Dans un contexte de mobilité internationale croissante, de nombreux couples, familles recomposées ou individus se tournent vers l’adoption d’enfants à l’étranger. L’objectif est souvent d’offrir à un mineur un foyer stable, aimant, et de lui permettre d’acquérir un nouveau statut familial.
Cependant, le chemin menant à la reconnaissance pleine et entière de cette adoption par l’État français est semé d’obstacles juridiques.
Parmi ces étapes essentielles figure la procédure d’exequatur, soit la reconnaissance en France d’un jugement étranger.
Lorsqu’il s’agit d’une décision étrangère d’adoption, le contrôle du juge français revêt une importance cruciale : il ne s’agit pas simplement d’apposer un cachet officiel, mais de s’assurer de la régularité internationale du jugement, de la conformité à l’ordre public, du respect des droits fondamentaux de l’enfant, et de la validité du consentement des parents biologiques ou de ses représentants légaux.
Cet article vise à éclairer les différentes facettes du contrôle exercé par le juge français lors de l’exequatur d’un jugement étranger d’adoption, en s’appuyant sur les grands principes du droit international privé, les textes législatifs applicables et la jurisprudence récente, dont un arrêt de la Cour de cassation du 11 décembre 2024.
Nous analyserons les conditions requises, la notion d’ordre public international, l’importance de la motivation du jugement étranger, ainsi que les conséquences pratiques pour les familles et leurs conseils juridiques. L’enjeu de cette procédure n’est pas simplement formel : c’est la garantie que l’adoption a été prononcée en tenant compte de l’intérêt supérieur de l’enfant, dans le respect des normes légales et éthiques.
L’exequatur est la procédure par laquelle un jugement rendu par une juridiction étrangère peut être reconnu et rendu exécutoire sur le territoire français.
Dans le cas d’une adoption, cette reconnaissance se matérialise par la transcription de la décision sur les registres de l’état civil français. Toutefois, la reconnaissance d’un jugement d’adoption étranger ne peut se faire automatiquement.
Le juge français est tenu de vérifier la régularité internationale de la décision avant d’en autoriser l’exécution ou d’en faire produire effet.
Pourquoi un tel contrôle ?
Le domaine de l’adoption engage des considérations particulièrement sensibles. Il ne s’agit pas uniquement de valider un lien juridique entre un parent adoptif et un enfant, mais d’entériner le changement d’identité familiale, la rupture du lien avec les parents biologiques, ainsi que la transmission de droits successoraux. Dès lors, la France, tout en favorisant le respect des décisions étrangères, entend s’assurer que ces adoptions répondent aux standards de protection de l’enfant et aux exigences de l’ordre public international.
La procédure d’exequatur est régie par les principes du droit international privé français.
Le principal texte encadrant cette matière est l’article 509 du Code de procédure civile. Celui-ci prévoit qu’un jugement étranger, pour être reconnu en France, doit répondre à certaines conditions, notamment :
À ce triptyque de conditions s’ajoute la nécessité d’une décision étrangère au minimum compréhensible. En d’autres termes, soit le jugement est motivé, soit des éléments extérieurs suffisent à éclairer le juge français sur les circonstances de l’adoption, le consentement et les garanties procédurales.
L’un des critères pivots lors de l’examen d’une décision étrangère d’adoption est le respect de l’ordre public international. En droit français, cette notion renvoie à l’ensemble des règles essentielles considérées comme intangibles. Lorsqu’il s’agit d’adoption, ce standard s’articule notamment autour :
Si la décision étrangère ne présente aucune motivation, le juge français doit pouvoir disposer de documents complémentaires (comme la requête introductive d’instance, les procès-verbaux d’auditions, ou un certificat de coutume dûment établi par une autorité indépendante) permettant de reconstituer la logique suivie par le tribunal étranger.
Sans ces éléments, l’adoption étrangère pourrait être perçue comme arbitraire, vidée de toute vérification des consentements et des conditions légales, ce qui heurterait l’ordre public international.
Dans un arrêt rendu le 11 décembre 2024, la Cour de cassation a souligné l’importance de disposer d’un minimum de substance permettant au juge français d’exercer son contrôle. Un jugement d’adoption étranger non motivé pose un problème majeur :
La motivation n’est pas une formalité vide de sens. Elle permet de s’assurer que l’autorité étrangère a examiné la situation de l’enfant, qu’elle a vérifié l’authenticité du consentement des parents biologiques, qu’elle a respecté les conditions légales du pays d’origine, et qu’elle n’a pas violé de droits fondamentaux. En l’absence de toute indication, le risque est de valider une adoption qui n’aurait pas été prononcée dans des conditions éthiques et légales conformes aux valeurs défendues par le droit français.
Lorsqu’un jugement n’est pas motivé, il incombe à la partie qui sollicite l’exequatur de fournir les éléments nécessaires. Ces éléments peuvent être :
Attention toutefois à la qualité de ces documents.
Des attestations simplement signées par un avocat mandaté par l’adoptant, rédigées a posteriori et destinées à convaincre le juge français, peuvent ne pas suffire. Elles risquent d’être considérées comme partiales ou dépourvues de toute garantie d’objectivité. Le juge exige la présentation de pièces qui permettent un réexamen objectif de la procédure étrangère.
Au cœur du contrôle du juge français se trouve l’intérêt supérieur de l’enfant.
L’adoption internationale implique souvent la rupture du lien avec les parents biologiques et leur consentement doit être clairement établi. Le juge français n’exige pas que le consentement soit donné selon les formes prévues par le droit français, mais qu’il soit bien réel, éclairé et libre. Sans une telle preuve, la légitimation du nouveau lien filial ne peut être garantie.
De même, l’intérêt supérieur de l’enfant exige de connaître les conditions dans lesquelles l’adoption s’est déroulée. L’enfant a-t-il fait l’objet d’un abandon volontaire, d’un projet d’adoption mûri par les parents biologiques, ou a-t-il été confié à l’adoptant par une procédure officielle de protection de l’enfance ? Le juge français ne se substitue pas au juge étranger pour réexaminer le fond du dossier, mais il doit pouvoir vérifier qu’aucune atteinte majeure aux droits de l’enfant ou à ceux de ses parents n’a été commise.
Si la compétence du tribunal étranger et l’absence de fraude semblent souvent plus aisées à établir, elles restent des conditions nécessaires.
Le pays qui a rendu la décision doit être légitimement concerné par la situation.
Par exemple, le juge étranger est compétent si l’enfant réside sur son territoire, ou si l’adoptant est établi dans le pays. À défaut, la France pourrait y voir une manœuvre consistant à « choisir » une juridiction particulièrement permissive, aux dépens de l’intérêt de l’enfant ou du respect des normes éthiques.
Quant à l’absence de fraude, elle garantit que l’adoption ne constitue pas un moyen détourné de contourner les lois françaises sur l’adoption, par exemple en tentant de faire reconnaître en France une forme d’adoption interdite en droit interne.
Le juge français veille donc à s’assurer qu’il ne valide pas une opération dont le but serait de fragiliser l’édifice juridique national en matière d’adoption.
Pour les familles adoptantes, la perspective de se voir refuser l’exequatur d’une décision étrangère peut représenter un choc majeur. Au-delà de la déception et de l’impact psychologique, un refus d’exequatur met en péril la stabilité juridique de la relation parent-enfant en France. Pour éviter cette situation, il convient d’anticiper les exigences françaises, d’obtenir des documents pertinents lors de la procédure dans le pays d’origine, et de constituer un dossier complet avant de saisir le juge français.
Pour les avocats et conseils juridiques, il est impératif d’orienter leurs clients vers une préparation méticuleuse. Il s’agit notamment de :
Pour sécuriser l’exequatur d’un jugement d’adoption étranger, il est conseillé de mettre en place, en amont, une véritable stratégie de conformité. Parmi les bonnes pratiques :
Avec la mondialisation, l’adoption internationale se transforme et s’inscrit dans un paysage juridique mouvant. Les législateurs, les juridictions suprêmes et les organisations internationales s’attachent de plus en plus à harmoniser les standards, à lutter contre le trafic d’enfants et à garantir que l’intérêt supérieur de l’enfant demeure la pierre angulaire de toute procédure adoptive.
La France, par sa tradition juridique et son engagement en faveur des droits de l’enfant, impose un contrôle exigeant lorsqu’il s’agit de reconnaître en son sein une adoption prononcée à l’étranger.
Ce contrôle, loin d’être une simple formalité, répond à une exigence éthique et juridique forte : celle de s’assurer que chaque enfant adopté le soit dans des conditions respectueuses de sa dignité, de son identité, et de sa sécurité affective et juridique.
Le parcours vers la reconnaissance d’un jugement étranger d’adoption est complexe, mais nécessaire.
Le juge français, garant de l’ordre public international, doit s’assurer que la décision étrangère respecte les principes fondamentaux du droit et de l’éthique. Ce contrôle, bien que strict, n’est pas un obstacle gratuit aux familles désireuses de voir leur situation reconnue en France.
Il constitue au contraire une assurance que l’adoption internationale, pratique délicate et profondément humaine, s’effectue dans les meilleures conditions légales et morales possibles.
Pour les adoptants comme pour les professionnels du droit, l’anticipation, la compréhension des exigences françaises, la production de documents complets et objectifs, sont les clés d’un exequatur réussi. À terme, ces exigences rappellent que l’adoption n’est pas un acte banal, mais un engagement profond envers un enfant, nécessitant une sécurité juridique infaillible et une reconnaissance pleinement justifiée.
En définitive, le contrôle du juge français ne se réduit pas à une formalité procédurale : il incarne l’exigence de transparence, de légalité et de protection des intérêts de l’enfant. Cette vigilance sert de garant, aux yeux de la société et de la communauté internationale, de la légitimité des adoptions prononcées au-delà des frontières nationales.
1. L’exequatur est-elle nécessaire pour toutes les adoptions prononcées à l’étranger ?
L’exequatur est indispensable dès lors que la décision d’adoption rendue à l’étranger doit produire ses effets en France, notamment pour établir définitivement la filiation adoptive, permettre l’inscription sur les registres de l’état civil français, ou encore faire valoir les droits successoraux de l’enfant. Toutefois, si l’adoption étrangère ne nécessite pas de mesures d’exécution ou de coercition en France, et que sa régularité n’est pas contestée, la mention sur l’état civil peut parfois se faire sans déclaration d’exequatur. Dans tous les cas, mieux vaut se renseigner auprès d’un avocat spécialisé pour vérifier la procédure à suivre.
2. Quels types de documents peuvent pallier l’absence de motivation du jugement d’adoption étranger ?
En l’absence de motivation formelle dans le jugement étranger, il est essentiel de fournir des éléments équivalents permettant de comprendre les circonstances de l’adoption. Il peut s’agir de :
3. Comment démontrer que le consentement des parents biologiques ou des représentants légaux a été libre et éclairé ?
Pour établir la validité du consentement, il faut idéalement des documents officiels et circonstanciés. Par exemple :
4. Que faire si le juge français estime que la décision étrangère heurte l’ordre public international ?
Si le juge français conclut que l’adoption étrangère contrevient aux principes essentiels de l’ordre public international – par exemple, en raison du manque d’informations, de l’absence de garanties procédurales, ou de doutes sur le consentement – il refusera l’exequatur. Dans ce cas, l’adoptant pourra tenter de compléter son dossier avec de nouveaux éléments de preuve, ou engager une nouvelle procédure dans le pays étranger pour obtenir une décision plus conforme aux exigences françaises. L’accompagnement par un avocat spécialisé est alors vivement recommandé afin de déterminer la stratégie la plus adaptée.
5. Comment anticiper les exigences de l’exequatur lors de la procédure d’adoption à l’étranger ?
L’anticipation est la clé d’un exequatur réussi. Avant même d’entamer les démarches à l’étranger, il est conseillé de :