Travail

Démission présumée : ce que change l’abandon de poste depuis 2023

Estelle Marant
Collaboratrice
Partager

Quitter son emploi sans prévenir : chômage, recours et pièges à éviter

L’abandon de poste a longtemps représenté une zone grise du droit du travail, exploitée par certains salariés pour quitter leur emploi sans avoir à formuler une démission explicite. Dans cette configuration, l’absence injustifiée, parfois prolongée volontairement, conduisait à un licenciement pour faute, ouvrant ainsi droit aux allocations chômage.

Ce mécanisme, bien qu’issu de pratiques jurisprudentielles, créait une inégalité de traitement : le salarié qui respectait la procédure de démission se voyait privé de toute indemnisation, tandis que celui qui contournait la règle bénéficiait du soutien de l’assurance chômage.

Face à cette dérive, la loi n°2022-1598 du 21 décembre 2022, portant mesures d’urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi, a introduit un dispositif normatif clair : désormais, un salarié qui abandonne volontairement son poste sans justification légitime est présumé démissionnaire.

Ce basculement majeur du cadre légal, codifié à l’article L1237-1-1 du Code du travail, a pour objectif de réduire le nombre de bénéficiaires de l’ARE ayant quitté volontairement leur emploi. Il s’inscrit dans un mouvement plus large de responsabilisation des salariés face à la rupture du contrat de travail.

Ce nouvel encadrement soulève cependant des enjeux fondamentaux : comment distinguer un abandon de poste fautif d’un comportement justifié ? Le salarié peut-il encore contester la présomption de démission ?

Quelles conséquences concrètes sur ses droits au chômage ? L’objectif de cet article est de décrypter juridiquement ce mécanisme, en détaillant la procédure, les recours ouverts et les effets pratiques pour les deux parties du contrat de travail. À travers une analyse rigoureuse, fondée sur les textes en vigueur et la jurisprudence applicable, nous verrons comment cette réforme modifie en profondeur l’équilibre entre liberté contractuelle et protection sociale.

Sommaire

  1. Qu’est-ce que l’abandon de poste ?
  2. Chômage et abandon de poste : quels sont vos droits ?
  3. La présomption de démission : fonctionnement et procédure
  4. Motifs légitimes : comment échapper à la présomption ?
  5. Quels recours possibles après un abandon de poste ?
  6. Quel choix pour l’employeur : présomption ou licenciement ?
  7. Le cas spécifique du CDD
  8. Conclusion

Qu’est-ce que l’abandon de poste ?

L’abandon de poste se définit comme une absence volontaire, injustifiée et prolongée du salarié, sans autorisation de l’employeur et sans fournir de justification valable. Il constitue une violation des obligations du contrat de travail, notamment de l’exécution de bonne foi.

Traditionnellement, l’employeur confronté à un abandon de poste pouvait engager une procédure de licenciement disciplinaire, généralement pour faute grave. Cette qualification ouvrait droit au chômage pour le salarié, car la perte d’emploi était considérée comme involontaire au sens de l’article L5422-1 du Code du travail.

La présomption de démission : nouveau cadre juridique

Depuis l’entrée en vigueur du nouvel article L1237-1-1 du Code du travail, le salarié qui abandonne son poste sans justification peut être présumé démissionnaire à condition que :

  • l’employeur lui adresse une mise en demeure, par lettre recommandée ou remise en main propre contre décharge ;
  • cette mise en demeure invite le salarié à justifier son absence et à reprendre son poste dans un délai minimal de 15 jours calendaires ;
  • à l’issue de ce délai, aucune réponse n’est donnée, ou le salarié ne reprend pas son poste sans invoquer un motif légitime.

Ce mécanisme légal vise à sécuriser la rupture du contrat de travail et à réduire les demandes d’allocation chômage jugées abusives.

Les motifs légitimes faisant obstacle à la présomption

La loi prévoit expressément que certains motifs peuvent faire échec à la présomption de démission. Il s’agit notamment de :

Si l’un de ces motifs est invoqué dans les délais impartis par l’employeur, la présomption ne peut jouer, et le contrat de travail reste en vigueur.

Quelles conséquences sur l’indemnisation chômage ?

L’un des objectifs majeurs de cette réforme est de restreindre l’accès aux allocations chômage pour les salariés qui quittent volontairement leur emploi via un abandon de poste.

Conformément à l’article L5422-1 précité, seules les ruptures involontaires du contrat ouvrent droit à l’ARE. Ainsi, le salarié présumé démissionnaire n’a plus droit au chômage, sauf exceptions encadrées par la jurisprudence ou le contentieux prud’homal.

Toutefois, si l’employeur renonce à faire jouer la présomption et opte pour un licenciement pour faute, l’ancien salarié peut bénéficier de l’ARE, car la rupture est alors assimilée à une perte involontaire d’emploi (Cass. soc., 22 septembre 2015, n°14-11563).

Contester la présomption de démission : quelle procédure ?

Le salarié peut saisir le conseil de prud’hommes pour contester la nature de la rupture. Il dispose d’un délai d’un mois à compter de la notification de la présomption.

La procédure est portée directement devant le bureau de jugement, conformément à l’article L1237-1-1 alinéa 4. Le juge appréciera la réalité de l’abandon de poste et la valeur du motif légitime éventuellement invoqué.

En cas de succès, le juge peut :

  • écarter la présomption de démission ;
  • requalifier la rupture en licenciement sans cause réelle et sérieuse, voire en prise d’acte justifiée ;
  • ordonner le versement de dommages-intérêts et l’ouverture des droits à l’ARE.

La prise d’acte comme alternative

Le salarié confronté à un manquement grave de son employeur peut, au lieu d’abandonner son poste, recourir à une prise d’acte de la rupture du contrat de travail. Cette procédure, reconnue de longue date par la jurisprudence de la Cour de cassation, constitue une voie de rupture unilatérale, exercée par le salarié, sans préavis, lorsque la poursuite de la relation contractuelle est rendue impossible en raison des agissements fautifs de l’employeur.

Selon l’arrêt de principe Cass. soc., 26 mars 2014, n°12-23.634, la prise d’acte s’analyse comme une démarche exceptionnelle, nécessitant la preuve d’un manquement suffisamment grave à l’encontre de l’employeur. Elle n’est pas à prendre à la légère : elle produit les effets soit d’une démission, soit d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, selon l’appréciation souveraine du juge.

Exemples de fautes de l’employeur pouvant justifier une prise d’acte :

  • Non-paiement total ou partiel du salaire, constitutif d’un manquement à l’article L3242-1 du Code du travail ;
  • Harcèlement moral, prohibé par l’article L1152-1, y compris en cas de carence de l’employeur dans sa prévention ;
  • Mise en danger de la santé ou de la sécurité du salarié, en violation de l’obligation de sécurité de résultat (article L4121-1).

La prise d’acte doit être formalisée par écrit, de manière claire, avec mention explicite des griefs reprochés à l’employeur. Le salarié doit ensuite saisir le Conseil de prud’hommes, qui statuera sur la qualification de la rupture. Si les faits invoqués sont reconnus comme suffisamment graves pour rendre la poursuite du contrat impossible, la rupture produit les effets d’un licenciement abusif, ce qui permet :

  • l’ouverture du droit à l’allocation d’aide au retour à l’emploi (ARE) ;
  • l’octroi éventuel de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
  • le paiement de l’indemnité compensatrice de préavis et de l’indemnité légale ou conventionnelle de licenciement.

⚠️ Si, en revanche, les juges estiment que les faits ne justifient pas une telle rupture, la prise d’acte est requalifiée en démission, sans indemnité, ni chômage.

🛑 À noter : la prise d’acte ne suspend pas le contrat de travail, mais le rompt immédiatement. Le salarié cesse donc toute activité dès sa notification, sans être dispensé de ses obligations si le juge lui donne tort. Elle doit donc être envisagée avec précaution et accompagnement juridique.

Les marges de manœuvre de l’employeur

L’employeur dispose d’un pouvoir d’appréciation important face à une situation d’abandon de poste. Il peut, selon le contexte et les objectifs poursuivis, choisir entre deux voies distinctes :

  • Mettre en œuvre la présomption de démission, telle que prévue à l’article L1237-1-1 du Code du travail. Cette solution est plus rapide, moins formaliste et ne nécessite pas de suivre la procédure de licenciement classique. Elle évite notamment :
    • l’entretien préalable à une éventuelle sanction disciplinaire ;
    • l’élaboration d’un dossier disciplinaire ;
    • et la notification motivée d’un licenciement, conformément aux articles L1232-2 à L1232-6.
    Cette démarche est généralement moins contestable si l’employeur respecte scrupuleusement :
    • les formes de la mise en demeure (lettre recommandée ou remise en main propre contre décharge) ;
    • le délai de 15 jours calendaires ;
    • et l’absence de motif légitime invoqué par le salarié.
  • Opter pour un licenciement disciplinaire, fondé sur une faute grave (article L1234-1 et suivants), ce qui implique :
    • une procédure plus longue et encadrée ;
    • une convocation à entretien préalable ;
    • une possibilité de contestation accrue par le salarié ;
    • mais aussi une ouverture automatique des droits au chômage, car la rupture du contrat est considérée comme involontaire par France Travail.

La liberté de choix de l’employeur entre ces deux options est réelle, mais elle n’est pas absolue : elle peut faire l’objet d’un contrôle juridictionnel, notamment si elle est exercée de manière détournée, discriminatoire ou manifestement abusive. Les juridictions prud’homales peuvent, en cas de contentieux, requalifier la rupture si la procédure de présomption a été utilisée pour éluder les garanties procédurales du salarié.

Abandon de poste et CDD

La présomption de démission introduite à l’article L1237-1-1 du Code du travail concerne exclusivement les contrats à durée indéterminée (CDI). En revanche, elle ne s’applique pas automatiquement aux contrats à durée déterminée (CDD). La jurisprudence actuelle et les principes généraux du droit du travail imposent une approche plus nuancée.

En cas d’abandon de poste par un salarié en CDD, l’employeur ne peut invoquer la présomption de démission. Il doit généralement suivre la voie de la rupture anticipée du contrat pour faute grave, en application de l’article L1243-1 du Code du travail. Cette faute grave doit être sérieusement caractérisée, notamment par :

  • l’intention manifeste du salarié de ne plus exécuter ses obligations contractuelles ;
  • une absence prolongée, non justifiée et non précédée d’un échange avec l’employeur.

La procédure doit respecter les règles du droit disciplinaire, notamment la convocation à entretien préalable, sous peine de nullité du licenciement.

🔎 Cette situation exige une vigilance renforcée, tant pour l’employeur, qui doit sécuriser la procédure, que pour le salarié en contrat précaire, qui risque de perdre tout droit à indemnisation si la rupture est considérée comme volontaire ou fautive.

Conclusion

La réforme du régime de l’abandon de poste marque une rupture importante dans l’articulation entre droit du travail et droit de la sécurité sociale. En instaurant une présomption de démission, le législateur entend mettre fin à une pratique détournée de l’indemnisation du chômage et responsabiliser davantage les salariés dans leur manière de rompre le contrat de travail.

Si cette présomption constitue une arme juridique à la disposition des employeurs, elle doit impérativement respecter une procédure formalisée, encadrée par les textes et susceptible de contrôle judiciaire.

Les salariés ne sont pas pour autant dépourvus de droits : en cas d’abandon de poste motivé par un motif légitime, ils peuvent faire échec à la présomption, voire engager une procédure contentieuse devant le Conseil de prud’hommes pour obtenir une requalification de la rupture. De même, la prise d’acte demeure une voie de droit pertinente en cas de manquement grave de l’employeur à ses obligations contractuelles.

Dans un contexte de réforme continue du régime de l’assurance chômage, il devient essentiel pour chaque partie de bien maîtriser les conséquences juridiques de ses choix et d’anticiper les risques contentieux.

L’enjeu n’est plus seulement contractuel : il touche désormais à la préservation des droits sociaux et à l’équilibre même de la relation de travail. C’est dans ce cadre que defendstesdroits.fr accompagne chaque salarié ou employeur confronté à une situation d’abandon de poste, pour faire valoir ses droits dans le strict respect de la légalité.

FAQ

1. Peut-on percevoir les allocations chômage après un abandon de poste ?

En principe, non. Depuis l’instauration de la présomption de démission par l’article L1237-1-1 du Code du travail, le salarié qui abandonne volontairement son poste et ne justifie pas son absence dans le délai fixé par l’employeur est présumé démissionnaire. Or, selon l’article L5422-1, la démission ne donne pas droit à l’allocation d’aide au retour à l’emploi (ARE), car elle n’est pas considérée comme une perte involontaire d’emploi.

Cependant, il existe deux exceptions importantes à ce principe :

  • Si le salarié invoque un motif légitime reconnu par la loi, la présomption est écartée, et l’abandon de poste ne vaut pas démission.
  • Si l’employeur choisit de licencier le salarié (notamment pour faute grave ou absence injustifiée) au lieu d’appliquer la présomption, le salarié bénéficiera alors du chômage, car le licenciement est une perte involontaire d’emploi.

🔎 À retenir : seul un licenciement prononcé ou une requalification de la rupture par le juge peut ouvrir droit à l’ARE dans ces situations.

2. Comment fonctionne la procédure de présomption de démission en cas d’abandon de poste ?

La procédure, encadrée par les articles L1237-1-1 et R1237-13 du Code du travail, repose sur trois étapes obligatoires :

  1. Mise en demeure du salarié par l’employeur (lettre recommandée ou remise en main propre) lui demandant de :
    • justifier son absence ;
    • reprendre son poste dans un délai d’au moins 15 jours calendaires.
  2. Absence de réponse ou de reprise du poste par le salarié dans ce délai.
  3. À l’issue du délai, l’employeur constate la démission présumée et considère que le contrat de travail est rompu de plein droit.

⚠️ Il n’y a pas d’entretien préalable, ni de procédure disciplinaire, ce qui distingue cette rupture d’un licenciement pour faute.

3. Quels sont les motifs légitimes permettant de faire échec à la présomption de démission ?

La loi reconnaît plusieurs motifs légitimes qui, s’ils sont invoqués dans les délais, empêchent l’application de la présomption. Parmi les motifs explicitement prévus ou admis par la jurisprudence :

  • Un arrêt de travail pour raison médicale, justifié par un certificat d’un médecin (ex : arrêt maladie, accident du travail).
  • L’exercice du droit de retrait en cas de danger grave et imminent (article L4131-1 du Code du travail).
  • La participation à une grève ou à un mouvement collectif, dès lors que le motif est syndical ou revendicatif (article L2511-1).
  • La survenance d’un évènement familial impérieux (maladie grave d’un proche, décès).

Le salarié doit notifier ces motifs à l’employeur dans le délai fixé par la mise en demeure. À défaut, la présomption devient applicable.

📌 Astuce : conserver toutes les preuves écrites de ces justificatifs pour anticiper un éventuel contentieux.

4. Comment contester une présomption de démission devant les prud’hommes ?

Si le salarié estime que la présomption est infondée ou que la procédure n’a pas été respectée, il peut saisir le Conseil de prud’hommes dans un délai d’un mois à compter de la rupture du contrat (article L1237-1-1 alinéa 4).

La procédure est accélérée :

  • L’affaire est portée directement devant le bureau de jugement.
  • Le Conseil doit statuer dans un délai d’un mois sur la qualification de la rupture.

Le salarié peut :

  • Demander à faire annuler la présomption s’il justifie d’un motif légitime ;
  • Obtenir une requalification en licenciement abusif, avec des indemnités à la clé (préavis, dommages-intérêts) ;
  • Ouvrir droit à l’allocation chômage, si la rupture est jugée involontaire.

⚖️ En pratique, les délais sont parfois plus longs que ceux prévus par la loi, ce qui peut laisser le salarié sans revenus pendant plusieurs semaines.

5. Quelles alternatives juridiques pour rompre un contrat de travail sans perdre le chômage ?

Plusieurs mécanismes légaux permettent au salarié de quitter son emploi tout en préservant son droit au chômage, sans recourir à un abandon de poste :

  • La rupture conventionnelle (article L1237-11), accord amiable avec l’employeur, donne systématiquement droit à l’ARE.
  • La prise d’acte de la rupture du contrat en raison de fautes graves de l’employeur (non-paiement des salaires, harcèlement…). Si elle est justifiée, le juge la requalifie en licenciement sans cause réelle et sérieuse, ouvrant droit aux indemnités et au chômage.
  • La démission légitime, reconnue par France Travail, dans certains cas stricts : déménagement pour suivre un conjoint, démission pour création ou reprise d’entreprise, etc.

🔍 Conseil : avant toute rupture de contrat, il est préférable de se faire conseiller par un avocat ou de consulter un juriste spécialisé pour connaître la stratégie adaptée à sa situation personnelle.

Articles Récents

Besoin d'aide ?

Nos équipes sont là pour vous guider !

Thank you! Your submission has been received!
Oops! Something went wrong while submitting the form.