Travail

Entreprise en redressement : droits des salariés et mécanismes de garantie

Estelle Marant
Collaboratrice
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Salaires impayés et redressement judiciaire : le rôle de l’AGS expliqué

Lorsqu’une entreprise rencontre des difficultés financières au point de ne plus pouvoir faire face à ses dettes exigibles, elle peut être placée en redressement judiciaire. Cette procédure, régie par les articles L631-1 et suivants du Code de commerce, a pour finalité d’assurer la poursuite de l’activité, la préservation de l’emploi et l’apurement du passif. Mais dans ce contexte où la trésorerie est souvent défaillante, une question se pose immédiatement : qui paie les salaires des employés ?

Le droit du travail, en interaction avec le droit des entreprises en difficulté, prévoit un dispositif de garantie spécifique pour protéger les salariés. L’objectif est d’éviter que ceux-ci ne subissent les conséquences directes de la faillite temporaire ou structurelle de leur employeur. En France, le mandataire judiciaire, le représentant des salariés et l’AGS (Association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés) jouent un rôle complémentaire pour garantir le paiement des sommes dues.

Ce mécanisme, fondé sur le principe de continuité de l’emploi durant la période d’observation, constitue une protection sociale essentielle. L’employeur, même en difficulté, reste tenu du paiement des salaires, mais ce sont les organes de la procédure qui en assurent le contrôle et, le cas échéant, le relais financier.

La procédure de redressement judiciaire : principes généraux

L’ouverture d’un redressement judiciaire intervient lorsqu’une société se trouve en état de cessation des paiements sans que sa situation soit irrémédiablement compromise. Selon l’article L631-1 du Code de commerce, cette procédure vise à sauvegarder l’activité économique, maintenir les emplois et apurer les dettes.

Après le jugement d’ouverture, s’ouvre une période d’observation d’une durée maximale de six mois renouvelable, durant laquelle un diagnostic économique et social est établi. Le tribunal nomme un mandataire judiciaire, représentant des créanciers, et éventuellement un administrateur judiciaire, chargé d’assister le chef d’entreprise dans la gestion.

Durant cette phase, les contrats de travail sont maintenus (article L622-13 du Code de commerce). Le salarié continue de fournir sa prestation, et l’employeur doit lui verser sa rémunération. Toutefois, en cas d’impossibilité financière, la prise en charge du paiement des salaires est assurée par d’autres mécanismes prévus par la loi.

Sommaire

  1. Comprendre le redressement judiciaire et ses objectifs
  2. Le rôle du mandataire judiciaire dans le paiement des salaires
  3. L’intervention de l’assurance de garantie des salaires (AGS)
  4. Les conditions et plafonds de la garantie AGS
  5. Le rôle du représentant des salariés dans la procédure

Le rôle du mandataire judiciaire dans le paiement des salaires

Le mandataire judiciaire est l’un des acteurs principaux de la procédure. Conformément aux articles L625-1 et suivants du Code de commerce, il dresse le relevé des créances salariales, c’est-à-dire la liste détaillée des sommes dues à chaque salarié au titre du contrat de travail (salaires, primes, indemnités, commissions, congés payés, etc.).

Ce relevé est ensuite soumis à la validation du juge-commissaire et au contrôle du représentant des salariés. Chaque salarié est informé individuellement du montant des sommes retenues ou rejetées et peut, le cas échéant, contester cette évaluation devant le Conseil de prud’hommes dans les délais légaux (article R625-3 du Code de commerce).

Le mandataire agit donc à la fois comme intermédiaire entre l’entreprise et les salariés et comme gestionnaire des droits sociaux. Son rôle est déterminant pour activer la garantie salariale.

L’assurance de garantie des salaires (AGS) : un mécanisme de protection incontournable

Le principe et la portée de la garantie

L’AGS, prévue par les articles L3253-1 et suivants du Code du travail, assure le paiement des créances salariales impayées lorsque l’entreprise est en procédure collective (sauvegarde, redressement ou liquidation judiciaire). Elle intervient dès que l’employeur ne dispose pas des fonds nécessaires pour régler ses salariés.

Ce régime, financé par une cotisation patronale obligatoire, couvre tous les salariés titulaires d’un contrat de travail, y compris ceux détachés à l’étranger (article L3253-6 du Code du travail).

Traditionnellement, la garantie AGS excluait les créances issues d’une prise d’acte de rupture ou d’une résiliation judiciaire initiée par le salarié pendant la procédure. Cependant, la Cour de cassation, dans un arrêt du 8 janvier 2025 (n°20-18.484 et 23-11.417), a opéré un revirement de jurisprudence : l’AGS doit désormais couvrir les salaires dus dans ces hypothèses, renforçant ainsi la protection des salariés.

Les conditions d’intervention de l’AGS

Pour bénéficier de la garantie, deux conditions doivent être réunies :

  1. L’entreprise doit faire l’objet d’une procédure collective ouverte par jugement (redressement, sauvegarde ou liquidation) ;
  2. Elle doit être incapable de verser les rémunérations dues.

Le mandataire judiciaire saisit alors l’AGS, en lui transmettant le relevé des créances salariales et la preuve de l’insuffisance de trésorerie. L’AGS verse les sommes dans un délai de cinq jours suivant la réception des documents. Ces montants sont ensuite redistribués aux salariés selon l’ordre de priorité fixé par le Code du travail.

Les sommes couvertes par l’AGS

La garantie couvre :

  • Les salaires dus à la date du jugement d’ouverture de la procédure ;
  • Les indemnités de rupture (licenciement, préavis, congés payés, solde de tout compte) décidées pendant la période d’observation ou dans le mois suivant l’arrêt du plan de redressement ;
  • Les mesures d’accompagnement issues d’un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE).

Cependant, la prise en charge n’est pas illimitée. Le montant maximal dépend de l’ancienneté du salarié au jour de l’ouverture de la procédure (articles L3253-17 et D3253-5 du Code du travail) :

  • Moins de 6 mois : 62 800 € ;
  • Entre 6 mois et 2 ans : 78 500 € ;
  • Plus de 2 ans : 94 200 €.

Le rôle du représentant des salariés

Dans les 10 jours suivant l’ouverture du redressement judiciaire, les salariés élisent un représentant (article R631-7 du Code de commerce). Ce dernier joue un rôle essentiel dans la défense des droits des travailleurs au sein de la procédure.

Ses missions principales sont :

  • Vérifier le relevé des créances établi par le mandataire judiciaire ;
  • Informer ses collègues sur la situation juridique et financière de l’entreprise ;
  • Assister ou représenter un salarié qui souhaite contester une créance devant le Conseil de prud’hommes.

Ce représentant agit comme un porte-parole collectif, garantissant que les intérêts des salariés soient respectés dans une procédure souvent complexe et technique.

Un dispositif au service de la continuité du droit au salaire

Le droit au salaire est un principe fondamental du droit du travail, rappelé par l’article L3242-1 du Code du travail. Le redressement judiciaire, loin de suspendre cette obligation, en adapte simplement les modalités de mise en œuvre.

Grâce à l’articulation entre les organes de la procédure (mandataire judiciaire, représentant des salariés, juge-commissaire) et le dispositif de garantie AGS, la continuité du paiement est préservée, même dans les périodes les plus critiques de la vie d’une entreprise.

Ainsi, le législateur veille à ce que le salarié ne soit jamais la victime économique d’une faillite temporaire. Le maintien de sa rémunération, sous contrôle judiciaire, illustre la solidarité entre le droit social et le droit des affaires au service d’une même finalité : la protection du travailleur et la préservation de la justice économique.

Conclusion

La procédure de redressement judiciaire est une période charnière dans la vie d’une entreprise : elle représente à la fois un moment de crise économique et une chance de survie. Si le chef d’entreprise voit son pouvoir de gestion encadré, le salarié, lui, demeure protégé par un dispositif solide qui garantit la continuité de son droit à rémunération.

Le droit français, à travers un équilibre subtil entre protection des créanciers et sécurité sociale du travailleur, assure que même en situation de défaillance financière, l’entreprise ne puisse abandonner ses obligations salariales. La mise en œuvre du mandataire judiciaire, la désignation d’un représentant des salariés, et surtout l’intervention de l’Association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés (AGS) illustrent parfaitement cette volonté législative de préserver la dignité économique du salarié.

Le salarié n’a, en principe, aucune démarche à entreprendre pour obtenir son dû : c’est la procédure collective qui active les mécanismes de compensation. Cette architecture juridique, bien que complexe, repose sur un principe simple et fondamental : aucun salarié ne doit supporter le poids des fautes ou difficultés de gestion de son employeur.

En pratique, l’AGS se révèle être un acteur social essentiel du droit du travail contemporain. Par son action rapide et son efficacité, elle préserve non seulement les revenus des salariés mais aussi la stabilité sociale d’un tissu économique parfois fragile. L’arrêt de la Cour de cassation du 8 janvier 2025 en est une illustration éloquente : en étendant la garantie aux ruptures initiées par le salarié, les juges ont consacré une vision plus humaine et plus protectrice du droit du travail.

Le redressement judiciaire, loin d’être une sanction, doit être envisagé comme un outil de reconstruction : il permet à l’entreprise de se réorganiser, aux créanciers d’être remboursés partiellement, et aux salariés d’être préservés dans leurs droits fondamentaux. Ce mécanisme, encadré par le Code du commerce et le Code du travail, est l’expression même d’un droit économique solidaire, préventif et réparateur.

Ainsi, même en période de grande difficulté financière, le salarié conserve une certitude essentielle : le droit au salaire, corollaire du droit au travail, ne s’efface jamais devant la faillite.
Le redressement judiciaire n’est pas la fin d’un parcours professionnel, mais souvent le commencement d’une nouvelle stabilité, portée par un système juridique qui place la protection de l’emploi et la dignité du travailleur au cœur de la justice économique française.

FAQ

1. Que devient le contrat de travail pendant un redressement judiciaire ?
Le redressement judiciaire n’entraîne pas la rupture des contrats de travail. Conformément à l’article L622-13 du Code de commerce, le contrat continue de produire ses effets. Le salarié reste donc en poste et continue à percevoir son salaire. Si l’employeur est dans l’impossibilité de payer, le mandataire judiciaire prend le relais pour déclencher le mécanisme de garantie des salaires (AGS). L’objectif est de préserver la continuité de l’emploi et d’éviter toute perte de rémunération.

2. Quel est le rôle du mandataire judiciaire dans le versement des salaires ?
Le mandataire judiciaire joue un rôle central : il recense l’ensemble des créances salariales en établissant un relevé officiel qui inclut salaires, primes, congés payés et indemnités de rupture. Ce relevé est soumis au juge-commissaire et validé par le représentant des salariés. Selon les articles L625-1 et R625-3 du Code de commerce, le salarié n’a aucune démarche à effectuer : le mandataire gère la relation avec l’AGS, qui débloque les sommes dues dans un délai moyen de cinq jours après la réception du relevé.

3. Comment fonctionne la garantie AGS pour le paiement des salaires ?
L’Association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés (AGS) intervient lorsque l’entreprise est en procédure collective et ne peut plus assumer le paiement des salaires. Son fondement juridique repose sur les articles L3253-1 et suivants du Code du travail. L’AGS verse directement les sommes dues au mandataire judiciaire, qui les redistribue aux salariés. Cette garantie couvre aussi bien les salaires impayés, les indemnités de licenciement que les mesures d’un plan social. Depuis un arrêt de la Cour de cassation du 8 janvier 2025, la protection s’étend même aux salariés ayant pris acte de la rupture de leur contrat pendant la procédure.

4. Quels salaires et indemnités sont pris en charge par l’AGS ?
L’AGS couvre les créances salariales exigibles à la date du jugement d’ouverture de la procédure, ainsi que celles liées à la rupture du contrat de travail (indemnités de licenciement, préavis, congés payés, PSE, etc.). Toutefois, la garantie n’est pas illimitée : elle est plafonnée selon l’ancienneté du salarié au jour du jugement (articles L3253-17 et D3253-5 du Code du travail).

  • Moins de 6 mois d’ancienneté : jusqu’à 62 800 € ;
  • Entre 6 mois et 2 ans : jusqu’à 78 500 € ;
  • Plus de 2 ans : jusqu’à 94 200 €.
    Ces montants, révisés chaque année, assurent une couverture significative tout en maintenant un équilibre économique du régime.

5. Quel est le rôle du représentant des salariés dans la procédure ?
Élu dans les 10 jours suivant le jugement d’ouverture (article R631-7 du Code de commerce), le représentant des salariés défend les droits du personnel pendant toute la durée du redressement. Il contrôle le relevé des créances, assiste les salariés dans leurs démarches et peut intervenir devant le Conseil de prud’hommes en cas de litige. Sa mission est essentielle : il garantit la transparence et veille à ce que chaque salarié soit correctement informé du montant et du traitement de ses créances.

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