Lorsqu’un avocat se retire de la profession en cours de procédure, ses dossiers doivent être transférés à un autre avocat. Ce passage de relais peut sembler neutre, voire naturel, surtout lorsque le successeur exerce au sein du même cabinet. Pourtant, cette situation soulève une question essentielle pour les clients : que deviennent les sommes déjà versées à titre de provision au premier avocat ? Et surtout, le nouvel avocat est-il tenu de les rembourser si le dossier n’est pas terminé ou si la mission initiale n’a pas été entièrement exécutée ?
Dans une décision rendue le 19 juin 2025, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation apporte une réponse claire et juridiquement rigoureuse à cette problématique. Elle rappelle les limites du pouvoir du premier président de la cour d’appel dans le cadre du contentieux des honoraires d’avocat, et en tire des conséquences précises sur le débat relatif à la restitution de provisions.
Une cliente avait confié la défense de ses intérêts dans le cadre d’une procédure de divorce à une avocate. Cette dernière, exerçant au sein d’un cabinet, perçoit de la part de sa cliente une provision sur honoraires. Par la suite, l’avocate part à la retraite, et une autre avocate du même cabinet reprend le dossier.
Estimant que la mission confiée au premier avocat n’avait pas été entièrement remplie, la cliente engage une procédure pour obtenir le remboursement des provisions versées. Elle s’adresse d’abord au bâtonnier de l’ordre des avocats, puis, en l’absence de réponse, saisit le premier président de la cour d’appel, conformément à l’article 174 du décret du 27 novembre 1991.
Elle vise directement la seconde avocate, désormais en charge du dossier, considérant que celle-ci serait tenue de rembourser les sommes versées à sa consœur retraitée.
Le décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organise la procédure applicable aux contestations relatives aux honoraires des avocats. L’article 174 précise notamment que :
« Le bâtonnier statue sur les contestations relatives au montant et au recouvrement des honoraires. »
Cette procédure, d’ordre spécial, permet de trancher les litiges relatifs à la fixation des honoraires (quantum, prestations accomplies, caractère raisonnable de la rémunération), mais elle ne permet pas de trancher toutes les questions liées aux obligations contractuelles, et notamment celle de savoir qui est le débiteur d’une obligation de restitution dans un contexte de succession d’avocats.
Dans cette affaire, le premier président de la cour d’appel a condamné l’avocate successeur à rembourser la provision à la cliente, au motif qu’il n’était pas contesté que cette avocate avait repris la procédure de divorce dans les suites du départ à la retraite de sa consœur.
Cependant, la Cour de cassation sanctionne cette décision. Elle rappelle que le premier président statuant dans le cadre de l’article 174 ne peut se prononcer que sur le montant ou le recouvrement des honoraires, et non sur l’identification du débiteur ou du responsable de la restitution, surtout en cas de dissociation ou de contestation du lien juridique entre les deux avocats.
La nouvelle avocate contestait expressément être venue aux droits et obligations de la précédente : elle n’avait pas signé de convention de cession, ni accepté expressément de reprendre les obligations financières de sa consœur. En conséquence, le juge ne pouvait l’astreindre à rembourser des sommes qui ne lui avaient jamais été versées et qu’elle n’avait pas facturées.
La Cour de cassation souligne ici une distinction essentielle entre deux types de contentieux :
Autrement dit, si la cliente souhaite faire valoir que la seconde avocate a repris les engagements du premier avocat, elle doit saisir un tribunal judiciaire, en invoquant éventuellement une novation, une cession de contrat ou une responsabilité contractuelle. Ces questions dépassent le cadre strict de la fixation ou du recouvrement des honoraires, et n’entrent pas dans le champ de compétence du bâtonnier ou du premier président.
Cette décision rappelle aux justiciables qu’en cas de changement d’avocat, notamment pour retraite, décès ou mutation, il faut analyser précisément les termes de la relation entre les deux avocats. En l’absence de convention écrite ou d’engagement clair du successeur, le nouveau conseil ne reprend pas automatiquement les obligations financières de son prédécesseur.
Il est donc préférable, dès le changement, de solliciter un état des honoraires, une convention d’honoraires nouvelle, et de clarifier la reprise ou non des sommes déjà versées.
Les cabinets doivent veiller à organiser de manière contractuelle la transmission de dossiers lorsque l’un de leurs membres part à la retraite. À défaut, chaque avocat reste personnellement responsable vis-à-vis de son client, et aucun transfert d’obligation ne peut être présumé, même en cas de continuité matérielle.
Par ailleurs, les avocats doivent informer leurs clients de tout changement de situation, et formaliser toute reprise de dossier dans une nouvelle convention, pour éviter tout malentendu sur la rémunération ou sur les obligations en cours.
L’arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 19 juin 2025 (n° 23-23.781) vient rappeler les limites procédurales strictes du contentieux des honoraires d’avocat. Il réaffirme que la détermination du débiteur d’une obligation de restitution, en cas de changement d’avocat, relève du droit commun des obligations, et non de la procédure spéciale prévue à l’article 174 du décret du 27 novembre 1991.
En résumé : la continuité dans la gestion du dossier ne suffit pas à créer une continuité dans les obligations financières. Et le juge ne peut imposer à un avocat d’assumer les engagements de son prédécesseur sans base contractuelle explicite.
1. Puis-je demander le remboursement des provisions versées à un avocat parti à la retraite ?
Oui, mais uniquement à cet avocat ou à ses ayants droit. Le remboursement dépend de l’étendue de la mission réalisée et de ce qui reste dû. Ce n’est pas automatique.
2. Le nouvel avocat est-il obligé de me rembourser les provisions versées à son prédécesseur ?
Non. Sauf convention spécifique ou preuve que le nouvel avocat a repris les engagements contractuels de l’ancien, il n’est pas responsable des sommes versées à un tiers.
3. Le premier président de la cour d’appel peut-il trancher sur cette question ?
Non. Selon la Cour de cassation, il ne peut statuer que sur le montant des honoraires, pas sur l'identité du débiteur de la restitution, ce qui relève du droit commun.
4. Que faire si le bâtonnier ne répond pas à ma demande ?
En l’absence de réponse dans un délai d’un mois, vous pouvez saisir le premier président de la cour d’appel. Mais pour les questions de restitution ou de responsabilité, il faut saisir le tribunal judiciaire.
5. Comment éviter ce genre de litige lors d’un changement d’avocat ?
Demandez une convention d’honoraires écrite avec le nouvel avocat, précisant les sommes déjà versées, ce qu’elles couvrent, et les modalités de facturation à venir.