À l’ère du commerce numérique et des transactions dématérialisées, les escroqueries bancaires prennent des formes de plus en plus sophistiquées, exploitant les failles des systèmes de sécurité et la confiance des utilisateurs.
Parmi ces fraudes, l’escroquerie au faux RIB s’est imposée comme un mode opératoire redoutablement efficace : un individu se présente comme vendeur, communique des coordonnées bancaires usurpées ou falsifiées, et perçoit des fonds qu’il fait disparaître en quelques heures. La victime, pensant effectuer un virement légitime, se retrouve dépossédée, sans bien livré, sans recours immédiat contre l’auteur — souvent introuvable.
Mais dans un système bancaire structuré par des obligations de vérification, de vigilance et d’identification, les banques peuvent-elles demeurer totalement étrangères à la chaîne de l’escroquerie ? La question n’est pas simplement morale : elle est juridique, technique, et hautement stratégique pour les victimes.
Si le législateur encadre rigoureusement les obligations incombant aux établissements financiers — notamment à travers le Code monétaire et financier et la réglementation anti-blanchiment —, encore faut-il déterminer dans quelle mesure ces obligations engagent leur responsabilité, tant à l’ouverture des comptes frauduleux qu’au moment de l’exécution du virement litigieux.
À travers une décision récente et éclairante de la Cour d’appel de Rennes, cet article analyse les fondements juridiques de la responsabilité bancaire en cas d’escroquerie au faux RIB, les moyens de défense des victimes, les devoirs d'information et de surveillance des banques, ainsi que les implications pratiques pour les justiciables confrontés à ces fraudes.
L’escroquerie au faux RIB, également appelée fraude à la fausse identité bancaire, constitue aujourd’hui l’un des moyens les plus répandus de détourner des fonds en ligne. Le scénario est souvent identique : un acheteur verse une somme importante sur un compte bancaire frauduleux, après avoir été abusé par un faux vendeur ou un site de paiement tiers.
Face à cette recrudescence, la question se pose : quelle est la responsabilité des banques impliquées dans l’exécution du virement litigieux ? Peut-on exiger réparation lorsque l’établissement bancaire, sollicité en amont, n’a pas vérifié la fiabilité du RIB ou du site présenté comme intermédiaire de paiement ? Quid du rôle de la banque qui a ouvert le compte récipiendaire ?
Les établissements bancaires invoquent fréquemment le principe de non-immixtion, selon lequel ils ne sont pas tenus d’intervenir dans les affaires de leurs clients. Toutefois, ce principe connaît une limite de taille : la banque est un mandataire agissant dans le cadre d’un contrat de compte (article 1984 et suivants du Code civil). Elle doit donc exécuter les ordres de paiement avec diligence, loyauté et vigilance.
Autrement dit, même si le client a validé lui-même le virement, la banque ne peut se retrancher derrière une neutralité absolue si des indices de fraude étaient décelables ou si le client l’a explicitement alertée en amont.
L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Rennes le 16 avril 2024 (n°RG 21/05597) illustre parfaitement cette problématique. Dans cette affaire, un particulier, Monsieur U, croyant acheter un véhicule via un site de vente en ligne, effectue un virement de 17 000 euros sur un compte ouvert auprès d’une néobanque. Le véhicule ne sera jamais livré. L’escroquerie est avérée. L’enquête révélera que le site intermédiaire (FUSEPAY) était fictif, utilisant de fausses coordonnées et un RIB usurpé.
Le plaignant a logiquement déposé plainte. Cependant, l’instruction pénale a été classée sans suite, les auteurs de l’escroquerie étant restés intraçables malgré les réquisitions. Comme souvent dans ces affaires, les identités sont usurpées, les documents falsifiés et les pistes numériques volontairement brouillées.
Privé de recours pénal, la victime s’est retournée contre deux établissements :
L’article L133-16 du Code monétaire et financier impose aux banques de mettre en œuvre des dispositifs de sécurité adaptés pour éviter les paiements non autorisés ou frauduleux. Bien que le virement ait été validé par le client, la banque avait été expressément interrogée sur la fiabilité du site FUSEPAY.
La juridiction d’appel a relevé un manquement clair : la banque, en répondant qu’elle n’avait “aucune information négative” sur le site, laissait penser qu’une vérification avait été effectuée, alors qu’il n’en était rien.
En vertu de l’article 1147 du Code civil (ancien), applicable aux obligations contractuelles avant la réforme de 2016, une obligation d’information pèse sur le professionnel lorsque son client sollicite une expertise particulière. Cette obligation s’applique toujours par analogie, même après la réforme de l’ordonnance du 10 février 2016.
Ainsi, la banque aurait dû :
Sa réserve trompeuse a été interprétée comme une faute ayant fait perdre à la victime une chance d’éviter l’opération.
La Cour reconnaît à Monsieur U une perte de chance significative (90%) de ne pas procéder au virement s’il avait été convenablement informé. La banque a donc été condamnée à hauteur de 15 300 euros sur les 17 000 versés.
La responsabilité d’ORANGE BANK est quant à elle engagée à un autre titre : l’ouverture du compte par un individu usurpant l’identité d’un tiers.
L’article R312-2 du Code monétaire et financier, dans sa version applicable à l’époque des faits, impose à tout établissement bancaire de :
Or, dans cette affaire, le compte avait été ouvert à partir de documents scannés, dont un passeport volé selon les fichiers de police, et aucun mécanisme de vérification renforcée ne semble avoir été mis en œuvre.
En quelques semaines, plus de 39 000 euros avaient transité sur le compte, en près de 70 opérations, avec un solde ramené à zéro euro. Aucun usage classique d’un compte de particulier ne présente un tel schéma.
Le manque de réaction d’ORANGE BANK constitue un défaut de surveillance manifeste, contraire à l’obligation de vigilance renforcée imposée par l’article L561-5 du Code monétaire et financier, dans le cadre de la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme.
La banque récipiendaire a donc été jugée fautive et condamnée in solidum avec la banque émettrice à réparer intégralement le préjudice subi.
Les juridictions ont exclu toute faute de la victime. Monsieur U avait proposé un paiement par chèque de banque, refusé par le pseudo-vendeur. Il avait interrogé sa propre banque avant le virement, preuve de sa prudence. La responsabilité exclusive des établissements bancaires a donc été retenue.
Avant de réaliser un virement important :
En cas de doute ou de difficulté, contactez rapidement un avocat ou une association de défense des droits des usagers bancaires. En cas d’escroquerie avérée, conservez tous les éléments probants (RIB, échanges, plaintes, captures d’écran).
La jurisprudence commentée ici invite les victimes à ne pas renoncer trop vite. Les banques peuvent être tenues responsables, même lorsque l’auteur de l’escroquerie demeure inconnu.
L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Rennes le 16 avril 2024 constitue un signal fort adressé au secteur bancaire. Il rappelle que l’exécution mécanique des ordres de paiement ne saurait exonérer les établissements financiers de leur obligation générale de vigilance, surtout lorsque leur client manifeste un doute et sollicite leur éclairage. De même, les banques qui procèdent à l’ouverture de comptes bancaires sur la base de pièces falsifiées sans procéder à des vérifications approfondies s’exposent à une responsabilité civile délictuelle pleine et entière.
En effet, si la victime d’une fraude demeure souvent sans espoir sur le terrain pénal — faute d’auteurs identifiés —, le droit bancaire offre un levier contentieux concret, dès lors que l'on démontre une carence fautive dans le comportement des banques impliquées. L’obligation d'information, l’examen des mouvements atypiques, la vérification de l’identité des titulaires de comptes, et la cohérence des opérations au regard du profil client sont autant de critères désormais scrutés par les juges.
Cette jurisprudence s’inscrit dans un mouvement jurisprudentiel qui tend à responsabiliser les acteurs bancaires, à l’heure où les arnaques numériques se multiplient et exploitent parfois des mécanismes bancaires trop permissifs. Pour les justiciables, cette évolution ouvre une voie nouvelle de réparation intégrale du préjudice subi, à condition d’agir vite, avec rigueur, et de construire un dossier probatoire solide.
Chez defendstesdroits.fr, nous accompagnons les victimes d’escroqueries dans leurs démarches de recours contre les établissements bancaires, en mobilisant les leviers juridiques adaptés à chaque cas. Chaque virement frauduleux peut donner lieu à une action en responsabilité, et chaque omission d’une banque peut être examinée à l’aune de son devoir de loyauté envers son client.
En cas de virement frauduleux vers un compte bancaire usurpé, la réactivité est essentielle. Dès que la victime découvre l’escroquerie — souvent par l’absence de livraison ou la disparition du prétendu vendeur — elle doit :
Dans certains cas, la victime peut aussi signaler l’escroquerie à la plateforme de vente ou au site utilisé (Leboncoin, Facebook Marketplace, etc.) et à Pharos (plateforme de signalement du ministère de l’Intérieur).
Ensuite, une action juridique pourra être envisagée contre sa propre banque et/ou contre la banque bénéficiaire si celles-ci ont manqué à leurs obligations légales. C’est un point fondamental : l’indemnisation dépend du comportement fautif des banques, pas seulement de la fraude elle-même.
En apparence, un virement SEPA exécuté avec les bons identifiants exonère la banque, car il s’agit d’une opération autorisée. Toutefois, cette vision formelle est nuancée par la jurisprudence. Les tribunaux considèrent que la banque, en tant que mandataire professionnel du client, doit exécuter ses ordres avec loyauté et vigilance.
Dès lors, si la banque est interpellée par son client avant l’ordre de virement — par exemple, pour obtenir des garanties sur l’authenticité du bénéficiaire ou d’un site tiers — elle se doit de :
Dans l’arrêt du 16 avril 2024, la Cour d’appel de Rennes a estimé que la banque émettrice avait manqué à son devoir d'information, car elle avait affirmé qu’elle n’avait “aucune information négative” sur le site FUSEPAY. Or cette réponse équivoque a pu être interprétée par le client comme une validation implicite de la fiabilité du site, alors que la banque n’avait procédé à aucune vérification concrète.
Le manquement à l’obligation de conseil ou d'information, lorsqu’il provoque une perte de chance d’éviter la fraude, engage alors la responsabilité contractuelle de la banque sur le fondement de l’article 1231-1 du Code civil.
La banque bénéficiaire du virement, qui a ouvert le compte utilisé pour recevoir les fonds, est tenue à des obligations strictes lors de l’entrée en relation d’affaires, en vertu notamment :
Elle doit notamment :
Dans l’affaire commentée, la banque ORANGE BANK a ouvert un compte sur la base de documents transmis numériquement (copie de passeport, facture EDF), alors même que le titulaire de ces documents avait déclaré leur vol plusieurs années auparavant. De plus, le fonctionnement du compte était anormal (plus de 69 virements entrants et sortants en quelques jours pour un solde final de 0,76 €), ce qui aurait dû alerter l’établissement.
L’absence de vérification sérieuse constitue une faute délictuelle (article 1240 du Code civil) si elle a permis à des tiers d’ouvrir un compte et de détourner des fonds frauduleusement.
La charge de la preuve pèse en partie sur la victime, qui doit établir :
Dans le cas de la banque émettrice, la preuve d’un manquement au devoir d’information ou de vigilance est centrale. Il peut s’agir de démontrer qu’une anomalie était objectivement identifiable, mais que la banque n’a rien signalé.
Dans le cas de la banque récipiendaire, il faut prouver que l’identité du titulaire du compte n’a pas été vérifiée selon les standards légaux (absence d’authentification des documents, incohérence entre nom, RIB et activité du site frauduleux, etc.).
Les décisions judiciaires comme celle de la Cour d’appel de Rennes rappellent que les juges apprécient les faits dans leur ensemble, y compris l’attitude du client, la clarté des réponses bancaires, et les indices matériels de fraude.
Oui, sous conditions. Si la responsabilité de la banque émettrice et/ou de la banque récipiendaire est reconnue, le préjudice financier subi par la victime peut être intégralement réparé.
Il existe deux fondements d’indemnisation :
La condamnation conjointe des deux établissements n’est pas rare lorsque leur carence respective a contribué directement à la réalisation du dommage. Le juge peut également accorder des dommages et intérêts complémentaires au titre des troubles subis (stress, indisponibilité des fonds, conséquences personnelles ou professionnelles).
Il est toutefois indispensable de saisir rapidement un avocat compétent, de construire un dossier probant, et d’engager l’action dans les délais de prescription (généralement 5 ans pour une action contractuelle).