Depuis plusieurs années, les entreprises françaises sont confrontées à une évolution préoccupante : l’augmentation des arrêts maladie, la fréquence des maladies professionnelles et la persistance d’un nombre élevé d’accidents du travail, dont certains mortels. Cette réalité s’inscrit dans un contexte socio-économique complexe, marqué par le vieillissement de la population active, la transformation des conditions de travail, l’évolution des mentalités sur le rapport au travail et un durcissement du cadre réglementaire.
Le droit du travail français impose à l’employeur une obligation de sécurité renforcée, tant sur le plan préventif que curatif, conformément à l’article L4121-1 du Code du travail. Or, face à une sinistralité professionnelle encore trop élevée – en particulier dans certains secteurs d’activité –, l’enjeu n’est plus seulement de se conformer à la loi : il s’agit de repenser profondément l’organisation du travail pour préserver la santé des salariés, prévenir les risques psychosociaux et garantir la continuité économique.
Cette problématique dépasse la simple gestion des absences. Elle questionne l’efficacité des politiques de prévention, l’adéquation des moyens de l’entreprise avec ses obligations juridiques, mais aussi l'équité d'accès à la protection sociale entre salariés selon leur contrat, leur ancienneté ou la taille de leur entreprise. Quels sont les ressorts juridiques, statistiques et humains de cette dynamique ? Comment les entreprises peuvent-elles (et doivent-elles) y faire face ?
Alors que l’année 2023 marque un léger recul du taux global d’absentéisme maladie, les données doivent être interprétées avec prudence. En effet, selon les dernières statistiques de la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES) et de la Caisse nationale de l’assurance maladie (CNAM), le nombre d’arrêts maladie a baissé de 12,5 % par rapport à 2022. Toutefois, cette diminution s'explique principalement par une réduction du nombre de salariés ayant eu un ou plusieurs arrêts, sans que cela ne traduise une amélioration structurelle de la santé au travail.
Le rapport annuel de l’Assurance maladie - Risques professionnels souligne notamment que les maladies professionnelles ont augmenté de 7,1 %, tandis que les accidents de trajet sont en hausse de 5,1 %. À l'inverse, seuls les accidents du travail sans trajet connaissent un recul de 1,5 %.
L’absentéisme, qu’il soit lié à des arrêts maladie ou à des accidents du travail, perturbe directement le fonctionnement interne de l’entreprise. Sur le plan humain, la charge de travail des salariés présents augmente significativement, accentuant les risques psychosociaux, notamment le stress chronique et l’épuisement professionnel. Ce phénomène peut mener à un effet domino, où les salariés en poste deviennent à leur tour vulnérables.
En matière financière, les coûts sont également substantiels : indemnités journalières, maintien de salaire (obligatoire dans certaines conventions collectives), recrutement de remplaçants, réorganisation temporaire... autant de dépenses qui grèvent la rentabilité de l’entreprise. À cela s’ajoute un coût indirect : perte de performance, baisse de qualité de service, insatisfaction client et atteinte potentielle à l’image de l’entreprise.
Selon l’Assurance maladie, bien que les hommes soient plus nombreux dans l’emploi salarié (53 %), les femmes représentent la majorité des sinistres dans certaines catégories, notamment :
Cette différence s’explique en partie par la segmentation sexuée des emplois, mais aussi par la spécificité des tâches accomplies, même dans un même secteur d’activité. Cette donnée invite les employeurs à adapter leurs plans de prévention selon le genre, conformément aux principes posés par l’article L4121-1 du Code du travail, qui impose une évaluation des risques tenant compte des caractéristiques propres à chaque poste.
Autre fait saillant : la durée des arrêts maladie est plus longue chez les seniors, en lien avec des pathologies chroniques ou des troubles accumulés avec l'âge. Le rapport WTW 2024 révèle également un écart net entre les types de contrat : 2,1 % de taux d’absentéisme chez les salariés en CDD contre 5 % chez ceux en CDI, illustrant l’influence du statut sur la fréquence des absences.
Les données officielles de l’Assurance maladie sont sans équivoque : 759 décès par accident du travail ont été enregistrés en 2023 (contre 738 en 2022), dont plus de la moitié sont liés à des malaises. Les décès liés à des causes externes – chutes, écrasements, collisions – ont aussi progressé de 176 à 193 cas. Ces chiffres ne tiennent pas compte des 332 décès par accident de trajet, dont 240 d’origine routière.
Les secteurs les plus touchés par les accidents de travail sont bien connus :
Les jeunes travailleurs de moins de 25 ans et les salariés intérimaires ou sous-traitants sont surreprésentés parmi les victimes, comme le souligne l’étude conjointe de la Dares et du ministère du Travail (2022). Le recours à la sous-traitance expose à une externalisation des risques professionnels, aggravée par des facteurs tels que le manque de formation, la pression des délais, ou encore la méconnaissance des procédures de sécurité.
Conformément aux articles L4121-1 à L4121-5 du Code du travail, l’employeur est tenu à une obligation de sécurité de résultat en matière de santé physique et mentale. Cette obligation impose :
Le manquement à cette obligation peut engager la responsabilité civile ou pénale de l’employeur, notamment en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle reconnue comme évitable.
Plusieurs mesures sont identifiées par les experts en santé au travail comme particulièrement efficaces :
Les médecins du travail préconisent également une coordination renforcée entre les acteurs médicaux, RH et sociaux pour anticiper les arrêts longs et faciliter les retours à l’emploi.
Le directeur général de la CNAM a récemment appelé à repenser le modèle d’indemnisation des arrêts de travail. Les critiques portent notamment sur l’inégalité de traitement entre salariés selon leur ancienneté, ou encore sur les différences de couverture entre grandes entreprises et TPE.
Plusieurs mesures réglementaires ont d’ores et déjà été adoptées :
Lancé en 2022 pour la période 2022-2025, ce plan gouvernemental cible les publics les plus à risque (jeunes, intérimaires, indépendants) et s’appuie sur quatre axes :
La gestion des arrêts maladie et des accidents du travail ne peut plus être envisagée comme une variable d’ajustement administrative ou budgétaire. Elle est désormais un enjeu de conformité légale, un levier de performance durable et un marqueur de la culture sociale de l’entreprise. Le cadre juridique impose une vigilance constante, mais c’est par une anticipation intelligente et concertée que l’entreprise peut durablement contenir les effets délétères de l’absentéisme et de la sinistralité.
La mise en œuvre d’une politique de santé au travail efficace ne se résume pas à des affichages obligatoires ou à la rédaction du document unique. Elle suppose une vision stratégique, une implication active des partenaires sociaux (notamment le CSE au titre de l’article L2312-8 du Code du travail), et une intégration réelle des enjeux humains dans les processus organisationnels.
Le défi est double : rassurer et fidéliser les nouvelles générations en quête de sens et d’équilibre de vie, tout en protégeant les populations déjà fragilisées (travailleurs âgés, salariés précaires, sous-traitants, intérimaires) qui restent surexposées aux risques professionnels.
L’avenir du droit social et du management des ressources humaines passe par une réponse coordonnée entre entreprises, partenaires sociaux, médecins du travail et institutions publiques. Un droit du travail plus protecteur, une prévention mieux ciblée, une culture managériale plus inclusive : autant de piliers sur lesquels l’entreprise peut s’appuyer pour réduire les absences, garantir la santé de ses collaborateurs et assurer la pérennité de son activité.
L’employeur est soumis à une obligation de sécurité visée par les articles L4121-1 à L4121-5 du Code du travail, qui lui impose de préserver la santé physique et mentale des salariés. Cette obligation est de résultat, ce qui signifie qu’il doit tout mettre en œuvre pour éviter les risques, sans pouvoir se retrancher derrière une bonne foi ou des circonstances atténuantes.
Concrètement, cela implique :
En cas d’accident ou de maladie imputable à une carence dans ces mesures, la faute inexcusable de l’employeur peut être reconnue, entraînant une majoration des rentes versées à la victime et des dommages-intérêts.
Selon les données croisées de la DREES, de l’Assurance maladie et du baromètre WTW 2024, si le nombre de salariés ayant eu un arrêt en 2023 a diminué de 21 %, la durée moyenne des arrêts, elle, s’est allongée. Ce paradoxe s’explique par plusieurs facteurs :
Ce phénomène est particulièrement observé dans les secteurs à forte intensité physique ou à exposition prolongée au stress, comme la santé humaine, la construction, le nettoyage industriel ou les services sociaux.
Les statistiques officielles de l’Assurance maladie (rapport risques professionnels 2023) identifient les secteurs suivants comme les plus accidentogènes :
À cela s’ajoutent des risques accrus pour les jeunes travailleurs, intérimaires, sous-traitants et travailleurs étrangers souvent moins formés, moins encadrés, et exposés à des situations plus précaires. L’étude de la Dares (août 2022) indique que les entreprises sous-traitantes présentent deux fois plus d’expositions aux charges lourdes et aux postures pénibles que les donneurs d’ordre.
Un accident du travail mortel engage une chaîne de responsabilités lourdes pour l’employeur. Sur le plan administratif, il doit déclarer l'accident dans les 48 heures auprès de la Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) et prévenir l’Inspection du travail en cas de décès.
Les conséquences possibles sont :
Une gestion rigoureuse de la prévention, des formations sécurité, et du DUERP est donc indispensable pour réduire les risques juridiques.
La prévention efficace des arrêts maladie repose sur une approche pluridisciplinaire, combinant droit du travail, ressources humaines, médecine du travail et dialogue social. Les leviers à mobiliser sont les suivants :
Selon l’étude Malakoff Humanis, plus de 80 % des salariés en arrêt de longue durée avaient perçu des signaux précurseurs dans les deux ans précédents. Agir en amont, c’est économiser des milliers d’euros en coûts directs et indirects, mais aussi préserver le capital humain de l’entreprise.