Lorsqu’un client professionnel dépose le bilan, le fournisseur se retrouve souvent dans une position délicate : il a livré des marchandises, accompli une prestation, émis une facture… mais le règlement ne vient jamais. Cette situation, loin d’être exceptionnelle, représente un risque majeur pour la trésorerie des entreprises, notamment les petites structures, qui dépendent parfois de quelques gros clients.
Le dépôt de bilan correspond juridiquement à la déclaration de cessation des paiements prévue par l’article L631-1 du Code de commerce : l’entreprise débitrice n’est plus en mesure de régler ses dettes exigibles avec son actif disponible. Ce mécanisme déclenche une procédure collective destinée à organiser le traitement des créances, à sauvegarder autant que possible l’activité et à préserver l’emploi.
Pour le fournisseur, il ne s’agit pas seulement d’attendre que la justice tranche, mais de connaître ses droits précis et de respecter des délais stricts. En effet, le créancier doit déclarer sa créance auprès du mandataire judiciaire dans un délai maximum de deux mois suivant la publication du jugement d’ouverture au BODACC .Un oubli ou un retard peut entraîner une forclusion, c’est-à-dire la perte du droit de recouvrer sa créance, sauf à solliciter un relevé de forclusion.
La loi prévoit également un ordre de paiement des créances (créances privilégiées, salariales, fiscales, fournisseurs, etc.), qui conditionne les chances de remboursement. Dans ce contexte, le fournisseur doit non seulement connaître les outils amiables (mise en demeure, conciliation), mais aussi les recours judiciaires qui lui sont ouverts (injonction de payer, assignation).
Cet article de defendstesdroits.fr a pour objectif de donner aux professionnels les clés juridiques pour agir efficacement en cas de dépôt de bilan de leur débiteur, et ainsi préserver leurs intérêts financiers dans un cadre légal souvent complexe.
Un débiteur est considéré en cessation des paiements lorsqu’il se trouve dans l’impossibilité de faire face à son passif exigible avec son actif disponible. Cela signifie concrètement qu’il ne dispose plus de liquidités suffisantes pour payer ses créanciers.
Le dirigeant de l’entreprise débitrice doit déclarer cet état dans un délai de 45 jours au tribunal compétent, sauf s’il a sollicité dans ce laps de temps l’ouverture d’une procédure de conciliation (article L631-4 du Code de commerce).
Le tribunal fixe une date de cessation des paiements, qui marque le point de départ d’une « période suspecte ». Durant cette période, certains actes passés par le débiteur sont annulés de plein droit ou peuvent être frappés de nullité relative (article L632-1 du Code de commerce), notamment :
Ces annulations visent à éviter que certains créanciers ne soient favorisés au détriment des autres.
Avant même l’ouverture officielle d’une procédure collective, le fournisseur peut tenter une mise en demeure sur le fondement de l’article 1344 du Code civil. Ce courrier formel permet d’exiger le paiement dans un délai court. Toutefois, si le dépôt de bilan est imminent, son efficacité reste limitée.
Le fournisseur peut également mandater une société de recouvrement (article R124-3 du Code des procédures civiles d’exécution). Dans ce cas, une convention écrite doit être conclue, donnant mandat à cette société pour agir au nom du créancier et percevoir les sommes dues.
Lorsque les démarches amiables échouent, le fournisseur peut demander une injonction de payer (article 1405 du Code de procédure civile). Cette procédure rapide et peu coûteuse permet d’obtenir un titre exécutoire ordonnant le débiteur au paiement, mais sa mise en œuvre reste souvent entravée par l’ouverture imminente d’une procédure collective.
Dès l’ouverture de la procédure (sauvegarde, redressement ou liquidation judiciaire), un inventaire du patrimoine est dressé. Cet inventaire comprend les actifs de l’entreprise et les sûretés qui les grèvent.
Un administrateur judiciaire peut être nommé pour assister ou remplacer le dirigeant dans la gestion. Durant la période d’observation, il veille à la continuité de l’activité et au respect des obligations légales.
Le mandataire judiciaire doit avertir les créanciers connus dans un délai de 15 jours suivant le jugement d’ouverture. Les créanciers disposent alors de 2 mois à compter de la publication de la décision au BODACC pour déclarer leurs créances.
Cette déclaration peut être effectuée par :
Elle doit contenir :
Le tout est transmis au mandataire ou au liquidateur, généralement par lettre recommandée avec accusé de réception.
⚠ Toute créance non déclarée est forclose : elle ne sera pas prise en compte. Le créancier peut toutefois demander un relevé de forclusion s’il justifie d’une impossibilité d’agir.
Une fois les créances déclarées, le mandataire judiciaire ou le liquidateur procède à leur vérification. Il établit une liste des créances avec ses propositions d’admission ou de rejet. Cette liste est transmise au juge-commissaire, qui statue sur leur sort.
Les décisions sont consignées dans l’état des créances, déposé au greffe et publié au BODACC. Les créanciers disposent d’un délai d’un mois pour former une réclamation.
Si l’entreprise n’est pas encore en cessation des paiements depuis plus de 45 jours, elle peut solliciter une conciliation. Cette procédure confidentielle vise à négocier un accord avec les principaux créanciers, sous l’égide d’un conciliateur désigné par le tribunal.
L’objectif est d’éviter l’ouverture d’un redressement ou d’une liquidation judiciaire en trouvant des solutions amiables de remboursement.
Il arrive qu’un débiteur cesse son activité sans déclarer la cessation de paiements. Dans ce cas, le créancier peut l’assigner en justice afin de provoquer l’ouverture d’une procédure collective.
Cette action doit intervenir dans l’année qui suit :
Selon l’article L441-10 du Code de commerce, le délai de paiement ne peut dépasser 30 jours après la réception des marchandises ou l’exécution de la prestation. Une convention écrite peut porter ce délai à 45 jours fin de mois, mais uniquement si cela est expressément stipulé et sans constituer un abus manifeste au détriment du fournisseur.
Les conditions générales de vente (CGV) doivent également prévoir les modalités d’application des intérêts de retard.
Le dépôt de bilan d’un débiteur n’entraîne pas automatiquement la perte définitive des sommes dues au fournisseur, mais il impose une vigilance extrême et une parfaite maîtrise des règles du droit des procédures collectives. Entre la nécessité de respecter des délais courts pour déclarer sa créance, l’importance de produire les justificatifs adéquats, et la compréhension de l’ordre de paiement fixé par le Code de commerce, chaque étape revêt une dimension stratégique.
L’expérience démontre que de nombreux créanciers perdent tout espoir de recouvrement non pas parce que leur créance était injustifiée, mais parce qu’ils n’ont pas agi dans le temps imparti ou qu’ils ignoraient les conditions de validité imposées par la loi. C’est pourquoi il est essentiel, pour tout fournisseur confronté à un client en difficulté, de se rapprocher rapidement d’un avocat en droit des affaires ou d’un juriste spécialisé afin de sécuriser ses démarches et d’optimiser ses chances de remboursement.
Dans un contexte économique incertain, où les défaillances d’entreprises se multiplient, la bonne compréhension des règles applicables au dépôt de bilan constitue une arme indispensable pour protéger ses créances. Savoir quand agir, comment déclarer, et quels recours mobiliser, permet de transformer une situation de risque majeur en une opportunité de défendre efficacement ses droits.
1. Qu’est-ce que le dépôt de bilan et quand intervient-il ?
Le dépôt de bilan est la traduction courante de la déclaration de cessation des paiements. Conformément à l’article L631-1 du Code de commerce, il intervient lorsque le débiteur n’est plus en mesure de faire face à son passif exigible (dettes arrivées à échéance) avec son actif disponible (trésorerie, lignes de crédit mobilisables).
Le dirigeant dispose d’un délai de 45 jours pour déposer cette déclaration au greffe du tribunal de commerce (article L631-4). S’il ne le fait pas, il peut être poursuivi pour faute de gestion et voir sa responsabilité personnelle engagée, notamment par une action en comblement de passif.
Exemple : une société de transport qui ne peut plus payer ses fournisseurs de carburant et ses salaires doit déclarer sa situation rapidement. Si elle attend plusieurs mois, ses dirigeants peuvent être sanctionnés personnellement.
2. Comment un fournisseur peut-il agir avant l’ouverture d’une procédure collective ?
Avant le jugement d’ouverture, le fournisseur conserve la possibilité d’agir pour obtenir son paiement :
Toutefois, ces démarches deviennent inefficaces dès l’ouverture de la procédure collective, puisque les poursuites individuelles des créanciers sont alors suspendues (article L622-21 du Code de commerce).
Exemple : si le fournisseur engage une injonction de payer la veille de l’ouverture d’un redressement judiciaire, sa demande sera gelée et intégrée à la procédure collective.
3. Quels sont les délais pour déclarer une créance après le dépôt de bilan ?
Une fois la procédure ouverte, le créancier dispose de 2 mois à compter de la publication au BODACC pour déclarer sa créance (article R622-21 du Code de commerce). Les créanciers domiciliés à l’étranger bénéficient de 4 mois.
La déclaration doit contenir le montant de la créance, ses modalités de calcul et les documents justificatifs (article R622-23). Elle est transmise au mandataire judiciaire ou au liquidateur par lettre recommandée avec accusé de réception.
⚠ Si le délai est dépassé, la créance est frappée de forclusion : elle est écartée de la procédure. Toutefois, le créancier peut déposer une demande de relevé de forclusion dans les 6 mois (article L622-26), s’il démontre qu’il n’a pas pu déclarer à temps.
Exemple : un fournisseur qui découvre trop tard qu’une société cliente a été placée en redressement judiciaire peut obtenir un relevé de forclusion s’il prouve qu’il n’a jamais reçu la notification du mandataire.
4. Quelles créances sont prioritaires lors d’un remboursement ?
L’ordre de paiement est fixé par la loi et détermine les chances effectives de remboursement :
Exemple : si une entreprise en liquidation dispose de 100 000 €, mais que ses dettes salariales représentent 80 000 € et ses dettes fiscales 30 000 €, les fournisseurs ordinaires risquent de ne rien percevoir.
5. Que faire si le débiteur cesse son activité sans déclarer la cessation des paiements ?
Si l’entreprise débitrice ne respecte pas son obligation de déclarer sa situation, le fournisseur peut l’assigner en justice pour obtenir l’ouverture d’une procédure (article L631-5 du Code de commerce). Cette action doit être engagée dans l’année qui suit :
Les représentants du personnel (CSE) et le ministère public peuvent également signaler la situation.
Exemple : un artisan plombier cesse son activité sans déclarer sa cessation de paiements. Le fournisseur de matériel sanitaire peut l’assigner dans l’année qui suit sa radiation afin de préserver ses droits et déclarer sa créance dans une éventuelle liquidation.