La pénibilité au travail constitue une préoccupation majeure du droit social contemporain. Elle renvoie à l’exposition des salariés à des conditions de travail susceptibles de compromettre leur santé, leur sécurité ou leur espérance de vie professionnelle. La question de l’usure professionnelle s’est imposée progressivement dans le paysage juridique, en raison de l’augmentation des troubles musculo-squelettiques, des risques psychosociaux et des pathologies liées à l’exposition aux agents chimiques ou physiques.
Face à ce constat, le législateur a instauré un dispositif spécifique : le compte professionnel de prévention (C2P). Prévu par les articles L4161-1 et suivants du Code du travail, ce compte vise à compenser les effets de l’exposition aux risques professionnels, tout en offrant aux salariés concernés des droits concrets en matière de formation, de retraite anticipée ou d’aménagement du temps de travail.
L’instauration du C2P s’inscrit dans une logique de responsabilisation des employeurs et de prévention des risques professionnels. Ces derniers sont tenus par l’article L4121-1 du Code du travail de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale de leurs salariés. Parallèlement, la réforme des retraites et la création du fonds d’investissement dans la prévention de l’usure professionnelle (FIPU) témoignent de la volonté des pouvoirs publics de renforcer les moyens de prévention, d’adapter les parcours professionnels et de garantir une meilleure prise en charge des travailleurs exposés.
Il est donc essentiel, pour les employeurs comme pour les salariés, de maîtriser les contours du dispositif, les facteurs de risques pris en compte, les obligations légales en matière de prévention, ainsi que les modalités d’utilisation des points C2P.
Le Code du travail ne dresse pas de liste des métiers réputés « pénibles », mais identifie des facteurs de risques professionnels susceptibles d’affecter durablement la santé des salariés. L’article L4161-1 du Code du travail fixe les critères d’exposition, et l’article D4161-1 en précise la liste.
Ces facteurs sont regroupés en trois catégories :
L’exposition au-delà des seuils légaux ouvre droit à l’inscription de points sur le C2P.
Depuis la loi n°2023-270 du 14 avril 2023 de financement rectificative de la sécurité sociale, les branches professionnelles sont invitées à engager des négociations pour identifier les métiers les plus exposés à certains facteurs de pénibilitéCette cartographie permet à la CAT-MP (Commission des accidents du travail et des maladies professionnelles) de définir les priorités de financement via le fonds d’investissement dans la prévention de l’usure professionnelle (FIPU), doté d’un budget de 1 milliard d’euros sur 5 ans.
Conformément à l’article L4121-1 du Code du travail, l’employeur est tenu de prendre toutes mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale de ses salariés. Plusieurs outils structurent cette obligation :
Le DUERP doit recenser l’ensemble des risques professionnels auxquels les salariés peuvent être exposés. Son établissement est obligatoire pour toutes les entreprises, sans condition d’effectif.
L’employeur doit également désigner un référent santé et sécurité au travail. Dans les entreprises de plus de 50 salariés, le programme annuel de prévention des risques professionnels (PAPRIPACT) doit être présenté au CSE.
Les entreprises d’au moins 50 salariés doivent, dans certaines conditions (notamment en cas d’indice de sinistralité élevé), engager une négociation sur la prévention de la pénibilité. À défaut, elles encourent une sanction pouvant aller jusqu’à 1 % de la masse salariale versée.
Depuis le décret n°2024-307 du 4 avril 2024, les employeurs doivent établir une liste nominative des travailleurs exposés aux agents cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction.Cette liste, tenue à jour, doit être transmise aux services de prévention et de santé au travail, et conservée pendant 40 ans.
Le C2P est automatiquement ouvert pour tout salarié exposé à un ou plusieurs facteurs de risques, dès lors que l’employeur les déclare dans la DSN. Peu importe la nature du contrat de travail, dès lors que celui-ci dure au moins un mois.
Les points inscrits sur le C2P peuvent financer :
En 2024, seuls six facteurs de risques ouvrent droit à l’acquisition de points :
Depuis le décret n°2023-760 du 10 août 2023, les seuils d’exposition ont été abaissés :
Depuis le décret n°2023-759 du 10 août 2023, les règles d’acquisition ont évolué :
La pénibilité au travail n’est plus seulement une réalité sociale : elle est devenue une donnée juridique incontournable qui structure les politiques de prévention en entreprise. Le C2P illustre parfaitement cette évolution : il matérialise une reconnaissance institutionnelle de l’usure professionnelle et offre aux salariés des leviers pour adapter leur parcours professionnel, anticiper leur départ à la retraite ou se reconvertir vers des métiers moins exposés.
Pour les employeurs, ce dispositif impose une vigilance accrue. L’évaluation des risques, la traçabilité des expositions, la consultation du CSE et la mise en œuvre d’accords de prévention ne relèvent plus de simples démarches administratives : elles conditionnent le respect de l’obligation de sécurité prévue par le Code du travail et exposent l’entreprise à des sanctions financières en cas de manquement.
Dans un contexte où la durée de vie professionnelle tend à s’allonger et où les attentes des salariés en matière de qualité de vie au travail se renforcent, la maîtrise du C2P constitue un enjeu stratégique. Au-delà d’un outil juridique, il s’agit d’un véritable instrument de gestion des ressources humaines, permettant de concilier performance économique, prévention des risques et protection de la santé des travailleurs.
1. Qu’est-ce que le compte professionnel de prévention (C2P) et à qui s’adresse-t-il ?
Le compte professionnel de prévention (C2P) est un dispositif instauré par la loi pour compenser l’exposition des salariés à certains facteurs de risques professionnels. Il s’adresse à tous les travailleurs relevant du régime général de la sécurité sociale ou de la mutualité sociale agricole (MSA), dès lors que leur contrat de travail est d’une durée minimale d’un mois (CDI, CDD, intérim, apprentissage, etc.).
Lorsqu’un salarié est exposé à des conditions de travail dépassant les seuils légaux définis aux articles L4163-1 et suivants du Code du travail, l’employeur est tenu de les déclarer via la déclaration sociale nominative (DSN). Cette déclaration alimente automatiquement le C2P, sans que le salarié n’ait de démarche préalable à effectuer.
2. Quels sont les facteurs de pénibilité pris en compte par le C2P en 2024 ?
Bien que le Code du travail répertorie une douzaine de facteurs de risques, seuls six ouvrent droit à des points C2P (article L4163-2) :
Ces seuils sont fixés par décret (notamment le décret n°2023-760 du 10 août 2023) et doivent être scrupuleusement respectés par les employeurs pour déterminer si l’exposition ouvre des droits.
3. Comment les salariés peuvent-ils utiliser leurs points C2P ?
Les points C2P constituent une monnaie sociale utilisable pour :
Depuis le 1er septembre 2024, la demande d’utilisation des points doit être faite en ligne, sauf pour les demandes relatives au temps partiel et au départ anticipé, qui peuvent encore être effectuées par courrier.
4. Quelles sont les obligations légales de l’employeur en matière de pénibilité au travail ?
L’article L4121-1 du Code du travail impose à l’employeur de garantir la sécurité et de protéger la santé physique et mentale de ses salariés. Cela implique plusieurs obligations :
En cas de manquement, l’employeur s’expose à des sanctions, notamment une pénalité pouvant atteindre 1 % de la masse salariale (article L4162-2).
5. Quelles sont les évolutions récentes du C2P et quels impacts pour les salariés ?
Depuis la réforme opérée en 2023, le C2P est devenu plus avantageux pour les salariés exposés :
Ces évolutions traduisent une volonté du législateur de renforcer la prise en compte de l’usure professionnelle et de faciliter la prévention de la pénibilité. Pour les salariés, cela se traduit par un accès élargi aux droits, et pour les employeurs, par une exigence accrue en matière de déclaration et de prévention.