Le paysage législatif français en matière de suivi et de contrôle des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes évolue régulièrement afin de renforcer la prévention et la protection des victimes.
La récente publication du décret n° 2024-1111 du 4 décembre 2024, relatif au fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (FIJAIS), en est une nouvelle illustration.
Entré en vigueur au Journal officiel le 5 décembre 2024, ce texte vient adapter la réglementation à un contexte juridique et sociétal en mutation, tout en intégrant les enseignements de réformes antérieures.
Il répond à une double exigence : d’un côté, maintenir la cohérence de l’arsenal législatif face aux évolutions légales entérinées ces dernières années, et de l’autre, consolider la capacité des autorités et de certaines administrations à accéder à ces informations sensibles dans un cadre rigoureux et encadré.
Cet article propose un éclairage complet et approfondi sur les motivations, les enjeux et les conséquences concrètes de cette modification du FIJAIS.
Au-delà du simple ajustement textuel, il s’agit de comprendre comment le nouveau dispositif participe à un meilleur équilibre entre la nécessité de contrôler les individus dangereux, la protection des personnes vulnérables et la préservation des droits fondamentaux.
En toile de fond : une prise de conscience collective, illustrée par les évolutions législatives successives, selon laquelle la lutte contre les violences sexuelles et conjugales, ainsi que la gestion des informations relatives aux personnes condamnées, doivent s’inscrire dans une stratégie globale, cohérente et pérenne.
Le Fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (FIJAIS) est un instrument central dans le dispositif français de prévention de la récidive.
Instauré afin de garder une trace des personnes condamnées pour des infractions particulièrement graves, il permet aux autorités judiciaires, mais aussi à certains services administratifs, d’obtenir rapidement des informations fiables quant à la situation juridique de certains individus.
Ce fichier, dont le but est à la fois préventif et informatif, se trouve régulièrement au cœur des réflexions en matière de politique pénale.
L’objectif n’est pas seulement d’assurer un suivi strict des individus représentant un risque, mais également de faciliter la communication entre différentes entités (police, justice, administrations habilitées) pour anticiper et prévenir de potentiels passages à l’acte.
En ce sens, le FIJAIS est un élément central d’un vaste écosystème législatif visant à prévenir les violences, protéger les victimes et limiter la récidive.
La réforme entérinée par le décret n° 2024-1111 ne sort pas de nulle part. Elle s’inscrit dans la continuité des changements apportés par plusieurs lois adoptées ces dernières années.
Parmi elles, la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, ainsi que la loi n° 2020-1672 du 24 décembre 2020 relative au parquet européen, à la justice environnementale et à la justice pénale spécialisée, ont déjà introduit des modifications dans le Code de procédure pénale. Par ailleurs, la loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales est également venue renforcer la prise en compte des actes violents dans le cadre familial. Enfin, la même loi de 2020-1672, évoquée ci-dessus, a également impacté l’article 706-53-4 du Code de procédure pénale, redéfinissant les prérogatives et les obligations relatives aux données figurant au FIJAIS.
Chacune de ces évolutions s’est attachée à mieux encadrer l’usage, la consultation et la gestion du FIJAIS. En toile de fond, il y a la volonté d’éviter tout vide juridique, de garantir une cohérence entre différents textes et d’assurer une sécurité juridique essentielle dans un domaine aussi sensible que la lutte contre les infractions à caractère sexuel ou violent.
L’un des apports significatifs du décret n° 2024-1111 est l’élargissement de la liste des administrations habilitées à interroger directement le FIJAIS.
Jusqu’à présent, cette faculté était accordée à un certain nombre d’entités, principalement les services de police, de gendarmerie, les magistrats ainsi que certaines administrations concourant directement à la sécurité publique ou à la protection des mineurs. Désormais, les services en charge des ressources humaines au sein du secrétariat général du ministère chargé de l’agriculture et du ministère chargé de la culture rejoignent cette liste.
Pourquoi un tel élargissement ? Les administrations publiques, et en particulier leurs services RH, ont un rôle clé dans le processus de recrutement et de mobilité interne.
Pouvoir vérifier le casier judiciaire d’un candidat lorsque le poste concerné justifie une attention particulière quant à la moralité de la personne (par exemple, un emploi impliquant la présence auprès de publics vulnérables, ou la manipulation de données sensibles) n’est pas anodin. En permettant à ces services RH d’accéder directement au FIJAIS, le décret vise à faciliter et à renforcer la sûreté dans les procédures de recrutement et de gestion du personnel. C’est un levier supplémentaire pour garantir que les individus ayant commis des infractions sexuelles ou violentes n’occupent pas de fonctions à risques.
L’ajustement du périmètre des entités habilitées à consulter le FIJAIS ne se fait pas sans poser de questions. Comment préserver l’efficacité des contrôles sans tomber dans une surveillance excessive ?
Comment s’assurer que l’élargissement du droit de regard ne conduise pas à des discriminations injustifiées ? Le législateur doit constamment jongler entre deux exigences souvent perçues comme contradictoires : d’un côté, la nécessité de renforcer la prévention et la sécurité, de l’autre, le respect de la vie privée et la réinsertion des personnes ayant purgé leur peine.
Le FIJAIS n’est pas un outil de stigmatisation, mais un instrument de prévention.
Les individus qui y sont inscrits ont souvent déjà fait l’objet de condamnations judiciaires fermes, et il s’agit d’assurer que ces informations ne soient pas simplement entassées dans des bases de données inaccessibles, mais qu’elles puissent contribuer à éviter de nouvelles atteintes à l’intégrité physique ou psychique des victimes potentielles.
En ce sens, la consultation par les services RH est une mesure qui ne doit pas être perçue comme une punition supplémentaire, mais comme un dispositif de précaution. Les postes sensibles exigent en effet un haut niveau de garantie quant à l’absence d’antécédents susceptibles de compromettre la sécurité des personnes ou l’intégrité de certaines missions publiques.
La révision des modalités d’accès au FIJAIS s’inscrit dans un contexte plus large de refonte et d’adaptation du droit pénal et pénitentiaire français.
Les lois mentionnées – qu’il s’agisse de la loi de programmation et de réforme pour la justice ou de la loi visant à protéger les victimes de violences conjugales – ont toutes contribué à redéfinir le rôle, la portée et les finalités du FIJAIS.
À mesure que le droit pénal devient plus sensible aux réalités sociales, qu’il se penche davantage sur les aspects psychologiques de la criminalité, qu’il prend en compte l’évolution des mœurs et des exigences sociétales, il est impératif que les dispositifs d’information et de contrôle suivent cette dynamique. Le FIJAIS, par sa nature, se trouve au carrefour de ces préoccupations.
Sa mise à jour régulière et sa cohérence avec d’autres textes garantissent un suivi pertinent des individus dangereux, améliorant ainsi la qualité de l’action publique en matière de prévention et de répression.
L’intégration des services RH de certains ministères dans la liste des entités habilitées à interroger le FIJAIS va au-delà de la simple consultation de données.
Elle s’inscrit dans une logique de fluidification de la communication entre les différents acteurs publics concernés par la sûreté, la prévention et la protection des victimes.
Lorsque les ministères de l’Agriculture ou de la Culture, par exemple, se penchent sur l’embauche d’un agent, ils pourront vérifier en temps réel si ce dernier figure dans le FIJAIS. Ce gain de temps et de transparence concourt à une administration plus réactive, capable d’anticiper les risques potentiels et d’agir en amont.
Cette évolution témoigne également de la complexité grandissante du contexte administratif. À l’heure où le service public se digitalise et multiplie les coopérations inter-ministérielles, disposer d’outils de vérification et d’échange de données fiables est un enjeu majeur.
Le FIJAIS, de ce point de vue, devient un pivot, un élément de confiance et de cohérence entre différents services qui, chacun, œuvrent au bien commun.
Malgré les avancées indéniables que représente le décret n° 2024-1111, des questions demeurent. Qu’en est-il de la protection des données personnelles des individus figurant dans le FIJAIS ?
Comment garantir que seules les informations strictement nécessaires soient communiquées, et que celles-ci ne soient pas utilisées à mauvais escient ?
La mise en conformité avec le Règlement général sur la protection des données (RGPD) reste un chantier permanent, d’autant plus sensible que l’on touche ici à des informations particulièrement délicates.
Par ailleurs, le risque de surenchère sécuritaire n’est pas à écarter. Les mesures successives d’élargissement des accès au FIJAIS doivent impérativement être accompagnées d’une réflexion sur leur efficacité réelle.
Le suivi et l’évaluation de l’impact de ces dispositions légales sur la prévention de la récidive, sur la protection des victimes et sur les droits des justiciables sont indispensables pour s’assurer que la logique de ces réformes reste cohérente et proportionnée.
En définitive, la modification des dispositions relatives au FIJAIS s’inscrit dans un mouvement de fond : la justice française tend de plus en plus vers une approche préventive et responsable, où le partage d’informations fiables entre les acteurs concernés est crucial. Ce n’est plus seulement la sanction qui compte, mais aussi la capacité à anticiper, à préparer et à coordonner l’action publique, afin d’endiguer les comportements dangereux avant qu’ils ne se manifestent à nouveau.
Les services RH des ministères nouvellement habilités n’ont pas pour vocation de se substituer aux autorités judiciaires, mais bien de participer, à leur échelle, à la prévention.
En sécurisant leurs recrutements, ils contribuent indirectement à la protection des citoyens, en réduisant les opportunités pour des individus dangereux d’exercer certaines fonctions sensibles.
Cette réforme rappelle que la lutte contre les infractions sexuelles ou violentes est une œuvre collective, qui implique l’ensemble des institutions de l’État, chacune à sa place, chacune selon son rôle. Le FIJAIS, en évoluant et en s’adaptant, démontre que la prévention passe par une intelligence collective, un décloisonnement maîtrisé de l’information et un engagement durable en faveur de la sécurité et de la dignité humaines. Les ajustements législatifs ne sont pas seulement de nouvelles contraintes, ils constituent aussi des opportunités pour affiner, renforcer et humaniser la réponse publique aux défis posés par la criminalité la plus grave.
1. Qu’est-ce que le FIJAIS et à quoi sert-il ? Le Fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (FIJAIS) est un registre officiel répertoriant les personnes condamnées pour des crimes ou délits à caractère sexuel ou violent. Il a pour objectif de prévenir la récidive, de faciliter la communication entre les autorités compétentes et de protéger les victimes potentielles en permettant une vérification rapide et fiable du statut judiciaire des individus concernés.
2. Quel est l’impact du décret n° 2024-1111 sur le FIJAIS ? Le décret n° 2024-1111 du 4 décembre 2024, publié au Journal officiel, met à jour les dispositions réglementaires liées au FIJAIS, notamment en élargissant la liste des administrations habilitées à interroger directement ce fichier. Il intègre également les changements apportés par diverses lois récentes, renforçant la cohérence et l’efficacité du dispositif.
3. Quelles nouvelles administrations peuvent désormais accéder au FIJAIS ? En plus des entités déjà autorisées (police, gendarmerie, magistrats, etc.), les services des ressources humaines du secrétariat général du ministère chargé de l’agriculture ainsi que ceux du ministère chargé de la culture ont désormais la possibilité d’interroger directement le FIJAIS, afin de sécuriser leurs procédures de recrutement pour certains postes sensibles.
4. Cette extension d’accès au FIJAIS ne porte-t-elle pas atteinte aux libertés individuelles ? Le législateur a cherché à trouver un équilibre entre la prévention des violences, la protection des victimes et le respect des droits fondamentaux. Les accès élargis restent strictement encadrés et sont justifiés par la nécessité d’assurer un haut niveau de sécurité dans certaines fonctions. Il ne s’agit pas de stigmatiser, mais de réduire les risques et d’empêcher l’accès de postes sensibles à des individus représentant un danger potentiel.
5. Le décret permet-il une amélioration concrète de la protection des victimes ? Oui, en renforçant la cohérence législative et en permettant une consultation plus rapide des antécédents judiciaires, le décret améliore la capacité des acteurs publics à anticiper les risques et à prévenir la récidive. Cette évolution participe à une meilleure protection des victimes, en assurant que les informations pertinentes soient partagées de manière responsable et efficace.