Travail

CDD d’usage 2025 : focus sur l’élargissement aux centres de santé en tension

Estelle Marant
Collaboratrice
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CDD d’usage : un nouveau champ d’application pour les centres de santé en zones fragiles

Depuis plusieurs décennies, le recours au contrat à durée déterminée d’usage (CDDU) est strictement encadré par le Code du travail, afin de garantir un équilibre entre flexibilité pour les employeurs et protection pour les salariés.

Dans ce contexte, le décret n° 2025-552 du 18 juin 2025, publié au Journal officiel le 20 juin 2025, apporte une évolution significative en étendant le périmètre des secteurs autorisés à recourir à ce type de contrat.

Désormais, les centres de santé implantés dans des zones à faible densité médicale ou à accès aux soins difficile pourront également y recourir.

Cette évolution réglementaire s’inscrit à la croisée des préoccupations sociales (réduction des inégalités territoriales d’accès à la santé) et économiques (besoin de souplesse en matière d’emploi dans des structures de soins souvent précaires). Retour sur les enjeux, les modalités et les perspectives ouvertes par ce texte.

Le CDD d’usage : un régime d’exception strictement délimité

Le contrat à durée déterminée d’usage constitue une exception au principe de recours au CDI posé par l’article L. 1221-2 du Code du travail. En principe, un CDD n’est autorisé que dans les cas listés limitativement à l’article L. 1242-2 du Code du travail. Parmi ces cas, le de l’article prévoit la possibilité de conclure un CDD « dans des secteurs d'activité définis par décret, dans lesquels il est d'usage constant de ne pas recourir au contrat à durée indéterminée en raison de la nature de l'activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois. »

Cette exception repose donc sur deux critères cumulatifs : l’usage constant dans un secteur donné, et la nature temporaire des missions justifiant une forme contractuelle non pérenne.

Ces secteurs sont précisés à l’article D. 1242-1 du Code du travail.

Jusqu’à l’intervention du décret du 18 juin 2025, cette liste comprenait 16 secteurs, parmi lesquels le spectacle vivant, l’hôtellerie-restauration, l’enseignement, les enquêtes et sondages, le sport professionnel ou encore le transport aérien.

Ces domaines partagent tous un point commun : des pics d’activité ou des missions ponctuelles, ne permettant pas de prévoir un volume de travail constant et durable.

Le décret du 18 juin 2025 : un ajout ciblé pour les zones de tension sanitaire

Le décret n° 2025-552, entré en vigueur le 21 juin 2025, ajoute un 17e secteur à cette liste. Il s’agit de :

« L’exercice de la médecine dans les structures mentionnées à l’article L. 6323-1 du code de la santé publique et situées dans une zone prévue au 1° de l’article L. 1434-4 du même code. »

Plus concrètement, cela signifie que les centres de santé, au sens du code de la santé publique, établis dans des zones caractérisées par une offre de soins insuffisante ou par des difficultés dans l’accès aux soins, peuvent désormais recruter sous CDD d’usage.

Cette disposition a été adoptée après avis favorable de la Commission nationale de la négociation collective, de l'emploi et de la formation professionnelle du 14 mai 2025, ce qui témoigne d’un consensus social sur la nécessité de répondre aux tensions croissantes dans les déserts médicaux.

Une réponse à la crise de l’accès aux soins

Cette extension ne doit rien au hasard. Elle intervient dans un contexte d’urgence sanitaire territoriale, marqué par :

  • La pénurie persistante de médecins généralistes dans de nombreuses zones rurales ou périurbaines,
  • Le vieillissement de la population médicale et la faible attractivité de certains territoires,
  • L’augmentation des refus de soins pour absence de praticiens disponibles,
  • La charge croissante pesant sur les hôpitaux de proximité et les services d’urgence.

Les centres de santé, souvent constitués sous forme associative ou mutualiste, sont au cœur des dispositifs de lutte contre les déserts médicaux. Leur modèle repose sur la mutualisation des ressources, le salariat des praticiens et une organisation tournée vers la prévention et la coordination des soins.

Mais ces structures rencontrent souvent des difficultés à recruter, notamment pour des remplacements ponctuels, des vacations, ou des missions ciblées (actions de dépistage, soins non programmés, etc.). Le recours au CDD d’usage, désormais autorisé, leur offre un outil de gestion souple et adapté à leur réalité de terrain.

Un encadrement juridique maintenu

Si cette évolution ouvre une nouvelle possibilité de contractualisation, elle ne remet pas en cause les garanties fondamentales attachées au CDD d’usage :

  • Le contrat doit être justifié par la nature temporaire de l’emploi concerné ;
  • Il ne peut en aucun cas pourvoir un poste permanent de l’organisme ;
  • Il doit faire l’objet d’un écrit, précisant la durée, le motif de recours, et la nature de la mission ;
  • Il peut être renouvelé successivement, mais ne doit pas avoir pour effet de contourner les règles du CDI.

Par ailleurs, en cas de contentieux prud’homal, il appartiendra à l’employeur de démontrer que le poste concerné relève bien de l’activité temporaire caractéristique du secteur identifié par le décret. Autrement dit, le fait que le centre de santé soit situé dans une zone sous-dotée ne suffira pas à justifier n’importe quel usage du CDDU.

Quelle portée pratique pour les employeurs et salariés concernés ?

Concrètement, cette nouvelle disposition va permettre aux centres de santé concernés de :

  • Recruter plus facilement des médecins remplaçants, des praticiens vacataires, ou des professionnels de santé intervenant à temps partiel ou de manière épisodique ;
  • Adapter leur masse salariale à des missions ponctuelles liées à des campagnes de santé publique, à la réponse à des pics d’activité, ou à des absences non programmées ;
  • Proposer une forme contractuelle plus attractive pour certains professionnels réticents à s’engager sur du long terme, notamment dans des zones peu attractives.

Pour les salariés, le CDDU peut offrir un cadre juridique sécurisé, avec les droits sociaux classiques du salariat (couverture maladie, retraite, assurance chômage), tout en permettant une certaine souplesse dans l’exercice professionnel, notamment pour les jeunes médecins ou ceux en reconversion.

Mais cette extension devra être accompagnée d’un suivi attentif, afin d’éviter des dérives ou un usage abusif de ce type de contrat pour pallier le manque de moyens structurels ou contourner les obligations liées au CDI. Il est donc souhaitable que les partenaires sociaux du secteur, notamment les ARS, les URPS, et les syndicats, soient associés à l’évaluation de l’impact de ce nouveau levier contractuel.

Conclusion

En ouvrant l’accès au CDD d’usage aux centres de santé implantés dans les zones médicalement fragiles, le décret du 18 juin 2025 répond à un besoin opérationnel bien identifié, tout en maintenant les garde-fous juridiques existants. Il s’agit d’une mesure ciblée, techniquement bien calibrée, et potentiellement efficace pour renforcer l’offre de soins de proximité.

Reste à veiller à ce que cet outil ne soit pas utilisé au détriment du développement de l’emploi pérenne dans le secteur de la santé, lequel reste la seule réponse structurelle aux fragilités territoriales de notre système de soins.

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