L’abandon de poste a longtemps représenté une zone grise du droit du travail, exploitée par certains salariés pour quitter leur emploi sans avoir à formuler une démission explicite. Dans cette configuration, l’absence injustifiée, parfois prolongée volontairement, conduisait à un licenciement pour faute, ouvrant ainsi droit aux allocations chômage.
Ce mécanisme, bien qu’issu de pratiques jurisprudentielles, créait une inégalité de traitement : le salarié qui respectait la procédure de démission se voyait privé de toute indemnisation, tandis que celui qui contournait la règle bénéficiait du soutien de l’assurance chômage.
Face à cette dérive, la loi n°2022-1598 du 21 décembre 2022, portant mesures d’urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi, a introduit un dispositif normatif clair : désormais, un salarié qui abandonne volontairement son poste sans justification légitime est présumé démissionnaire.
Ce basculement majeur du cadre légal, codifié à l’article L1237-1-1 du Code du travail, a pour objectif de réduire le nombre de bénéficiaires de l’ARE ayant quitté volontairement leur emploi. Il s’inscrit dans un mouvement plus large de responsabilisation des salariés face à la rupture du contrat de travail.
Ce nouvel encadrement soulève cependant des enjeux fondamentaux : comment distinguer un abandon de poste fautif d’un comportement justifié ? Le salarié peut-il encore contester la présomption de démission ?
Quelles conséquences concrètes sur ses droits au chômage ? L’objectif de cet article est de décrypter juridiquement ce mécanisme, en détaillant la procédure, les recours ouverts et les effets pratiques pour les deux parties du contrat de travail. À travers une analyse rigoureuse, fondée sur les textes en vigueur et la jurisprudence applicable, nous verrons comment cette réforme modifie en profondeur l’équilibre entre liberté contractuelle et protection sociale.
L’abandon de poste se définit comme une absence volontaire, injustifiée et prolongée du salarié, sans autorisation de l’employeur et sans fournir de justification valable. Il constitue une violation des obligations du contrat de travail, notamment de l’exécution de bonne foi.
Traditionnellement, l’employeur confronté à un abandon de poste pouvait engager une procédure de licenciement disciplinaire, généralement pour faute grave. Cette qualification ouvrait droit au chômage pour le salarié, car la perte d’emploi était considérée comme involontaire au sens de l’article L5422-1 du Code du travail.
Depuis l’entrée en vigueur du nouvel article L1237-1-1 du Code du travail, le salarié qui abandonne son poste sans justification peut être présumé démissionnaire à condition que :
Ce mécanisme légal vise à sécuriser la rupture du contrat de travail et à réduire les demandes d’allocation chômage jugées abusives.
La loi prévoit expressément que certains motifs peuvent faire échec à la présomption de démission. Il s’agit notamment de :
Si l’un de ces motifs est invoqué dans les délais impartis par l’employeur, la présomption ne peut jouer, et le contrat de travail reste en vigueur.
L’un des objectifs majeurs de cette réforme est de restreindre l’accès aux allocations chômage pour les salariés qui quittent volontairement leur emploi via un abandon de poste.
Conformément à l’article L5422-1 précité, seules les ruptures involontaires du contrat ouvrent droit à l’ARE. Ainsi, le salarié présumé démissionnaire n’a plus droit au chômage, sauf exceptions encadrées par la jurisprudence ou le contentieux prud’homal.
Toutefois, si l’employeur renonce à faire jouer la présomption et opte pour un licenciement pour faute, l’ancien salarié peut bénéficier de l’ARE, car la rupture est alors assimilée à une perte involontaire d’emploi (Cass. soc., 22 septembre 2015, n°14-11563).
Le salarié peut saisir le conseil de prud’hommes pour contester la nature de la rupture. Il dispose d’un délai d’un mois à compter de la notification de la présomption.
La procédure est portée directement devant le bureau de jugement, conformément à l’article L1237-1-1 alinéa 4. Le juge appréciera la réalité de l’abandon de poste et la valeur du motif légitime éventuellement invoqué.
En cas de succès, le juge peut :
Le salarié confronté à un manquement grave de son employeur peut, au lieu d’abandonner son poste, recourir à une prise d’acte de la rupture du contrat de travail. Cette procédure, reconnue de longue date par la jurisprudence de la Cour de cassation, constitue une voie de rupture unilatérale, exercée par le salarié, sans préavis, lorsque la poursuite de la relation contractuelle est rendue impossible en raison des agissements fautifs de l’employeur.
Selon l’arrêt de principe Cass. soc., 26 mars 2014, n°12-23.634, la prise d’acte s’analyse comme une démarche exceptionnelle, nécessitant la preuve d’un manquement suffisamment grave à l’encontre de l’employeur. Elle n’est pas à prendre à la légère : elle produit les effets soit d’une démission, soit d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, selon l’appréciation souveraine du juge.
La prise d’acte doit être formalisée par écrit, de manière claire, avec mention explicite des griefs reprochés à l’employeur. Le salarié doit ensuite saisir le Conseil de prud’hommes, qui statuera sur la qualification de la rupture. Si les faits invoqués sont reconnus comme suffisamment graves pour rendre la poursuite du contrat impossible, la rupture produit les effets d’un licenciement abusif, ce qui permet :
⚠️ Si, en revanche, les juges estiment que les faits ne justifient pas une telle rupture, la prise d’acte est requalifiée en démission, sans indemnité, ni chômage.
🛑 À noter : la prise d’acte ne suspend pas le contrat de travail, mais le rompt immédiatement. Le salarié cesse donc toute activité dès sa notification, sans être dispensé de ses obligations si le juge lui donne tort. Elle doit donc être envisagée avec précaution et accompagnement juridique.
L’employeur dispose d’un pouvoir d’appréciation important face à une situation d’abandon de poste. Il peut, selon le contexte et les objectifs poursuivis, choisir entre deux voies distinctes :
La liberté de choix de l’employeur entre ces deux options est réelle, mais elle n’est pas absolue : elle peut faire l’objet d’un contrôle juridictionnel, notamment si elle est exercée de manière détournée, discriminatoire ou manifestement abusive. Les juridictions prud’homales peuvent, en cas de contentieux, requalifier la rupture si la procédure de présomption a été utilisée pour éluder les garanties procédurales du salarié.
La présomption de démission introduite à l’article L1237-1-1 du Code du travail concerne exclusivement les contrats à durée indéterminée (CDI). En revanche, elle ne s’applique pas automatiquement aux contrats à durée déterminée (CDD). La jurisprudence actuelle et les principes généraux du droit du travail imposent une approche plus nuancée.
En cas d’abandon de poste par un salarié en CDD, l’employeur ne peut invoquer la présomption de démission. Il doit généralement suivre la voie de la rupture anticipée du contrat pour faute grave, en application de l’article L1243-1 du Code du travail. Cette faute grave doit être sérieusement caractérisée, notamment par :
La procédure doit respecter les règles du droit disciplinaire, notamment la convocation à entretien préalable, sous peine de nullité du licenciement.
🔎 Cette situation exige une vigilance renforcée, tant pour l’employeur, qui doit sécuriser la procédure, que pour le salarié en contrat précaire, qui risque de perdre tout droit à indemnisation si la rupture est considérée comme volontaire ou fautive.
La réforme du régime de l’abandon de poste marque une rupture importante dans l’articulation entre droit du travail et droit de la sécurité sociale. En instaurant une présomption de démission, le législateur entend mettre fin à une pratique détournée de l’indemnisation du chômage et responsabiliser davantage les salariés dans leur manière de rompre le contrat de travail.
Si cette présomption constitue une arme juridique à la disposition des employeurs, elle doit impérativement respecter une procédure formalisée, encadrée par les textes et susceptible de contrôle judiciaire.
Les salariés ne sont pas pour autant dépourvus de droits : en cas d’abandon de poste motivé par un motif légitime, ils peuvent faire échec à la présomption, voire engager une procédure contentieuse devant le Conseil de prud’hommes pour obtenir une requalification de la rupture. De même, la prise d’acte demeure une voie de droit pertinente en cas de manquement grave de l’employeur à ses obligations contractuelles.
Dans un contexte de réforme continue du régime de l’assurance chômage, il devient essentiel pour chaque partie de bien maîtriser les conséquences juridiques de ses choix et d’anticiper les risques contentieux.
L’enjeu n’est plus seulement contractuel : il touche désormais à la préservation des droits sociaux et à l’équilibre même de la relation de travail. C’est dans ce cadre que defendstesdroits.fr accompagne chaque salarié ou employeur confronté à une situation d’abandon de poste, pour faire valoir ses droits dans le strict respect de la légalité.
En principe, non. Depuis l’instauration de la présomption de démission par l’article L1237-1-1 du Code du travail, le salarié qui abandonne volontairement son poste et ne justifie pas son absence dans le délai fixé par l’employeur est présumé démissionnaire. Or, selon l’article L5422-1, la démission ne donne pas droit à l’allocation d’aide au retour à l’emploi (ARE), car elle n’est pas considérée comme une perte involontaire d’emploi.
Cependant, il existe deux exceptions importantes à ce principe :
🔎 À retenir : seul un licenciement prononcé ou une requalification de la rupture par le juge peut ouvrir droit à l’ARE dans ces situations.
La procédure, encadrée par les articles L1237-1-1 et R1237-13 du Code du travail, repose sur trois étapes obligatoires :
⚠️ Il n’y a pas d’entretien préalable, ni de procédure disciplinaire, ce qui distingue cette rupture d’un licenciement pour faute.
La loi reconnaît plusieurs motifs légitimes qui, s’ils sont invoqués dans les délais, empêchent l’application de la présomption. Parmi les motifs explicitement prévus ou admis par la jurisprudence :
Le salarié doit notifier ces motifs à l’employeur dans le délai fixé par la mise en demeure. À défaut, la présomption devient applicable.
📌 Astuce : conserver toutes les preuves écrites de ces justificatifs pour anticiper un éventuel contentieux.
Si le salarié estime que la présomption est infondée ou que la procédure n’a pas été respectée, il peut saisir le Conseil de prud’hommes dans un délai d’un mois à compter de la rupture du contrat (article L1237-1-1 alinéa 4).
La procédure est accélérée :
Le salarié peut :
⚖️ En pratique, les délais sont parfois plus longs que ceux prévus par la loi, ce qui peut laisser le salarié sans revenus pendant plusieurs semaines.
Plusieurs mécanismes légaux permettent au salarié de quitter son emploi tout en préservant son droit au chômage, sans recourir à un abandon de poste :
🔍 Conseil : avant toute rupture de contrat, il est préférable de se faire conseiller par un avocat ou de consulter un juriste spécialisé pour connaître la stratégie adaptée à sa situation personnelle.