Préserver le cadre de vie et les intérêts économiques du conjoint survivant est une priorité pour de nombreux couples. Or, à défaut d’anticipation, les droits successoraux légaux peuvent s’avérer insuffisants, voire inadaptés. Entre régime matrimonial, dispositions testamentaires, et mécanismes conventionnels, la protection efficace du conjoint suppose une approche sur mesure.
Le premier levier de protection réside dans le choix du régime matrimonial, lequel détermine le partage du patrimoine avant toute ouverture de la succession.
Dans le cadre du régime légal de la communauté réduite aux acquêts, chaque époux est censé être copropriétaire de moitié des biens acquis à deux, y compris la résidence principale, indépendamment des contributions respectives. Ainsi, au décès de l’un, le conjoint survivant est présumé détenir 50 % des biens communs, avant que s’ouvre la succession sur la part du défunt.
En revanche, dans un régime de séparation de biens, le patrimoine de chaque époux est distinct. À ce titre, le survivant ne reçoit rien par le jeu du régime matrimonial, sauf s’il justifie de créances (ex. financement d’un bien de l’autre conjoint). Il ne peut prétendre qu’à la part successorale que la loi ou des dispositions volontaires lui octroient.
Quant à la communauté universelle, elle permet de considérer tous les biens du couple comme communs, y compris ceux acquis avant le mariage ou reçus par héritage. Lorsqu’elle est assortie d’une clause d’attribution intégrale, le conjoint survivant devient plein propriétaire de l’intégralité du patrimoine commun. C’est l’option la plus protectrice… mais elle écarte les enfants de toute vocation successorale au premier décès.
⚖️ Conseil patrimonial : en cas de disparité patrimoniale, les époux peuvent créer une société d’acquêts dans un régime séparatiste afin d’y loger des biens communs (notamment la résidence principale), tout en conservant une certaine étanchéité entre les patrimoines.
Au décès d’un époux, le conjoint survivant dispose de droits successoraux définis par le Code civil, auxquels peuvent s’ajouter des droits particuliers sur le logement. Toutefois, cette base légale peut s’avérer insuffisante pour garantir une sécurité patrimoniale optimale, surtout dans les familles recomposées ou les situations patrimoniales complexes. C’est pourquoi la loi permet de l’aménager par anticipation, via des dispositions conventionnelles ou testamentaires.
Lorsque tous les enfants sont issus du couple, l’article 757 du Code civil prévoit que le conjoint survivant peut choisir entre deux options :
Ce choix doit être exercé dans les trois mois suivant l’interpellation par les héritiers, faute de quoi l’option par défaut s’applique.
Lorsque le défunt laisse des enfants non communs, la situation est moins favorable. Le conjoint survivant ne peut prétendre qu’au quart de la succession en pleine propriété. L’usufruit total de la succession lui est interdit, sauf volonté expresse du défunt par testament ou donation entre époux.
Cette restriction vise à préserver les droits des enfants issus d’une autre union, mais peut placer le conjoint survivant dans une situation financière délicate, en particulier s’il ne dispose pas de revenus personnels importants.
Indépendamment de la succession proprement dite, le conjoint survivant bénéficie de droits spécifiques sur le logement familial (articles 763 à 765-1 du Code civil) :
La loi permet d’accroître les droits du conjoint survivant dans les limites de la quotité disponible (part de succession dont le défunt peut librement disposer), notamment grâce aux outils suivants :
Prévue à l’article 1094-1 du Code civil, cette donation permet à l’époux survivant de recevoir :
Nombre d'enfantsQuotité disponible spéciale (en pleine propriété)1 enfant1/22 enfants1/33 enfants et +1/4
Cette donation est révocable à tout moment, ce qui lui confère souplesse et adaptabilité. Elle est souvent intégrée dans le contrat de mariage ou établie par acte notarié autonome.
Par testament, un époux peut léguer l’universalité de ses biens à son conjoint survivant, tout en respectant les droits des enfants réservataires (article 912 et suivants du Code civil). La clause de réduction facultative permet au conjoint de limiter ses droits afin d’éviter des conflits ou des recours judiciaires de la part des héritiers.
Cette formule est particulièrement utile dans les situations de recomposition familiale, lorsqu’on souhaite conférer au conjoint la liberté de choix sur ce qu’il souhaite effectivement recueillir.
La clause de préciput, prévue à l’article 1515 du Code civil, est une disposition du contrat de mariage permettant au conjoint survivant de prélever un ou plusieurs biens communs avant tout partage successoral. Elle n’affecte pas la réserve des enfants ni la quotité disponible, car elle s’exerce en dehors de la succession.
Elle est particulièrement indiquée pour protéger la résidence principale, des comptes bancaires, ou des biens affectifs et stratégiques (mobilier, véhicule, parts de société).
Depuis l’avis n° 9001 de la Cour de cassation du 21 mai 2025 (Cass. 1re civ., 21 mai 2025, n° 23-19.780), il est désormais établi que le prélèvement par clause de préciput est exonéré du droit de partage de 2,5 %, ce qui renforce considérablement son intérêt fiscal et patrimonial.
La protection du conjoint ne peut se résumer à un simple choix de régime matrimonial. Il convient de réévaluer régulièrement la stratégie patrimoniale à la lumière des événements familiaux (naissance, séparation, recomposition), patrimoniaux (héritage, acquisition, cession) ou professionnels (création d’entreprise, transmission, mise à la retraite).
Pour les chefs d’entreprise, le régime de séparation de biens reste souvent privilégié en phase de création, afin d’éviter la mise en péril du patrimoine familial en cas de faillite ou de dettes professionnelles. Mais cette option peut priver le conjoint survivant de droits, si elle n’est pas compensée par une organisation successorale adaptée.
Solutions envisageables :
Se poser la question « comment protéger mon conjoint s’il m’arrivait quelque chose ? » n’est pas un exercice lugubre. C’est une responsabilité familiale, et même un acte d’amour. Une solution mal calibrée, ou un défaut d’anticipation, peut provoquer des indivisions successorales longues, des conflits familiaux, voire la vente forcée de la résidence principale.
Il est donc essentiel de consulter un notaire ou un avocat en droit patrimonial pour concevoir une stratégie personnalisée, prenant en compte la configuration familiale, le patrimoine, la situation matrimoniale et les aspirations de chacun.
La protection du conjoint survivant repose sur trois piliers :
Bien anticipée, cette organisation garantit à la fois la sécurité du conjoint survivant et la paix des héritiers. Faute de quoi, les droits successoraux risquent d’entrer en concurrence, au détriment de l’équilibre familial.