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Article 1112-1 du Code civil : ce que change l’arrêt du 14 mai 2025

Jordan Alvarez
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La redéfinition de l’obligation précontractuelle d’information : une révolution jurisprudentielle

Le 14 mai 2025, la chambre commerciale de la Cour de cassation a rendu un arrêt qui redessine les contours de l’article 1112-1 du Code civil relatif à l’obligation d’information précontractuelle.

Derrière cette décision se joue une transformation profonde du droit des contrats, qui pourrait bouleverser les pratiques contractuelles des professionnels et des praticiens du droit.

Loin d’un simple ajustement, cet arrêt marque une évolution fondamentale : la Cour dissocie explicitement les conditions d’application de l’obligation d’information. Elle impose désormais une double exigence, autonomisant la condition de l’« importance déterminante » de l’information, là où l’on pouvait y voir auparavant un critère lié au contenu du contrat ou à la qualité des parties.

Cette autonomie redessine les droits et devoirs des contractants, et accentue le rôle de la preuve dans les litiges contractuels.

Une affaire en apparence ordinaire, aux conséquences majeures

L’affaire ayant conduit à l’arrêt du 14 mai 2025 débute par la cession d’une société exploitant un fonds de commerce de restauration rapide. Après la signature du contrat, l’acquéreur découvre que l’immeuble dans lequel se trouve le local commercial interdit l’installation de dispositifs d’extraction de fumée, rendant impossible la cuisson de fritures, élément pourtant central pour l’activité escomptée.

S’estimant lésé, l’acquéreur poursuit le cédant pour dissimulation et manquement à son obligation d’information. Pourtant, tant les juges du fond que la Cour de cassation rejettent la demande : pour la Cour, l’information revendiquée par l’acquéreur ne répond pas à la double exigence d’un lien direct et nécessaire avec le contrat et d’une importance déterminante pour son consentement.

Ce raisonnement est inédit. Car jusque-là, les décisions admettaient volontiers que toute information ayant un lien étroit avec le contrat était présumée déterminante, sauf preuve contraire.

Une rupture méthodologique : vers une lecture cumulative et autonome des conditions

L’apport majeur de cette décision tient dans l’autonomisation des deux conditions de l’article 1112-1 :

  1. Le lien direct et nécessaire avec le contrat ou la qualité des parties ;
  2. L’importance déterminante de l’information pour le consentement du cocontractant.

La Cour ne les considère plus comme une seule et même exigence. Désormais, il ne suffit plus de démontrer qu’une information porte sur un élément central du contrat (comme l’aménagement d’un local ou la possibilité d’exercer une activité spécifique). Il faut en plus prouver que cette donnée était subjectivement déterminante pour la décision du cocontractant d’entrer en relation contractuelle.

Ainsi, l’acheteur d’un fonds de commerce, même empêché d’exploiter certaines activités dans le local concerné, devra prouver que cette activité spécifique (en l’occurrence la friture) était au cœur de son projet, et qu’il en avait informé le cédant ou avait de bonnes raisons d’attendre qu’il le sache.

La logique se renverse : ce n’est plus au vendeur de prouver qu’il a satisfait à son devoir d’information, mais à l’acheteur de démontrer le rôle précis d’une information dans son processus décisionnel. Un renversement subtil mais stratégique.

La quête d’équité dans l’argumentation de la Cour : entre exigence de loyauté et protection du consentement

Sous l’apparente sévérité juridique de l’arrêt du 14 mai 2025, se profile une intention plus nuancée : celle d’une quête d’équilibre, voire d’équité.

La Cour de cassation ne se contente pas de faire œuvre de rigueur formelle en exigeant une double preuve – à la fois du lien direct de l’information avec le contrat et de son importance déterminante pour le consentement du cocontractant. Elle cherche aussi à éviter que le devoir d’information précontractuelle ne devienne un instrument de remise en cause abusive des engagements librement souscrits.

L’objectif implicite est de préserver la sécurité juridique des transactions, en empêchant un contractant peu rigoureux de se retourner contre son partenaire pour des éléments qui auraient pu, avec un minimum de vigilance, être identifiés, interrogés ou contractualisés.

En d’autres termes, la Cour rappelle que la bonne foi ne saurait excuser l’imprudence. Le consentement éclairé suppose aussi une implication proactive de la partie concernée dans la phase de négociation.

Dans l’affaire tranchée, l’acquéreur aurait pu signaler explicitement que la possibilité d’installer un système de ventilation adapté à la friture constituait pour lui une condition essentielle. Il pouvait, dans ce sens, solliciter des garanties écrites, poser des questions spécifiques ou intégrer des clauses conditionnelles relatives à l’exploitation du local. À défaut d’avoir pris ces précautions, il ne saurait invoquer rétroactivement une omission d’information pour échapper aux conséquences de son propre silence.

Une exigence de vigilance… qui peut désavantager les cocontractants vulnérables

Cependant, cette exigence d’initiative contractuelle soulève un débat plus large sur la protection des parties en situation d’asymétrie d’information. Dans de nombreuses situations, notamment dans les cessions de fonds de commerce, les déséquilibres économiques et techniques sont réels : le vendeur connaît en général bien mieux l’activité transmise, ses contraintes, ses restrictions juridiques et ses limites matérielles.

Or, dans cette configuration, faire peser sur l’acquéreur la charge exclusive de prouver qu’une information était déterminante pour son consentement revient à inverser la logique protectrice initialement attachée à l’obligation d’information.

On passe d’un devoir actif d’éclairer le cocontractant à une obligation, pour ce dernier, d’anticiper l’information qui lui fait défaut.

C’est notamment problématique lorsque l’information est difficilement accessible, comme dans le cas d’une interdiction imposée par un règlement de copropriété non joint à l’acte ou d’une contrainte administrative subtile. Le risque est alors que le vendeur se retranche derrière l’absence de demande explicite pour éluder sa responsabilité.

En ce sens, l’arrêt marque un retrait prudent de la main protectrice du droit et confère une plus grande place à la logique du « contrat entre professionnels avertis », même dans des relations qui ne le sont pas toujours.

Une notion d’« information déterminante » redéfinie à l’aune du projet personnel

Un autre apport décisif de l’arrêt est de redonner une dimension subjective à la notion d’« information déterminante ». Là où le droit contractuel se contentait jusqu’ici d’une appréciation objectivée (le caractère important de l’information en soi), la Cour impose désormais de prouver qu’elle était déterminante pour le projet précis du cocontractant.

C’est une évolution majeure. Cela signifie que deux acheteurs d’un même fonds de commerce pourraient revendiquer (ou non) l’importance d’une information identique selon leur projet spécifique. Pour l’un, l’interdiction de friture serait secondaire s’il envisage un bar à salades ; pour l’autre, elle serait cruciale s’il projette une sandwicherie avec cuisson à l’huile.

Cette personnalisation du critère impose donc une contractualisation plus poussée des intentions.

L’acquéreur prudent devra désormais non seulement s’informer, mais formuler ses attentes par écrit, dans le contrat ou en amont. On assiste ainsi à une montée en puissance de la documentation de la phase précontractuelle, en cohérence avec la généralisation des pratiques de due diligence.

Les échanges oraux, informels ou implicites deviennent juridiquement fragiles. L’heure est à la traçabilité des intentions, à la formulation claire des attentes et à la conservation de preuves. Cette évolution rapproche le droit commun des contrats des pratiques du droit des affaires ou des fusions-acquisitions, où chaque étape est consignée.

Un signal fort envoyé au législateur : clarifier ou réécrire l’article 1112-1 ?

Au-delà de l’affaire jugée, l’arrêt du 14 mai 2025 fait ressortir un malaise structurel : l’ambiguïté persistante de l’article 1112-1 du Code civil. Le texte, introduit par l’ordonnance du 10 février 2016, pose trois critères (connaissance de l’information, ignorance légitime par le créancier, importance déterminante) mais n’en définit pas clairement les rapports.

Particulièrement problématique est l’expression de l’alinéa 3 : « a un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties ». Est-ce un critère cumulatif ou une présomption simple de l’importance de l’information ? La jurisprudence de 2025 tranche en faveur de la dissociation, mais sans que le texte ne le dise clairement. Ce flou terminologique alimente l’incertitude des parties et l’instabilité des solutions contentieuses.

Plusieurs auteurs appellent donc à une réécriture du texte. Ils suggèrent de remplacer l’expression “information déterminante” par celle d’“information pertinente”, plus large et moins restrictive. Cette notion aurait l’avantage d’inclure non seulement les éléments cruciaux pour le consentement, mais aussi ceux utiles à une prise de décision éclairée.

D’autres plaident pour une clarification par le législateur des effets de la connaissance ou de l’ignorance de l’information, afin de mieux répartir la charge de la preuve et d’éviter des effets trop déséquilibrés. Enfin, la création d’un régime différencié selon le statut des parties (professionnel / non-professionnel) pourrait permettre d’adapter l’exigence de vigilance au niveau de compétence des contractants.

Un tournant pour les praticiens du droit

Les conséquences de cette jurisprudence ne sont pas purement théoriques. Notaires, avocats, juristes d’entreprise, mais aussi acteurs économiques, devront adapter leurs pratiques :

  • Les contrats de cession ou de partenariat devront inclure des annexes détaillant les attentes de l’acquéreur ;
  • Les clauses de non-garantie ou d’exonération devront être soigneusement calibrées à la lumière de cette exigence accrue de preuve ;
  • Les contentieux risquent d’être davantage centrés sur la preuve de la communication (ou non) d’informations spécifiques, renforçant le besoin de formalisation écrite.

Les juges du fond devront, de leur côté, trouver un équilibre subtil entre protection du consentement et exigence de loyauté dans les échanges précontractuels.

Sources : Cass. com., 14 mai 2025, no 23-17.948, 23-18.049 et 23-18.082

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