramenant l’indemnisation à 28 heures chômées.
Cette distinction permet d’éviter une double indemnisation tout en garantissant la continuité des droits liés aux jours fériés.
Lorsqu’un salarié en forfait jours pose un congé payé, un RTT ou un jour de repos pendant une période d’activité partielle, ces jours ne sont pas indemnisés au titre du chômage partiel. En revanche, ils restent intégralement rémunérés à 100 % par l’employeur.
Le principe est simple : un jour de congé posé équivaut à 7 heures non indemnisables. Ces 7 heures doivent être déduites du volume total d’heures chômées.
Exemple :
Si une entreprise ferme temporairement une semaine (35 heures de chômage partiel) et qu’un salarié pose 1 jour de congé payé, seules 28 heures seront indemnisées à 60 %, et les 7 heures de congé seront payées à 100 %.
Ce mécanisme vise à éviter le double paiement et à préserver la logique du dispositif. Par ailleurs, les congés payés posés pendant cette période ne modifient pas les droits à congés futurs du salarié.
Attention : l’employeur ne peut pas imposer la prise de congés pendant une période de chômage partiel sans accord collectif ou délai de prévenance légal.
L’employeur doit suivre une procédure stricte prévue aux articles R5122-1 à R5122-5 du Code du travail.
Les obligations principales sont :
Les sanctions en cas de non-respect de ces obligations sont lourdes :
L’inspection du travail dispose d’un droit de contrôle renforcé sur les entreprises recourant massivement au dispositif. Les cadres au forfait jours doivent donc s’assurer que les périodes déclarées comme chômées correspondent bien à une réduction effective de leur charge de travail, sans maintien d’activité masquée.