L’abandon de poste constitue une réalité juridique fréquemment rencontrée dans les relations de travail. Longtemps toléré comme une voie détournée pour quitter un emploi sans avoir à démissionner officiellement, ce comportement a été utilisé par de nombreux salariés dans l'espoir d'obtenir une rupture du contrat de travail ouvrant droit à l’allocation chômage.
En effet, tant que l'employeur ne notifiait pas expressément une démission, il pouvait opter pour un licenciement pour faute grave, permettant au salarié d’être considéré comme involontairement privé d’emploi. Cette pratique, bien que répandue, alimentait une zone grise du droit du travail, entre stratégie sociale, vide législatif et inégalités de traitement.
Pour mettre fin à cette insécurité juridique et à ce que certains qualifiaient de « démission déguisée », le législateur a profondément remanié les règles. Depuis le 19 avril 2023, la loi qualifie expressément l’abandon de poste de présomption de démission, modifiant ainsi l’équilibre des droits entre employeurs et salariés. La nouvelle législation, en insérant l’article L1237-1-1 du Code du travail, institue un régime juridique encadré où la rupture n’émane plus de l’employeur, mais est présumée voulue par le salarié.
Dans ce nouveau contexte, se pose une question centrale : le salarié ayant abandonné son poste peut-il encore prétendre aux allocations chômage ?
La réponse, bien loin d’être univoque, suppose une analyse rigoureuse des textes, de la jurisprudence et des marges de contestation offertes au salarié. Car si la présomption de démission paraît claire dans son principe, ses effets en matière de protection sociale et d’indemnisation chômage restent conditionnés à plusieurs critères juridiques que nous vous exposons en détail.
L’abandon de poste se définit comme une absence volontaire, non justifiée et prolongée du salarié, sans autorisation préalable de l’employeur. Il constitue une violation de l’obligation d’exécuter le contrat de travail de bonne foi, prévue à l’article L1222-1 du Code du travail.
Le salarié ne prévient pas, ne produit aucun justificatif médical ou personnel valable, et ne manifeste pas l’intention de reprendre son poste. Traditionnellement, l’employeur était libre de licencier pour faute grave, ce qui permettait au salarié d’être considéré comme involontairement privé d’emploi — condition ouvrant droit à l’ARE.
L’article L1237-1-1 du Code du travail, issu de la réforme, instaure une présomption légale de démission si le salarié ne reprend pas son poste dans un délai d’au moins 15 jours calendaires après une mise en demeure par l’employeur de justifier son absence et de reprendre le travail.
Cette mise en demeure doit être adressée :
Si le salarié ne répond pas dans ce délai, il est présumé démissionnaire. Le contrat est alors rompu à son initiative et il ne peut prétendre à l’ARE, la démission n’étant pas, en principe, une cause légitime d’ouverture des droits au chômage.
Le législateur ménage toutefois des cas de blocage de la présomption, si le salarié invoque un motif légitime dans le délai imparti :
La jurisprudence antérieure (voir par exemple Cass. soc., 22 septembre 2015, n°14-11563) peut toujours servir à évaluer le bien-fondé d’une absence injustifiée, notamment dans le cadre contentieux.
L’employeur conserve la faculté de ne pas activer la présomption de démission et de privilégier un licenciement disciplinaire pour faute grave, ce qui demeure une rupture à l’initiative de l’employeur. Dans ce cas :
Ce choix demeure à la discrétion de l’employeur, ce qui introduit une forme d’incertitude juridique pour le salarié.
Le salarié peut contester la présomption de démission en saisissant le Conseil de prud’hommes dans un délai d’un mois à compter de la notification de la rupture. L’affaire est alors portée directement devant le bureau de jugement, qui statue dans le délai d’un mois.
Le salarié doit démontrer :
Toute irrégularité, notamment l’absence de mention du délai ou de l’objet de la mise en demeure, peut faire échec à la présomption de démission. En cas de succès, la rupture pourra être requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Un salarié qui estime que son employeur a gravement manqué à ses obligations (non-paiement des salaires, harcèlement, conditions de travail dégradées) peut prendre acte de la rupture de son contrat.
La prise d’acte produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si le manquement de l’employeur est reconnu par le juge (voir Cass. soc., 26 mars 2014, n°12-23.634). Elle permet ainsi au salarié de prétendre à l’ARE, tout en invoquant une rupture imputable à l’employeur.
Cependant, si la prise d’acte est jugée injustifiée, elle équivaut à une démission sans motif légitime — sans droit au chômage.
La réforme du 21 décembre 2022 vise une réduction du nombre de demandeurs d’emploi indemnisés, en dissuadant l’usage stratégique de l’abandon de poste. Toutefois, elle introduit une forte insécurité pour le salarié :
Parallèlement, l’employeur est incité à recourir à la présomption de démission en raison de sa simplicité procédurale : pas d’entretien préalable, pas de notification de licenciement, peu de risque de contestation en cas de rigueur procédurale.
La réforme introduisant la présomption de démission en cas d’abandon de poste a profondément transformé les droits et obligations des parties au contrat de travail. D’une logique fondée sur la souplesse de la rupture, où l’employeur restait libre d’opter pour le licenciement, nous sommes passés à une structuration légale stricte, conférant à l’abandon de poste un effet automatique : la perte du droit au chômage, sauf exceptions.
Cette évolution n’est pas sans conséquences pour les salariés. En cas d’absence injustifiée, ils doivent désormais faire preuve de vigilance et, le cas échéant, invoquer rapidement un motif légitime pour contrecarrer la présomption. L’oubli de cette démarche peut être lourd de conséquences : ni indemnité, ni ARE, ni retour en arrière.
Toutefois, le Conseil de prud’hommes demeure une voie de recours essentielle. Il peut renverser la présomption, requalifier la rupture ou reconnaître une faute de l’employeur. La rigueur de la procédure, le respect des délais et la motivation juridique deviennent ainsi des éléments centraux dans toute contestation.
Face à ces enjeux, il apparaît indispensable pour tout salarié confronté à une telle situation d’être informé, accompagné et conseillé. Sur defendstesdroits.fr, nous vous aidons à mieux comprendre vos droits, à anticiper les risques et à agir en toute légalité dans un monde du travail de plus en plus normé.
En principe, non. Depuis l’entrée en vigueur de la loi n°2022-1598 du 21 décembre 2022 et du décret n°2023-275 du 17 avril 2023, le salarié qui abandonne volontairement son poste sans justification et ne reprend pas le travail dans le délai imparti par l’employeur est présumé démissionnaire (article L1237-1-1 du Code du travail).
Or, la démission volontaire n’ouvre pas droit à l’allocation d’aide au retour à l’emploi (ARE), sauf exceptions strictement encadrées par l’article L5422-1.
Ainsi, un salarié dans cette situation est considéré comme ne remplissant pas la condition de privation involontaire d’emploi, exigée par France Travail (anciennement Pôle emploi) pour l’ouverture des droits.
Toutefois, cette présomption n’est pas irréfragable, et il existe des voies de recours ou des cas particuliers dans lesquels l’ARE peut être accordée (voir questions suivantes).
Le Code du travail permet au salarié de faire échec à la présomption de démission s’il justifie d’un motif légitime d’absence dans le délai de 15 jours calendaires fixé par l’employeur. Voici les principaux motifs reconnus :
Ces motifs doivent être concrets, documentés et communiqués rapidement à l’employeur, faute de quoi la procédure pourra aboutir à une présomption de démission avec perte des droits sociaux.
Le salarié qui s’est vu notifier une présomption de démission peut la contester devant le Conseil de prud’hommes, en respectant une procédure spécifique prévue par l’article L1237-1-1 alinéa 4 :
Pendant l’examen du litige, le salarié ne perçoit ni salaire, ni ARE, ce qui peut le placer dans une grande précarité économique. Il est donc essentiel d’être accompagné par un avocat ou une organisation syndicale.
Non, l’application de la présomption de démission n’est pas obligatoire. L’employeur dispose d’un pouvoir d’appréciation : il peut choisir de ne pas enclencher la procédure prévue à l’article L1237-1-1 et préférer un licenciement pour faute grave, fondé sur l’abandon de poste.
Ce choix n’est pas neutre :
En pratique, certains employeurs privilégient la présomption de démission pour sa simplicité, mais d’autres continuent d’appliquer les procédures de licenciement, notamment dans les secteurs fortement syndiqués.
Oui, dans certains cas. Le salarié peut invoquer une prise d’acte de la rupture du contrat de travail, si celle-ci repose sur des manquements graves de l’employeur rendant la poursuite du contrat impossible.
Cette procédure, reconnue par la jurisprudence constante (notamment Cass. soc., 26 mars 2014, n°12-23.634), doit être engagée rapidement, de préférence par écrit, et être soumise à l’appréciation du Conseil de prud’hommes.
Exemples de motifs justifiant une prise d’acte :
Si la prise d’acte est jugée fondée, elle produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, avec dommages-intérêts et droit au chômage. En revanche, une prise d’acte injustifiée sera requalifiée en démission, avec perte des droits.