Le système français de l’apprentissage repose sur un équilibre délicat entre attractivité pour les entreprises, qualité des formations dispensées par les CFA (centres de formation d’apprentis) et soutenabilité financière pour les pouvoirs publics. À compter du 1er juillet 2025, les décrets n° 2025‑585 et 2025‑586 introduisent un changement structurel dans le mode de prise en charge du contrat d’apprentissage, traduisant une volonté politique claire de régulation budgétaire, de contrôle du service rendu et de responsabilisation des parties.
Cette réforme ne remet pas en cause le principe du financement des formations par les opérateurs de compétences (Opco), mais modifie profondément la logique de versement et les conditions de déclenchement des financements. Elle touche à la fois les modalités de paiement, la structuration des avances, la prise en compte de l’enseignement à distance et la participation financière de l’employeur dans certaines situations. En filigrane, elle redessine les contours du modèle économique de nombreux CFA.
Jusqu’à présent, les CFA percevaient les niveaux de prise en charge selon des modalités largement forfaitaires, fondées sur des échéanciers parfois déconnectés du suivi réel du parcours de l’apprenti. Le décret n° 2025-585 rompt avec cette logique en instaurant un versement au prorata temporis journalier, autrement dit en fonction du nombre de jours effectivement exécutés par le bénéficiaire de la formation.
Ce choix introduit une corrélation plus directe entre financement public et service effectivement rendu. Il tend à responsabiliser les CFA, notamment dans leur capacité à maintenir l’assiduité des apprenants et à limiter les ruptures de contrat, tout en introduisant davantage d’équité entre les établissements.
Dans ce nouveau cadre, la logique du "service fait" devient centrale : les montants perçus ne sont plus garantis d’avance mais conditionnés à l’exécution réelle du contrat. Cela implique une gestion administrative plus rigoureuse, un suivi précis des dates de présence, et potentiellement une transformation des outils de traçabilité.
Le décret introduit par ailleurs une avance supplémentaire à l’ouverture du contrat, permettant aux CFA de disposer de trésorerie dès le démarrage de la formation. Cette avance vise à compenser les charges initiales supportées par les centres (matériel pédagogique, encadrement, aménagements, etc.), en particulier dans les premières semaines du parcours.
Mais cette souplesse initiale est contrebalancée par la création d’un solde final de 10 %, versé uniquement après constatation du service fait. Ce solde, conditionné à la réalisation complète ou substantielle du parcours de formation, incite à un engagement de qualité dans la durée. Il s’agit donc d’un mécanisme de bonus-malus implicite, où l’achèvement du parcours devient un critère de paiement final.
Pour les CFA, cette logique change la donne financière. Elle les oblige à sécuriser non seulement le démarrage des formations, mais aussi leur continuité, notamment dans les cas d’absences répétées, de ruptures anticipées ou d’interruptions non justifiées.
Autre nouveauté importante : le décret prévoit un calendrier de versement dérogatoire pour les nouveaux centres de formation. Conscients des difficultés d’installation et de la fragilité financière de ces structures au démarrage, les pouvoirs publics introduisent une modulation des rythmes de paiement.
Les nouveaux CFA bénéficieront ainsi d’une avance adaptée, destinée à compenser leur manque de fonds propres ou de réserve. Le solde final, s’il reste en vigueur, fera l’objet d’un calendrier ajusté, permettant une stabilisation progressive. Cette mesure vise à ne pas décourager la création de nouveaux établissements, tout en maintenant un cadre de contrôle budgétaire strict.
L’un des apports majeurs du décret n° 2025‑585 est l’introduction d’un reste à charge obligatoire pour l’employeur, dans le cas où l’apprentissage vise une certification professionnelle de niveau 6 ou supérieur (équivalent Bac+3 à Bac+5 dans le cadre national des certifications).
Concrètement, cela signifie que les niveaux de prise en charge ne couvrent plus intégralement le coût de ces formations longues. L’entreprise devra désormais supporter une part fixe, définie par arrêté, et ne pourra se reposer uniquement sur le financement public. Cette évolution traduit une volonté assumée de réorienter les ressources vers les formations les plus professionnalisantes, souvent plus courtes ou ciblées sur des besoins métiers urgents.
Ce reste à charge a aussi une portée symbolique : il consacre le principe d’une implication financière directe de l’employeur dans les formations les plus qualifiantes, en cohérence avec les objectifs d’emploi durable à l’issue du contrat.
En cas de rupture anticipée d’un contrat d’apprentissage et de conclusion d’un nouveau contrat avec un autre employeur, le décret prévoit que le nouvel employeur bénéficie d’une réduction du montant de sa participation.
Cette mesure s’inscrit dans une logique de sécurisation des parcours. Elle vise à ne pas pénaliser l’employeur de substitution, tout en assurant une continuité de formation pour l’apprenti. Le dispositif favorise ainsi les reprises de contrat, et lutte contre les ruptures sèches sans solution, en allégeant le coût pour les entreprises qui acceptent de s’engager en cours de cycle.
Le décret n° 2025‑586 introduit une mesure technique mais lourde de conséquences : la minoration du niveau de prise en charge lorsque la formation est partiellement à distance. L’objectif affiché est d’ajuster les financements au regard des modalités réelles de formation, en considérant que l’enseignement à distance engage, en moyenne, moins de coûts logistiques et de ressources matérielles.
Pour les CFA, cette réforme nécessite une requalification précise des contenus pédagogiques, afin de distinguer clairement les temps en présentiel et à distance. L’enjeu est également de mieux encadrer la qualité des modules distanciels, et d’éviter les dérives de type « classe fantôme ».
La minoration interroge aussi le modèle économique des établissements ayant massivement investi dans le numérique. Elle risque de provoquer une reconfiguration partielle de l’offre, en rééquilibrant les formats pédagogiques vers le présentiel.
Si les deux décrets du 27 juin 2025 répondent à des impératifs de régulation financière, ils marquent aussi une évolution doctrinale sur la nature même du contrat d’apprentissage et sur les relations entre acteurs.
Ils consacrent un retour à une logique de contrôle du service rendu, avec des versements conditionnels, des avances mesurées, des soldes ajustés et une prise en compte différenciée selon les niveaux de diplôme, les modalités pédagogiques ou les interruptions de parcours.
Ils imposent également une responsabilisation accrue des employeurs et des CFA, tant sur le plan financier que sur la structuration des parcours. Le financement public devient un levier incitatif, adossé à la performance et à la traçabilité.
Les décrets n° 2025‑585 et 2025‑586 inaugurent une ère nouvelle dans le financement des contrats d’apprentissage. Loin de se contenter d’un ajustement technique, ils instaurent une philosophie de pilotage plus fine, intégrant le temps réel, la qualité pédagogique, la continuité du parcours et la responsabilité des parties.
Le défi, pour les CFA comme pour les entreprises, sera de s’adapter à cette nouvelle architecture réglementaire, de mettre à jour leurs outils de gestion et de renforcer leur capacité à sécuriser les parcours d’apprentissage. Si cette réforme introduit davantage de rigueur budgétaire, elle pourrait aussi, à terme, favoriser un apprentissage plus efficient, mieux ciblé, et plus durablement inséré dans le tissu économique.
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