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Conjoint survivant : quels sont ses droits en cas de succession et comment les renforcer ?

Jordan Alvarez
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Protéger le conjoint survivant : quelles stratégies patrimoniales mettre en place ?

Préserver le cadre de vie et les intérêts économiques du conjoint survivant est une priorité pour de nombreux couples. Or, à défaut d’anticipation, les droits successoraux légaux peuvent s’avérer insuffisants, voire inadaptés. Entre régime matrimonial, dispositions testamentaires, et mécanismes conventionnels, la protection efficace du conjoint suppose une approche sur mesure.

Le régime matrimonial : premier rempart de la protection du conjoint survivant

Le premier levier de protection réside dans le choix du régime matrimonial, lequel détermine le partage du patrimoine avant toute ouverture de la succession.

Dans le cadre du régime légal de la communauté réduite aux acquêts, chaque époux est censé être copropriétaire de moitié des biens acquis à deux, y compris la résidence principale, indépendamment des contributions respectives. Ainsi, au décès de l’un, le conjoint survivant est présumé détenir 50 % des biens communs, avant que s’ouvre la succession sur la part du défunt.

En revanche, dans un régime de séparation de biens, le patrimoine de chaque époux est distinct. À ce titre, le survivant ne reçoit rien par le jeu du régime matrimonial, sauf s’il justifie de créances (ex. financement d’un bien de l’autre conjoint). Il ne peut prétendre qu’à la part successorale que la loi ou des dispositions volontaires lui octroient.

Quant à la communauté universelle, elle permet de considérer tous les biens du couple comme communs, y compris ceux acquis avant le mariage ou reçus par héritage. Lorsqu’elle est assortie d’une clause d’attribution intégrale, le conjoint survivant devient plein propriétaire de l’intégralité du patrimoine commun. C’est l’option la plus protectrice… mais elle écarte les enfants de toute vocation successorale au premier décès.

⚖️ Conseil patrimonial : en cas de disparité patrimoniale, les époux peuvent créer une société d’acquêts dans un régime séparatiste afin d’y loger des biens communs (notamment la résidence principale), tout en conservant une certaine étanchéité entre les patrimoines.

Les droits successoraux du conjoint survivant : une base légale à aménager stratégiquement

Au décès d’un époux, le conjoint survivant dispose de droits successoraux définis par le Code civil, auxquels peuvent s’ajouter des droits particuliers sur le logement. Toutefois, cette base légale peut s’avérer insuffisante pour garantir une sécurité patrimoniale optimale, surtout dans les familles recomposées ou les situations patrimoniales complexes. C’est pourquoi la loi permet de l’aménager par anticipation, via des dispositions conventionnelles ou testamentaires.

En présence d’enfants communs

Lorsque tous les enfants sont issus du couple, l’article 757 du Code civil prévoit que le conjoint survivant peut choisir entre deux options :

  • Recevoir la totalité de la succession en usufruit : il dispose alors de l’usage des biens et peut en percevoir les revenus (ex. loyers, dividendes), mais n’en a pas la pleine propriété.
  • Ou recevoir un quart de la succession en pleine propriété, les trois autres quarts revenant aux enfants.

Ce choix doit être exercé dans les trois mois suivant l’interpellation par les héritiers, faute de quoi l’option par défaut s’applique.

En présence d’enfants d’un premier lit

Lorsque le défunt laisse des enfants non communs, la situation est moins favorable. Le conjoint survivant ne peut prétendre qu’au quart de la succession en pleine propriété. L’usufruit total de la succession lui est interdit, sauf volonté expresse du défunt par testament ou donation entre époux.

Cette restriction vise à préserver les droits des enfants issus d’une autre union, mais peut placer le conjoint survivant dans une situation financière délicate, en particulier s’il ne dispose pas de revenus personnels importants.

Des droits particuliers sur le logement : temporaire et viager

Indépendamment de la succession proprement dite, le conjoint survivant bénéficie de droits spécifiques sur le logement familial (articles 763 à 765-1 du Code civil) :

  • Le droit temporaire au logement : il permet d’occuper gratuitement la résidence principale du couple pendant une durée d’un an à compter du décès, ainsi que de percevoir une pension compensatoire s’il n’y vit pas.
  • Le droit viager au logement : s’il vivait effectivement dans le logement au moment du décès, le conjoint peut, sauf opposition testamentaire, en obtenir l’usufruit viager, c’est-à-dire le droit d’y vivre ou d’en percevoir les revenus sa vie durant. Ce droit est déductible de la part successorale, sauf renonciation à tout autre droit.

Anticiper pour mieux protéger : les outils d’aménagement successoral

La loi permet d’accroître les droits du conjoint survivant dans les limites de la quotité disponible (part de succession dont le défunt peut librement disposer), notamment grâce aux outils suivants :

✔️ Donation entre époux (ou donation au dernier vivant)

Prévue à l’article 1094-1 du Code civil, cette donation permet à l’époux survivant de recevoir :

  • La pleine propriété d’un quart de la succession et l’usufruit des trois quarts restants,
  • Ou l’usufruit de la totalité de la succession,
  • Ou la quotité disponible spéciale en pleine propriété, dont l’étendue dépend du nombre d’enfants :

Nombre d'enfantsQuotité disponible spéciale (en pleine propriété)1 enfant1/22 enfants1/33 enfants et +1/4

Cette donation est révocable à tout moment, ce qui lui confère souplesse et adaptabilité. Elle est souvent intégrée dans le contrat de mariage ou établie par acte notarié autonome.

✔️ Legs universel avec clause de réduction facultative

Par testament, un époux peut léguer l’universalité de ses biens à son conjoint survivant, tout en respectant les droits des enfants réservataires (article 912 et suivants du Code civil). La clause de réduction facultative permet au conjoint de limiter ses droits afin d’éviter des conflits ou des recours judiciaires de la part des héritiers.

Cette formule est particulièrement utile dans les situations de recomposition familiale, lorsqu’on souhaite conférer au conjoint la liberté de choix sur ce qu’il souhaite effectivement recueillir.

✔️ Clause de préciput : le prélèvement en dehors de la succession

La clause de préciput, prévue à l’article 1515 du Code civil, est une disposition du contrat de mariage permettant au conjoint survivant de prélever un ou plusieurs biens communs avant tout partage successoral. Elle n’affecte pas la réserve des enfants ni la quotité disponible, car elle s’exerce en dehors de la succession.

Elle est particulièrement indiquée pour protéger la résidence principale, des comptes bancaires, ou des biens affectifs et stratégiques (mobilier, véhicule, parts de société).

Depuis l’avis n° 9001 de la Cour de cassation du 21 mai 2025 (Cass. 1re civ., 21 mai 2025, n° 23-19.780), il est désormais établi que le prélèvement par clause de préciput est exonéré du droit de partage de 2,5 %, ce qui renforce considérablement son intérêt fiscal et patrimonial.

Anticiper, c’est protéger : quand et comment structurer la stratégie patrimoniale du couple ?

La protection du conjoint ne peut se résumer à un simple choix de régime matrimonial. Il convient de réévaluer régulièrement la stratégie patrimoniale à la lumière des événements familiaux (naissance, séparation, recomposition), patrimoniaux (héritage, acquisition, cession) ou professionnels (création d’entreprise, transmission, mise à la retraite).

Cas particulier des entrepreneurs

Pour les chefs d’entreprise, le régime de séparation de biens reste souvent privilégié en phase de création, afin d’éviter la mise en péril du patrimoine familial en cas de faillite ou de dettes professionnelles. Mais cette option peut priver le conjoint survivant de droits, si elle n’est pas compensée par une organisation successorale adaptée.

Solutions envisageables :

  • Création d’une société d’acquêts pour loger des biens communs (résidence principale, parts sociales) ;
  • Mise en place d’une clause alsacienne de reprise des apports (pour anticiper un divorce) ;
  • Donation entre époux ou testament pour protéger le conjoint ;
  • Structuration via un Pacte Dutreil si l’entreprise est transmise.
Le bon moment ? Le plus tôt possible.

Se poser la question « comment protéger mon conjoint s’il m’arrivait quelque chose ? » n’est pas un exercice lugubre. C’est une responsabilité familiale, et même un acte d’amour. Une solution mal calibrée, ou un défaut d’anticipation, peut provoquer des indivisions successorales longues, des conflits familiaux, voire la vente forcée de la résidence principale.

Il est donc essentiel de consulter un notaire ou un avocat en droit patrimonial pour concevoir une stratégie personnalisée, prenant en compte la configuration familiale, le patrimoine, la situation matrimoniale et les aspirations de chacun.

En résumé

La protection du conjoint survivant repose sur trois piliers :

  1. Le régime matrimonial (répartition initiale des biens)
  2. Les droits successoraux légaux, modulables par anticipation
  3. Les clauses patrimoniales ciblées : donation au dernier vivant, clause de préciput, testament

Bien anticipée, cette organisation garantit à la fois la sécurité du conjoint survivant et la paix des héritiers. Faute de quoi, les droits successoraux risquent d’entrer en concurrence, au détriment de l’équilibre familial.

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