En droit du travail, la période d’essai est souvent présentée comme une phase de liberté contractuelle. L’employeur peut y mettre fin unilatéralement, sans motivation formelle, sous réserve de respecter un préavis. Pourtant, cette liberté trouve ses limites dans les principes fondamentaux du droit du travail, au premier rang desquels figure l’interdiction des discriminations.
Un arrêt rendu par la chambre sociale de la Cour de cassation le 25 juin 2025 (n° 23-17.999) illustre avec rigueur les conséquences d’une rupture de période d’essai qui serait fondée sur l’état de santé du salarié. Si la rupture n’est pas qualifiée de licenciement, elle n’échappe pas pour autant au contrôle du motif.
Dans cette affaire, une salariée réintègre son poste après un arrêt de travail. Le lendemain, son employeur lui notifie la rupture de sa période d’essai. Aucun motif n’est précisé, comme le permet le cadre juridique applicable.
Estimant que cette décision repose en réalité sur son état de santé, la salariée engage une procédure devant le conseil de prud’hommes, sollicitant notamment l’annulation de la rupture et la réparation de son préjudice.
L’enjeu central résidait dans la qualification de la rupture. En effet, selon l’article L. 1231-1 du Code du travail, les dispositions relatives à la rupture du contrat à durée indéterminée — et donc les règles du licenciement — ne s’appliquent pas pendant la période d’essai. En d’autres termes, même si la rupture est discriminatoire, elle ne peut être requalifiée en licenciement nul.
La conséquence est juridique : le salarié ne peut prétendre à l’indemnité forfaitaire prévue en cas de licenciement nul (notamment l’indemnité minimale équivalente à six mois de salaire en cas de nullité pour discrimination). En revanche, il peut demander des dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par cette rupture illégale.
La salariée invoquait une discrimination fondée sur son état de santé, prohibée par les articles L. 1132-1 et L. 1132-4 du Code du travail. Contrairement à d’autres motifs, ce fondement n’est pas couvert par la directive européenne n° 2000/78/CE, qui ne vise que le handicap, l’âge, la religion, les convictions ou l’orientation sexuelle.
Cela signifie que le contentieux de la discrimination liée à l’état de santé repose exclusivement sur le droit interne, et non sur le droit européen. Ce cadre est cependant largement protecteur : dès lors que le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination, il incombe à l’employeur de démontrer que sa décision repose sur des motifs objectifs étrangers à toute discrimination.
En l’espèce, la Cour de cassation valide l’analyse de la cour d’appel, qui avait estimé que :
En conséquence, la rupture de la période d’essai est jugée discriminatoire, et ouvre droit à une indemnisation du préjudice, dont l’évaluation relève de l’appréciation souveraine des juges du fond.
Cet arrêt rappelle avec force que la période d’essai ne constitue pas un blanc-seing. Si l’employeur n’est pas tenu de motiver la rupture, il doit pouvoir démontrer, en cas de litige, que sa décision repose sur des considérations professionnelles objectives. À défaut, il s’expose à une condamnation pour discrimination, même en dehors du champ classique du licenciement.
D’un point de vue pratique, cela signifie que toute rupture consécutive à un arrêt de travail, une maladie ou un événement personnel majeur doit faire l’objet d’une vigilance accrue. L’enjeu n’est pas seulement financier, mais aussi réputationnel et managérial, car ces situations touchent à la confiance dans la relation de travail.
En consacrant la possibilité d’indemniser une rupture d’essai discriminatoire sans requalification en licenciement, la Cour de cassation poursuit une double logique : préserver la spécificité juridique de la période d’essai, tout en garantissant l’effectivité du principe de non-discrimination.
L’arrêt du 25 juin 2025 vient donc baliser un terrain délicat : celui de la frontière entre la liberté contractuelle et le respect des droits fondamentaux des salariés, quel que soit le stade de la relation de travail.
1️⃣ Un employeur peut-il rompre une période d’essai sans justification ?
Oui, en principe, la période d’essai est une phase de liberté contractuelle, permettant à l’employeur comme au salarié de rompre le contrat sans avoir à motiver la décision. Cependant, cette liberté n’est pas absolue : la rupture ne doit jamais dissimuler un motif discriminatoire ou illicite (sexe, grossesse, opinions, santé…). En cas de litige, c’est à l’employeur de prouver que la rupture repose sur des éléments objectifs et professionnels.
2️⃣ Quelles sont les règles si la rupture intervient après un arrêt maladie ?
Si la rupture survient immédiatement après un arrêt maladie, le salarié peut contester en invoquant une discrimination liée à l’état de santé. Dans l’affaire du 25 juin 2025, la Cour de cassation a jugé qu’un tel enchaînement suspect, sans justification objective, fait naître une présomption de discrimination. L’employeur doit alors démontrer que la rupture est justifiée par des motifs étrangers à l’état de santé.
3️⃣ Quelle est la différence entre rupture d’essai et licenciement ?
Pendant l’essai, on ne parle pas juridiquement de licenciement : l’article L. 1231-1 du Code du travail exclut l’application des règles spécifiques du licenciement. Ainsi, une rupture d’essai discriminatoire ne peut pas être requalifiée en licenciement nul. En revanche, le salarié peut obtenir des dommages-intérêts pour compenser son préjudice, mais pas l’indemnité forfaitaire minimale prévue pour un licenciement nul.
4️⃣ Que risque un employeur qui rompt une période d’essai pour un motif discriminatoire ?
Un employeur qui ne justifie pas la rupture expose l’entreprise à une condamnation pour discrimination, même sans requalification en licenciement. La sanction peut prendre la forme de dommages-intérêts significatifs, déterminés par les juges selon la gravité du préjudice. Au-delà du risque financier, ces affaires nuisent aussi à l’image de l’employeur et soulignent l’importance de fonder la rupture sur des éléments factuels (insuffisance, comportement, inaptitude…).
5️⃣ Quels conseils pratiques pour éviter ce risque ?
Les employeurs doivent faire preuve d’une grande prudence lorsqu’un salarié reprend son poste après un arrêt maladie :