Choisir un local pour exercer une activité professionnelle ne se limite pas à une simple question immobilière : c’est un véritable enjeu juridique et stratégique. En France, deux cadres juridiques principaux encadrent les locations professionnelles : le bail commercial, régi par les dispositions d’ordre public du Code de commerce, et le bail professionnel, plus souple, fondé sur la liberté contractuelle du Code civil. Ce choix n’est pas anodin. Il influence directement la pérennité de l’activité, la protection du locataire, la durée de l’engagement, ainsi que la souplesse de la relation contractuelle entre le bailleur et le preneur.
Dans un contexte où l’installation de son activité représente une étape décisive dans la vie d’un entrepreneur ou d’un professionnel libéral, il est impératif de bien maîtriser les différences entre ces deux régimes.
Une erreur dans le type de bail choisi peut entraîner des conséquences juridiques lourdes : impossibilité de renouvellement, précarité du local d’exploitation, contentieux de requalification, voire perte du fonds de commerce.
Cet article propose une analyse juridique approfondie, étayée par les textes législatifs applicables et la jurisprudence récente, afin de permettre aux professionnels de faire un choix éclairé. Que vous soyez commerçant, artisan, avocat, consultant ou encore agent immobilier, ce guide vous aide à comprendre quel bail correspond réellement à votre activité, quelles sont les garanties offertes par chaque régime, et quelles clauses doivent impérativement figurer dans votre contrat.
Le contrat de location d’un local à usage d’activité professionnelle est encadré par deux régimes juridiques distincts : le bail commercial, régi par le Code de commerce, et le bail professionnel, principalement encadré par le Code civil. Le choix entre ces deux types de baux repose sur un critère fondamental : la nature de l’activité exercée dans les locaux. Ce choix est loin d’être neutre, car il détermine le niveau de protection du preneur, la souplesse de la rédaction, les conditions de révision du loyer, ou encore les règles de résiliation.
Conformément à l’article L.145-1 du Code de commerce, le bail commercial s’impose lorsqu’un fonds de commerce ou fonds artisanal est exploité dans les locaux loués par une personne immatriculée au Registre du commerce et des sociétés (RCS) ou au Registre national des entreprises (RNE). Ce régime s’applique donc aux commerçants, artisans et industriels.
Il s'agit d’un statut protecteur, d’ordre public, qui prévoit notamment :
Le bail professionnel concerne les locataires qui n’exercent ni activité commerciale, ni artisanale, ni industrielle, ni agricole. Ce contrat est réservé aux professions libérales, réglementées ou non, dont les revenus relèvent des bénéfices non commerciaux (BNC) (ex. : avocat, architecte, ostéopathe, psychologue).
Encadré par la loi du 23 décembre 1986, et les articles 1708 et suivants du Code civil, il offre une grande liberté contractuelle, notamment sur :
Seul le bail commercial ouvre droit à un renouvellement automatique, sauf dénonciation par le bailleur selon les formes légales (art. L.145-10 et suivants). En cas de refus de renouvellement sans motif légitime, le bailleur est en principe tenu au paiement d’une indemnité d’éviction.
Le bail professionnel n’ouvre aucun droit au renouvellement. À l’issue du terme, le contrat prend fin automatiquement sauf reconduction expresse ou tacite.
Selon l’article L.145-38 du Code de commerce, le loyer d’un bail commercial peut être révisé tous les trois ans, sauf clause contraire. Cette révision s’effectue en fonction de l’évolution de l’indice des loyers commerciaux (ILC) ou de l’indice des loyers des activités tertiaires (ILAT), publiés par l’INSEE.
Au 3e trimestre 2024 :
La présence d’une clause d’échelle mobile peut également permettre une indexation automatique du loyer, selon une périodicité précisée au contrat.
La révision du loyer dans un bail professionnel n’est pas encadrée par la loi. Elle ne peut s’appliquer que si le contrat le prévoit expressément, avec un indice de référence choisi par les parties (ICC ou ILAT).
En l’absence de clause, le loyer est fixe pendant toute la durée du bail.
Conformément à l’article L.145-2, 7° du Code de commerce, les parties peuvent convenir expressément d’appliquer le statut des baux commerciaux, même si l’activité exercée relèverait normalement du bail professionnel.
Cela permet, par exemple, à une profession libérale souhaitant sécuriser son implantation de bénéficier du régime protecteur du bail commercial. Cette clause doit impérativement figurer dans le contrat initial.
En cas d’activité réellement commerciale, un bail conclu à tort sous forme de bail professionnel peut faire l’objet d’une requalification judiciaire en bail commercial. Le locataire dispose alors d’un délai de 2 ans pour agir en justice à compter de la signature du bail (Cass. 3e civ., 14 sept. 2017, n°16-23590). Il devra prouver que les conditions du statut commercial sont remplies.
Cette requalification peut également permettre de demander une indemnité d’éviction, si le bail est ensuite résilié de manière unilatérale.
Le bail dérogatoire, ou bail précaire, permet aux parties de conclure un contrat hors du statut des baux commerciaux, pour une durée maximale de 3 ans. Il s’adresse à ceux qui souhaitent tester une activité ou disposer de flexibilité.
Il ne peut pas être renouvelé. À son terme, sauf départ volontaire du locataire, un bail commercial s’installe automatiquement si l’activité se poursuit.
Avec sa plus grande souplesse, le bail professionnel offre aux parties une latitude de négociation plus large. Toutefois, cette liberté suppose une rédaction rigoureuse : en cas de litige, le juge s’en remettra aux stipulations contractuelles.
Une erreur dans la qualification du bail peut engager la responsabilité du professionnel rédacteur, notamment un agent immobilier qui aurait omis d’identifier correctement la nature de l’activité du preneur. Dans ce cas, la victime peut envisager un recours en responsabilité professionnelle.
Le bail professionnel et le bail commercial répondent à des logiques juridiques distinctes, fondées sur la nature de l’activité exercée, mais aussi sur la philosophie du contrat : protection impérative du fonds de commerce pour l’un, liberté contractuelle pour l’autre.
Le statut des baux commerciaux, avec ses droits au renouvellement, son encadrement rigoureux et ses protections renforcées, convient parfaitement aux commerçants et artisans souhaitant s’ancrer durablement dans un local d’exploitation. À l’inverse, le bail professionnel offre aux professions libérales une souplesse rédactionnelle bienvenue, à condition de prévoir rigoureusement les modalités essentielles dans le contrat, notamment en matière de loyer et de résiliation.
Ce choix doit être stratégique et anticipé, car une mauvaise qualification initiale peut exposer à des risques juridiques majeurs : requalification du bail, contentieux locatifs, voire responsabilité du rédacteur du contrat. Il est aussi essentiel de garder à l’esprit l’existence du bail dérogatoire, outil temporaire utile pour tester une activité sans s’engager sur le long terme.
Avant toute signature, il est donc recommandé de se faire accompagner par un professionnel du droit, afin de sécuriser son installation et de bâtir une relation contractuelle équilibrée. Chez defendstesdroits.fr, nos juristes vous conseillent pour rédiger ou relire votre contrat, comprendre vos droits et anticiper tout litige. Que vous soyez bailleur ou preneur, le droit peut être votre meilleur allié — à condition de le connaître et de l’utiliser à bon escient.
1. Quelles sont les principales différences juridiques entre un bail professionnel et un bail commercial ?
Les différences entre ces deux baux résident dans leur champ d’application, leur durée, leur régime de résiliation, leur protection du locataire et leur réglementation légale.
2. Est-il possible pour un professionnel libéral de choisir un bail commercial ?
Oui. Une profession libérale peut volontairement opter pour le statut des baux commerciaux, à condition que cette option soit expressément prévue dans le contrat. C’est ce que permet l’article L.145-2, 7° du Code de commerce.
Cette démarche présente un avantage important : elle permet au professionnel d'accéder aux protections offertes par le statut commercial, telles que :
En revanche, le bailleur est également soumis à des obligations plus strictes. L’option ne peut pas être implicite : une clause claire et sans ambiguïté dans le bail est indispensable.
3. Un bail professionnel peut-il être requalifié en bail commercial ?
Oui, et cette situation survient lorsqu’un local est loué sous bail professionnel, alors que le locataire exerce en réalité une activité commerciale ou artisanale. Le juge peut alors requalifier le contrat en bail commercial, avec toutes les conséquences juridiques que cela implique.
La requalification est ouverte dans deux hypothèses :
Le locataire dispose d’un délai de deux ans pour agir, à compter de la signature du bail (Cass. 3e civ., 14 sept. 2017, n°16-23590). Il peut d’abord tenter un règlement amiable avec son bailleur, en sollicitant une régularisation écrite. En cas de refus, il devra saisir le tribunal judiciaire pour faire valoir ses droits.
Cette requalification peut permettre :
4. Comment se passe la révision du loyer dans un bail professionnel ou commercial ?
La révision du loyer est encadrée différemment selon le type de bail :
Il est donc essentiel de bien négocier et rédiger cette clause lors de la signature du bail, notamment pour anticiper les évolutions économiques (inflation, fluctuation du marché immobilier...).
5. Le bail dérogatoire est-il une bonne solution pour débuter une activité ?
Le bail dérogatoire, aussi appelé bail précaire, peut être une option stratégique pour tester une activité, sans s’engager dans un bail long et rigide.
Prévu par l’article L.145-5 du Code de commerce, ce contrat permet au bailleur et au locataire de convenir, pour une durée maximale de 3 ans, de ne pas appliquer le régime des baux commerciaux.
Points forts :
Mais attention : si l’activité se poursuit après le terme du bail sans opposition du bailleur, un bail commercial peut naître automatiquement par application de la loi. Il est donc essentiel de :
Ce type de bail convient particulièrement aux projets pilotes, pop-up stores, lancements progressifs d’activité, ou pour un locataire souhaitant tester une zone géographique.