Travail

Chômage et rupture de contrat : toutes les options hors licenciement

Estelle Marant
Collaboratrice
Partager

Droits au chômage : quelles stratégies pour quitter son poste sans risques ?

Dans un contexte socio-économique incertain, sécuriser sa trajectoire professionnelle tout en conservant un filet de sécurité financier devient une préoccupation majeure pour de nombreux salariés. Que l’on envisage une reconversion, une création d’entreprise ou simplement un changement de cap, quitter son emploi ne doit pas être synonyme de précarité.

Or, en France, le droit au chômage reste soumis à un principe fondamental : seule la perte involontaire d’emploi ouvre droit à l’allocation d’aide au retour à l’emploi (ARE) versée par France Travail (anciennement Pôle emploi). Ce principe, affirmé à l’article L.5422-1 du Code du travail, exclut par défaut les démissions des dispositifs d’indemnisation.

Cependant, le législateur et les partenaires sociaux ont progressivement reconnu des situations spécifiques dans lesquelles une rupture volontaire peut ouvrir droit au chômage, sous conditions strictes.

Ces dérogations traduisent une volonté de mieux accompagner les mobilités professionnelles, qu’elles soient subies ou choisies. Entre démission légitime, rupture conventionnelle, prise d’acte, résiliation judiciaire ou encore projet de reconversion professionnelle, plusieurs voies permettent aujourd’hui de quitter un emploi sans perdre ses droits à indemnisation.

L’objet du présent article est donc d’éclairer, sous l’angle juridique, les différentes options existantes pour bénéficier des allocations chômage hors licenciement, tout en évitant les pièges d’une stratégie mal anticipée. À travers une analyse fondée sur les textes légaux et les dernières réformes, notamment la convention d’assurance chômage du 15 novembre 2024, nous vous guidons dans le choix du mode de rupture le plus adapté à votre situation professionnelle.

Sommaire

  1. Introduction
  2. Démission pour motif légitime : une dérogation encadrée
  3. Démission pour projet professionnel : reconversion ou création d’entreprise
  4. Rupture conventionnelle : négocier la fin du CDI et conserver ses droits
  5. Rupture du contrat aux torts de l’employeur : cadre et conditions
  6. Rupture anticipée du CDD : comment bénéficier du chômage ?
  7. Abandon de poste : une stratégie désormais pénalisante
  8. S’inscrire à France Travail pour toucher le chômage : formalités essentielles
  9. Conclusion

Démission pour motif légitime : une exception prévue par la loi

Il existe des situations dans lesquelles la démission, bien que volontaire, est juridiquement considérée comme légitime, ouvrant ainsi droit aux allocations chômage. Cette reconnaissance repose sur une liste limitative de cas fixés par le règlement annexé à la convention d’assurance chômage du 15 novembre 2024. Parmi ces cas figurent notamment :

  • le suivi du conjoint qui change de résidence pour exercer un nouvel emploi ;
  • un mariage ou un PACS entraînant un déménagement incompatible avec la poursuite de l’activité professionnelle ;
  • la démission d’un salarié mineur pour suivre ses parents ;
  • des violences conjugales rendant indispensable un changement de domicile.

La reconnaissance du caractère légitime suppose aussi que le salarié remplisse les conditions d’affiliation exigées pour bénéficier de l’ARE, notamment avoir travaillé un nombre suffisant de jours au cours des 24 ou 36 derniers mois selon son âge.

Démission pour reconversion professionnelle ou création d’entreprise

Depuis le 1er novembre 2019, l’article L.5422-1 du Code du travail est complété par un dispositif permettant à certains salariés de démissionner pour mener à bien un projet professionnel sérieux. Ce droit est encadré et conditionné à :

  • la validation du projet par une commission paritaire interprofessionnelle régionale (CPIR), qui atteste de son sérieux et de sa viabilité ;
  • une durée minimale d’affiliation, soit au moins 1300 jours travaillés sur les 60 derniers mois précédant la démission (article 4 du règlement général de l’Assurance chômage).

Cette procédure exige une anticipation rigoureuse du salarié, une préparation du projet et une démarche formalisée auprès de France Travail, anciennement Pôle emploi.

Rupture conventionnelle : une solution consensuelle

Encadrée par les articles L.1237-11 et suivants du Code du travail, la rupture conventionnelle constitue une alternative sécure et négociée pour quitter un CDI tout en ouvrant droit au chômage. Elle repose sur un accord bilatéral entre l’employeur et le salarié et donne lieu à :

  • une indemnité spécifique de rupture ;
  • une homologation par l’administration ;
  • le bénéfice de l’ARE après application des délais de carence (différé d’indemnisation congés payés, différé spécifique et délai d’attente légal).

Attention : l’employeur n’a aucune obligation d’accepter cette demande. La négociation et la qualité des échanges sont donc déterminantes.

Rupture aux torts de l’employeur : résiliation judiciaire et prise d’acte

Lorsqu’un employeur manque gravement à ses obligations (non-paiement du salaire, harcèlement, modification unilatérale du contrat…), le salarié peut engager une rupture de son initiative tout en imputant la responsabilité à l’employeur. Deux voies principales s’offrent à lui :

  • la résiliation judiciaire du contrat, demandée devant le conseil de prud’hommes et produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si elle est reconnue ;
  • la prise d’acte de la rupture, qui rompt immédiatement le contrat mais dont les effets (licenciement ou démission) sont appréciés a posteriori par le juge.

En cas de manquement avéré, ces voies permettent de bénéficier de l’ARE. Mais en l’absence de faute reconnue, le salarié sera considéré comme démissionnaire et privé de droit au chômage.

Rupture anticipée du CDD : cas limités

La démission étant inexistante en CDD, sa rupture de manière anticipée n’est possible que dans les cas prévus à l’article L.1243-1 du Code du travail, notamment :

  • accord mutuel des parties ;
  • faute grave de l’une des parties ;
  • force majeure ;
  • inaptitude médicalement constatée ;
  • obtention d’un CDI dans une autre entreprise.

Dans ces hypothèses, si la rupture est justifiée par l’une des causes légales et si le salarié satisfait aux conditions générales d’attribution, il pourra bénéficier des allocations chômage.

Abandon de poste : une stratégie désormais risquée

Jadis toléré comme un moyen détourné de quitter un emploi, l’abandon de poste est désormais assimilé à une présomption de démission par la loi n°2022-1598 du 21 décembre 2022, complétée par le décret n°2023-275 du 17 avril 2023. L’article L.1237-1-1 du Code du travail prévoit qu’en cas d’abandon volontaire et prolongé du poste sans justification, l’employeur peut mettre en demeure le salarié de reprendre son activité. L’absence de réponse équivaut alors à une démission présumée, privant le salarié de tout droit aux allocations.

Même si l’employeur choisit plutôt un licenciement pour faute grave, le salarié s’expose à une suspension de salaire pendant toute la période de carence, voire à une dégradation de son image professionnelle auprès de futurs recruteurs.

S’inscrire à France Travail : une formalité indispensable

Quelle que soit la modalité de rupture du contrat de travail, l’accès au chômage suppose une inscription en tant que demandeur d’emploi sur le site francetravail.fr ou auprès d’une agence. Cette inscription doit intervenir dans les 12 mois suivant la rupture du contrat, délai au-delà duquel les droits peuvent être perdus sauf exceptions (congé parental, maladie…).

Le dossier à constituer comprend notamment :

  • une attestation France Travail fournie par l’employeur ;
  • les certificats de travail des 24 à 36 derniers mois ;
  • une pièce d’identité ;
  • un RIB.

Après validation, le versement des allocations chômage est soumis à un délai de carence variable selon les circonstances (congés payés non pris, indemnité supra-légale, délai d’attente de 7 jours…).

Conclusion

Quitter son emploi n’est jamais un acte anodin. En effet, les incidences juridiques, économiques et personnelles d’une rupture de contrat de travail doivent être sérieusement anticipées.

Le régime de l’assurance chômage, bien que protecteur, demeure strict dans ses conditions d’ouverture de droits. La démission « classique », sauf exception légale ou projet encadré, demeure incompatible avec la perception de l’ARE, ce qui peut conduire à une situation de privation de ressources si elle est engagée sans préparation.

C’est pourquoi il est essentiel de connaître les dispositifs existants, leur cadre juridique et leurs implications : une rupture conventionnelle bien négociée, une prise d’acte fondée sur des manquements graves, ou encore une démission pour reconversion validée par la CPIR, peuvent permettre au salarié d’envisager l’avenir sereinement tout en bénéficiant du soutien de France Travail.

À l’inverse, un abandon de poste ou une rupture anticipée de CDD non justifiée peuvent se révéler contre-productifs et sources de contentieux.

En définitive, chaque situation appelle une analyse individualisée à la lumière des articles du Code du travail, des conventions collectives applicables, et des dernières réformes de l’assurance chômage. Anticiper, se faire accompagner et choisir la voie appropriée sont les clefs pour protéger ses droits tout en amorçant un nouveau départ professionnel en toute légalité. Pour aller plus loin, defendstesdroits.fr met à disposition une base documentaire fiable et des juristes pour accompagner chaque salarié dans ses démarches.

FAQ

1. Peut-on percevoir les allocations chômage après une démission volontaire ?

En principe, la démission exclut le droit aux allocations chômage. L’article L.5422-1 du Code du travail précise que seules les personnes involontairement privées d’emploi peuvent percevoir l’allocation d’aide au retour à l’emploi (ARE), versée par France Travail.

Cependant, il existe une liste de cas de démissions dites « légitimes », définie par le règlement annexé à la convention d’assurance chômage du 15 novembre 2024. Dans ces cas spécifiques, la démission est assimilée à une perte involontaire d’emploi.

Exemples de démissions légitimes :

  • suivi du conjoint qui change de résidence pour un motif professionnel ;
  • déménagement suite à un mariage ou un PACS rendant impossible la poursuite du contrat ;
  • violences conjugales attestées par une plainte ou une ordonnance de protection ;
  • non-paiement du salaire pendant une période prolongée ;
  • jeunes démissionnant pour reprendre un emploi ou une formation qualifiante, dans certaines conditions.

Même si votre démission est légitime, vous devez remplir les conditions d’affiliation (notamment avoir suffisamment travaillé) pour ouvrir des droits à l’ARE.

2. Est-il possible de toucher le chômage en cas de démission pour reconversion professionnelle ou création d’entreprise ?

Oui, depuis le 1er novembre 2019, un dispositif spécial permet aux salariés en CDI de démissionner pour mener à bien un projet professionnel tout en percevant l’ARE, à condition de respecter un parcours encadré.

Les conditions sont les suivantes :

  • le salarié doit justifier d’au moins 1300 jours travaillés sur les 60 derniers mois (article 4 du règlement annexé à la convention du 15 novembre 2024) ;
  • le projet doit être réel, sérieux et validé par une Commission Paritaire Interprofessionnelle Régionale (CPIR) ;
  • le salarié doit formuler sa demande en amont de la démission en s’adressant à un Conseil en évolution professionnelle (CEP).

Le projet peut être une reconversion par la formation, une création d’entreprise ou une reprise d’activité. Le respect strict de la procédure est indispensable : à défaut, la démission sera considérée comme volontaire et ne donnera pas droit au chômage.

3. La rupture conventionnelle permet-elle de bénéficier du chômage après un CDI ?

Oui, la rupture conventionnelle du CDI, régie par les articles L.1237-11 à L.1237-16 du Code du travail, est l’un des moyens les plus utilisés pour quitter un emploi en conservant ses droits au chômage.

Elle suppose un accord commun entre le salarié et l’employeur, formalisé par la signature d’une convention. Cette convention est ensuite soumise à homologation par l’administration (DDETS ou DREETS).

Le salarié perçoit :

  • une indemnité spécifique (au moins égale à l’indemnité légale de licenciement) ;
  • les allocations chômage, dès que les délais de carence sont écoulés :
    • 7 jours de délai d’attente (article R.5422-1 du Code du travail) ;
    • un différé d’indemnisation spécifique en cas d’indemnité supra-légale ;
    • un différé congés payés.

À noter : l’employeur n’a pas l’obligation d’accepter une rupture conventionnelle. Il s’agit d’une négociation, et non d’un droit unilatéral.

4. Quels recours si mon employeur ne respecte pas ses obligations contractuelles ?

Lorsque l’employeur commet des manquements graves à ses obligations (non-paiement du salaire, harcèlement, modification du contrat, discrimination...), le salarié peut engager une rupture aux torts de l’employeur.

Deux mécanismes existent :

  • la prise d’acte de la rupture : le salarié met fin au contrat de façon unilatérale et saisit le Conseil de prud’hommes, qui jugera si les faits reprochés justifient la rupture. Si oui, la prise d’acte produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, ouvrant droit au chômage (Cass. soc., 26 mars 2014, n°12-23.634) ;
  • la résiliation judiciaire : le salarié saisit le juge sans quitter son poste, et continue à percevoir son salaire jusqu’au jugement. Si le juge résilie le contrat aux torts de l’employeur, cela ouvre également droit au chômage.

Ces procédures nécessitent des preuves solides (lettres de réclamation, témoignages, attestations médicales, etc.). L’accompagnement d’un avocat est vivement recommandé.

5. Pourquoi l’abandon de poste ne permet-il plus de toucher le chômage ?

Avant 2023, de nombreux salariés utilisaient l’abandon de poste pour se faire licencier et toucher le chômage. Ce contournement est désormais expressément encadré par la loi n°2022-1598 du 21 décembre 2022 et le décret n°2023-275 du 17 avril 2023, qui ont introduit une présomption de démission.

En pratique :

  • l’employeur doit mettre le salarié en demeure de justifier son absence ou de reprendre le travail ;
  • sans réponse dans un délai de 15 jours, le salarié est réputé avoir démissionné (article L.1237-1-1 du Code du travail) ;
  • la démission n’ouvre pas droit à l’ARE, sauf cas de démission légitime.

Même si l’employeur choisit de licencier pour faute grave au lieu d’appliquer la présomption, le salarié peut rester sans revenu plusieurs semaines ou mois.

De plus, l’abandon de poste nuira à votre réputation professionnelle et peut compliquer la recherche d’un futur emploi si des références sont sollicitées.

Articles Récents

Besoin d'aide ?

Nos équipes sont là pour vous guider !

Thank you! Your submission has been received!
Oops! Something went wrong while submitting the form.