Travail

Congés payés et arrêt maladie : nouvelles règles à respecter en entreprise

Estelle Marant
Collaboratrice
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Arrêt maladie et congés payés : obligations de l’employeur en 2025

Le droit au congé payé constitue, en droit français comme en droit européen, une garantie fondamentale du salarié. Affirmé par l’article L3141-1 du code du travail et consacré par l’article 31§2 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ce droit s’est longtemps heurté aux spécificités du régime des arrêts maladie, provoquant des divergences d’interprétation entre le législateur français et la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE).

En pratique, la question de savoir si un salarié en arrêt maladie — qu'il soit lié à une maladie professionnelle, un accident du travail ou une maladie non professionnelle — pouvait acquérir des congés payés durant cette période d'inactivité, demeurait source d’incertitudes. Cette situation était d’autant plus problématique qu’elle portait atteinte au principe d’égalité de traitement entre les travailleurs, pourtant consacré tant en droit interne qu'en droit communautaire.

Le contentieux, alimenté par la jurisprudence de la CJUE et les arrêts récents de la Cour de cassation (notamment cass. soc. 13 septembre 2023, n° 22-17340 et cass. soc. 2 octobre 2024, n° 23-14806), a contraint le législateur français à intervenir. C’est dans ce contexte que s’inscrit la loi n° 2024-364 du 22 avril 2024, dite loi ddadue, venant harmoniser les règles nationales avec les exigences européennes.

Cette réforme marque une rupture majeure dans la gestion des droits à congés payés en entreprise, posant de nouvelles obligations à la charge des employeurs et conférant de nouveaux droits aux salariés, y compris ceux en situation de vulnérabilité médicale.

Les entreprises doivent désormais intégrer ces évolutions dans leur pratique RH, leur gestion des ressources humaines et leur conformité sociale, au risque de s’exposer à des contentieux prud’homaux, avec des effets rétroactifs pouvant remonter jusqu’au 1er décembre 2009.

Dès lors, une analyse approfondie des nouvelles dispositions du code du travail, enrichie par les références jurisprudentielles pertinentes, s’impose afin de sécuriser la gestion des absences en entreprise et prévenir tout risque juridique.

Sommaire

  1. Introduction
  2. Assimilation de l’arrêt maladie à du temps de travail effectif
  3. Report des congés payés en cas d’impossibilité de prise
  4. Obligations d’information pesant sur l’employeur
  5. Rétroactivité partielle des nouvelles dispositions
  6. Impact sur les intérimaires et les travailleurs temporaires
  7. Régime antérieur désormais abrogé
  8. Règles de prescription
  9. Conclusion
  10. FAQ

Assimilation de l’arrêt maladie à du temps de travail effectif

La loi n° 2024-364 du 22 avril 2024, dite loi ddadue, adapte le droit français au droit de l’Union européenne, conformément à la jurisprudence européenne et aux arrêts de la Cour de cassation (cass. soc. 13 septembre 2023, n° 22-17340). Elle modifie en profondeur les dispositions du code du travail relatives à l’acquisition des congés payés durant un arrêt maladie.

Selon l’article L3141-5 du code du travail, la période d'absence liée à un accident du travail ou à une maladie professionnelle est désormais assimilée sans limite de durée à du temps de travail effectif pour l'acquisition des congés payés. La restriction antérieure d'un an est donc supprimée.

En cas d’arrêt pour maladie ou accident non professionnel, la situation évolue également. Le législateur a consacré cette assimilation à du temps de travail effectif, en reprenant la solution dégagée par la Cour de cassation (cass. soc. 13 septembre 2023, n° 22-10529). Désormais, chaque salarié en arrêt maladie acquiert 2 jours ouvrables de congés payés par mois, dans la limite de 24 jours par an (article L3141-5-1 du code du travail), contre 2,5 jours et 30 jours pour les salariés en arrêt lié à un AT/MP.

Report des congés payés en cas d’impossibilité de prise

Lorsque le salarié est dans l'incapacité de prendre ses congés payés en raison de la poursuite de son arrêt maladie, le report est encadré par l’article L3141-19-1 du code du travail : une période de 15 mois est accordée à compter de la reprise ou de la notification des informations obligatoires par l’employeur. Ce report légal peut être allongé par accord collectif (article L3141-21-1 du code du travail) mais non réduit.

Pour les salariés en arrêt depuis plus d'un an, le point de départ du report est fixé à la fin de la période de référence (article L3141-19-2 du code du travail). La période de report est ensuite suspendue jusqu’à la réception des informations prévues par l’article L3141-19-3.

Obligations d’information pesant sur l’employeur

L’employeur est tenu d’informer le salarié du nombre de jours de congés payés acquis et de leur période de prise. Cette information doit être transmise dans un délai d’un mois suivant la reprise de travail, par tout moyen conférant date certaine (notamment par le bulletin de paie). À défaut, le délai de report des 15 mois ne peut courir.

Cette obligation est désormais prévue par l’article L3141-19-3 du code du travail, en application de la jurisprudence européenne sur l'effectivité du droit aux congés (CJUE, 9 novembre 2023, aff. C-271/22 à C-275/22, Keolis Agen).

Rétroactivité partielle des nouvelles dispositions

Les nouvelles règles relatives aux arrêts maladie non professionnels et au report des congés ont un effet rétroactif sur les périodes d'arrêt courant depuis le 1er décembre 2009 (article 37 de la loi n° 2024-364). Les salariés concernés disposent d'un délai de forclusion de 2 ans à compter du 22 avril 2024 pour agir devant le conseil de prud'hommes (article L3141-3 du code du travail), sauf s’ils ont quitté l’entreprise avant cette date : dans ce cas, le délai triennal de droit commun s’applique.

En revanche, la suppression de la limite d'un an pour les arrêts AT/MP ne s'applique que pour l'avenir, la Cour de cassation ayant précisé son caractère non rétroactif (cass. soc. 2 octobre 2024, n° 23-14806).

Impact sur les intérimaires et les travailleurs temporaires

Les travailleurs intérimaires et autres travailleurs temporaires sont pleinement concernés par les nouvelles dispositions introduites par la loi du 22 avril 2024. Désormais, les périodes d’arrêt maladie, qu’il s’agisse d’un accident du travail, d’une maladie professionnelle ou d’une maladie non professionnelle, sont assimilées à du temps de travail effectif pour l’acquisition des congés payés. Cette réforme constitue une avancée significative en matière d'égalité de traitement.

Jusqu'à présent, les intérimaires percevaient principalement une indemnité compensatrice de congés payés à la fin de chaque mission, prévue par les articles L1251-19 et suivants du code du travail, en compensation du fait qu'ils ne bénéficiaient pas toujours d'une prise effective des congés. Mais cette indemnisation spécifique ne remettait pas en cause le principe général de l’acquisition des congés payés.

Avec la réforme, l'acquisition de droits à congés durant les périodes d'absence pour maladie est désormais garantie, quel que soit le type de contrat de travail. La règle s'uniformise donc : qu'il s'agisse d’un salarié en CDI, en CDD ou en contrat de mission d'intérim, toute période d’arrêt maladie ouvre désormais droit à l’acquisition de congés payés dans les conditions prévues par les articles L3141-5 et L3141-5-1 du code du travail.

En conséquence, les agences d'intérim et les entreprises utilisatrices devront adapter leurs pratiques administratives et comptables. Elles devront comptabiliser les congés payés acquis pendant les absences, informer les salariés concernés, et veiller à ce que la gestion des bulletins de paie reflète correctement ces nouveaux droits, conformément aux obligations d'information prévues par l’article L3141-19-3.

Cette harmonisation permet de mettre fin aux éventuelles discriminations indirectes pouvant affecter les travailleurs intérimaires, tout en renforçant leur protection sociale, conformément aux objectifs poursuivis par le droit européen en matière de non-discrimination et de protection des travailleurs précaires.

Régime antérieur désormais abrogé

Avant l’intervention de la loi ddadue, la jurisprudence considérait, conformément à l'article L3141-3 du code du travail, que le salarié en arrêt maladie non professionnel ne pouvait acquérir de congés payés durant son absence, faute de travail effectif. Ce principe, jugé non conforme au droit européen (directive 2003/88/CE), a été abandonné par la Cour de cassation (cass. soc. 13 septembre 2023, n° 22-17340).

Le report des congés non pris était également mal encadré : en l'absence de texte, les entreprises considéraient souvent que le salarié perdait ses droits à congés payés au-delà de la période de référence. La CJUE a censuré cette approche, exigeant que l'État fixe une limite raisonnable, retenue à 15 mois par le législateur français, dans le respect de l'article 7 de la directive 2003/88/CE.

Règles de prescription

Le délai de prescription de l’indemnité compensatrice de congés payés demeure fixé à 3 ans, conformément aux dispositions de l'article L3141-13 du code du travail. Ce délai constitue la période durant laquelle le salarié peut réclamer, en justice ou à l’amiable, la compensation financière correspondant à ses congés payés non pris. Toutefois, la simple fixation d’un délai ne suffit pas : encore faut-il que le salarié ait été en mesure de faire valoir effectivement son droit.

En effet, la jurisprudence de la Cour de cassation et le droit de l’Union européenne exigent que le point de départ du délai de prescription soit subordonné à l’accomplissement, par l'employeur, des obligations d'information relatives aux droits à congés.

Plus précisément, tant que l’employeur n’a pas informé le salarié du nombre de jours de congé acquis et de la période pendant laquelle ceux-ci peuvent être pris, la prescription triennale ne commence pas à courir. Cette obligation d'information est clairement posée par l'article L3141-19-3 du code du travail.

Ainsi, si l’employeur omet de délivrer cette information obligatoire, le délai de prescription est suspendu. Le salarié conserve alors la possibilité de réclamer ses droits sans limite dans le temps, tant que l'information n'a pas été fournie. Cela signifie que l’inertie de l'employeur prolonge, de fait, la période pendant laquelle le salarié peut faire valoir ses droits à congés payés ou à indemnité compensatrice.

Cette règle vise à garantir le respect effectif du droit au congé annuel payé, reconnu comme un principe fondamental du droit social européen (article 31 §2 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne), et protégé par l’article 7 de la directive 2003/88/CE.

En pratique, cela impose à l’employeur une vigilance accrue dans la gestion administrative des congés. À défaut, il s’expose à des réclamations tardives pouvant remonter sur plusieurs années, voire décennies, si l’information n’a jamais été correctement délivrée.

Conclusion

Les nouvelles règles introduites par la loi ddadue et codifiées dans les articles L3141-5, L3141-5-1, L3141-19-1 à L3141-19-3 du code du travail imposent aux employeurs une profonde révision de leur gestion administrative des congés payés des salariés en arrêt de travail, qu'il soit d'origine professionnelle ou non professionnelle.

La reconnaissance de l’assimilation de l'arrêt maladie à du temps de travail effectif, ainsi que l’instauration d’un report de 15 mois en cas d’impossibilité de prise des congés, créent de nouvelles obligations d’information à la charge de l’employeur. Ce dernier doit garantir au salarié la possibilité effective de bénéficier de son droit, conformément à la jurisprudence européenne.

La dimension rétroactive de la réforme, notamment pour les arrêts intervenus depuis le 1er décembre 2009, accentue les risques de contentieux devant le conseil de prud’hommes, justifiant la nécessité pour les employeurs de procéder à une audite interne de la gestion des congés et d’adapter leurs pratiques RH.

Les salariés, de leur côté, se voient reconnaître un droit renforcé, qu'ils peuvent faire valoir dans les délais légaux de deux ou trois ans selon leur situation, avec l’appui du juge prud’homal si nécessaire.

Au regard de la portée de cette réforme, il appartient à chaque entreprise de sécuriser la gestion de ses ressources humaines en veillant au respect strict des dispositions du code du travail, mais aussi des conventions collectives et accords d’entreprise applicables, le tout dans le respect des principes fondamentaux du droit européen.

FAQ

1. Comment un salarié en arrêt maladie acquiert-il des congés payés ?
Depuis l'entrée en vigueur de la loi n° 2024-364 du 22 avril 2024, le salarié acquiert des congés payés même lorsqu'il est en arrêt maladie, qu'il s'agisse d'un arrêt d'origine professionnelle ou non. Selon l’article L3141-5-1 du code du travail, pour un arrêt maladie non professionnelle, le salarié cumule 2 jours ouvrables de congés payés par mois d'absence, dans la limite de 24 jours ouvrables par an (soit 4 semaines). En revanche, lorsqu'il s'agit d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle, l’acquisition est fixée à 2,5 jours ouvrables par mois, soit 30 jours ouvrables par an. L'arrêt maladie est ainsi assimilé à du temps de travail effectif pour le calcul des droits à congé.

2. Combien de temps le salarié dispose-t-il pour prendre ses congés après son retour ?
Le salarié qui n'a pas pu prendre ses congés payés en raison de son arrêt de travail bénéficie, à compter de son retour ou de l’information remise par l’employeur, d'une période de report de 15 mois. Cette durée de report est prévue par l’article L3141-19-1 du code du travail et peut être allongée par un accord collectif, sans toutefois pouvoir être réduite en dessous de ce seuil légal. Ce report est essentiel pour garantir l'exercice effectif du droit au congé payé, conformément aux exigences européennes et à la jurisprudence de la CJUE. Si le salarié ne prend pas ses congés dans ce délai, ceux-ci seront définitivement perdus.

3. L’employeur est-il obligé d’informer le salarié de ses droits à congés payés ?
Oui, conformément à l’article L3141-19-3 du code du travail, l'employeur doit informer chaque salarié, dans un délai d'un mois suivant sa reprise d'activité, du nombre de jours de congé dont il dispose et des périodes pendant lesquelles il peut les utiliser. Cette information doit être communiquée par tout moyen conférant date certaine, tel que le bulletin de paie ou une notification écrite. Cette obligation vise à permettre au salarié d'exercer réellement son droit au congé payé, condition exigée par le droit européen pour faire courir le délai de prescription ou de report.

4. La réforme des congés payés est-elle rétroactive ?
Oui, mais de manière partielle. La rétroactivité concerne uniquement l'acquisition de congés payés pendant les arrêts maladie non professionnels depuis le 1er décembre 2009, conformément à l’article 37 de la loi n° 2024-364. Les salariés concernés peuvent ainsi réclamer la régularisation de leurs droits sur cette période. En revanche, pour les accidents du travail et maladies professionnelles, la suppression de la limite d'un an n'a pas d'effet rétroactif. Cette mesure s'applique uniquement aux arrêts postérieurs à la promulgation de la loi, soit à partir du 22 avril 2024, comme précisé par la Cour de cassation (cass. soc. 2 octobre 2024, n° 23-14806).

5. Quels sont les délais pour agir en justice en cas de litige sur les congés payés ?
Le salarié encore en poste au 22 avril 2024 dispose d'un délai de forclusion de 2 ans pour agir devant le conseil de prud'hommes afin de réclamer ses droits à congés payés non acquis ou non pris. Ce délai court à compter de la date d'entrée en vigueur de la loi. Pour les salariés ayant quitté l’entreprise avant cette date, le délai de prescription triennal classique s'applique, conformément aux règles du code du travail et de la jurisprudence. Passé ces délais, aucune action en justice n’est recevable. Ces dispositions assurent la sécurité juridique des entreprises tout en garantissant le respect des droits des salariés.

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