La période d’essai occupe une place singulière dans le droit du travail français. Prévue par le Code du travail (articles L1221-19 et suivants), elle constitue une phase probatoire qui permet à l’employeur d’évaluer les compétences du salarié dans ses nouvelles fonctions, et au salarié d’apprécier si le poste correspond à ses attentes. Cette phase, bien que transitoire, n’en demeure pas moins juridiquement encadrée, notamment lorsqu’il s’agit de sa rupture.
En effet, la rupture d’une période d’essai ne répond pas aux mêmes règles que la rupture d’un contrat déjà confirmé. Sa particularité réside dans la relative liberté accordée aux parties pour y mettre fin. Toutefois, cette liberté n’est pas absolue et reste conditionnée au respect des dispositions légales, conventionnelles et jurisprudentielles.
L’une des principales interrogations soulevées par les justiciables concerne le droit aux allocations chômage à l’issue d’une rupture de période d’essai. Peut-on bénéficier de l’allocation d’aide au retour à l’emploi (ARE) en cas de rupture par l’employeur ? Qu’en est-il si le salarié prend lui-même l’initiative de mettre fin à son essai ? Ces situations ne produisent pas les mêmes conséquences juridiques, notamment au regard du règlement général annexé à la convention d’assurance chômage du 15 novembre 2024, entré en vigueur au 1er janvier 2025.
Au-delà de la question de l’indemnisation chômage, la rupture de période d’essai soulève d’autres enjeux : respect du délai de prévenance (articles L1221-25 et L1221-26 du Code du travail), application d’un délai de carence avant le versement des allocations, ou encore possibilité d’exercer un recours devant l’Instance paritaire régionale (IPR) après 121 jours sans indemnisation.
Cet article a vocation à éclairer les salariés confrontés à cette situation délicate en leur fournissant des explications juridiques fiables, illustrées d’exemples concrets et enrichies de références légales, afin de mieux comprendre leurs droits en cas de rupture de période d’essai et d’envisager les démarches nécessaires pour préserver leur sécurité financière.
L’ouverture des droits dépend de trois critères :
En principe, le chômage n’est ouvert qu’en cas de perte involontaire d’emploi (article L5422-1 du Code du travail).
Dans ce cas, la perte d’emploi est assimilée à une perte involontaire, quelle que soit la rupture précédente, sous réserve de remplir les conditions classiques d’affiliation (articles L5422-1 et suivants du Code du travail).
Lorsque la rupture est à l’initiative du salarié, elle est assimilée à une démission et ne permet pas l’ouverture des droits au chômage (article L5422-1 du Code du travail).
La loi impose un délai de prévenance :
Ce délai varie selon la durée de présence dans l’entreprise et peut être allongé par la convention collective.
Même si le salarié ouvre des droits au chômage, l’ARE n’est pas versée immédiatement. Un délai de carence s’applique, comprenant :
Lorsqu’un salarié se retrouve privé d’allocation chômage à la suite d’une rupture de période d’essai, il n’est pas totalement dépourvu de recours. Le règlement général annexé à la convention d’assurance chômage du 15 novembre 2024 prévoit, en son article 26, la possibilité de solliciter un réexamen de sa situation auprès de l’Instance paritaire régionale (IPR).
Le recours n’est pas immédiat : il ne peut être engagé qu’après 121 jours consécutifs (soit 4 mois) de chômage non indemnisé. Cette période correspond à un délai minimal fixé pour vérifier si le demandeur parvient à retrouver un emploi par lui-même. Ce n’est qu’en l’absence de reprise durable d’activité que l’IPR peut intervenir.
L’IPR, composée de représentants syndicaux et patronaux, a le pouvoir d’accorder, à titre dérogatoire, le versement de l’allocation d’aide au retour à l’emploi (ARE) même si les conditions d’ouverture de droits ne sont pas entièrement réunies. Ce mécanisme vise à éviter qu’un demandeur d’emploi ne reste sans ressources pendant une longue durée, alors même qu’il manifeste une volonté claire de se réinsérer professionnellement.
Le salarié doit être en mesure de prouver ses démarches actives de recherche d’emploi. Concrètement, cela signifie présenter :
À défaut de ces éléments concrets, l’IPR pourra refuser l’indemnisation.
Si l’IPR accepte le recours, le demandeur bénéficie d’une ouverture exceptionnelle de droits à l’ARE, selon les barèmes applicables. En revanche, un refus de l’IPR n’est pas susceptible d’appel, mais le salarié conserve la possibilité d’introduire une nouvelle demande si sa situation évolue (par exemple, après de nouvelles démarches ou une formation).
Un salarié rompt sa période d’essai au bout de deux mois, à son initiative, après avoir quitté un CDI. Considérée comme une démission, cette rupture ne lui ouvre aucun droit immédiat au chômage. Après 4 mois sans emploi, et faute de ressources, il saisit l’IPR. Grâce à des preuves de 25 candidatures envoyées, de deux entretiens passés et d’une formation suivie dans le numérique, l’IPR décide de lui accorder une indemnisation dérogatoire.
La rupture de la période d’essai est un moment charnière qui peut bouleverser la trajectoire professionnelle d’un salarié. Si la liberté contractuelle prévaut pendant cette phase probatoire, l’accès au droit au chômage reste strictement conditionné. La règle demeure simple : seule la perte involontaire d’emploi ouvre droit à l’ARE. Ainsi, une rupture décidée par l’employeur ouvre, dans la plupart des cas, la voie à une indemnisation, sous réserve des conditions d’affiliation. À l’inverse, une rupture initiée par le salarié est assimilée à une démission, sauf exceptions limitées prévues par le règlement annexé à la convention de 2024.
Au-delà de l’indemnisation, la loi encadre également les modalités pratiques de la rupture : le délai de prévenance que chaque partie doit respecter, ainsi que le délai de carence qui s’applique avant tout versement de l’ARE. Ces dispositions visent à concilier la souplesse de la période d’essai avec la protection du salarié privé d’emploi.
Enfin, l’existence d’un recours devant l’Instance paritaire régionale illustre la volonté du législateur de ne pas laisser sans solution les salariés confrontés à des situations complexes, leur permettant d’obtenir, à titre dérogatoire, une indemnisation après 121 jours sans emploi.
En pratique, chaque salarié doit analyser sa situation au regard des règles du Code du travail et du règlement de l’assurance chômage afin de déterminer ses droits. L’accompagnement par un professionnel du droit peut s’avérer déterminant pour défendre ses intérêts, notamment lorsque la rupture de l’essai s’inscrit dans un contexte litigieux ou en cas de refus d’indemnisation.
1. Peut-on toucher le chômage si l’employeur met fin à la période d’essai ?
Oui, la rupture par l’employeur est en principe considérée comme une perte involontaire d’emploi, ouvrant droit à l’allocation chômage (article L5422-1 du Code du travail). Toutefois, plusieurs conditions doivent être remplies :
Exemple : si un salarié démissionne d’un CDI occupé pendant plus de 3 ans pour accepter un nouveau CDI, mais que son employeur met fin à l’essai après 40 jours, il pourra percevoir l’ARE, car sa démission est qualifiée de légitime. En revanche, si cette même rupture intervient après seulement 2 ans d’ancienneté, l’indemnisation sera refusée.
2. Si je romps moi-même ma période d’essai, ai-je droit au chômage ?
La rupture de la période d’essai par le salarié est assimilée à une démission, donc sans droit à l’ARE. Mais il existe plusieurs exceptions prévues par le règlement annexé à la convention de 2024 :
Exemple : un salarié licencié qui retrouve un poste, mais rompt son essai au bout de 2 mois, conserve son droit au chômage. En revanche, s’il rompt après 4 mois de présence, il perd cette possibilité, sauf s’il s’agit d’un temps très partiel (moins de 17h par semaine).
3. Quels délais de prévenance doivent être respectés en cas de rupture de la période d’essai ?
Le délai de prévenance est prévu par le Code du travail et varie selon la partie qui met fin au contrat :
À noter : la convention collective applicable peut prévoir des délais différents, plus favorables au salarié. Le non-respect du délai de prévenance engage la responsabilité de la partie qui rompt et peut donner lieu au versement d’une indemnité compensatrice.
4. Y a-t-il un délai avant de toucher le chômage après une rupture d’essai ?
Oui, même si l’ARE est accordée, elle n’est pas versée immédiatement. Trois types de différés s’appliquent :
Exemple : si un salarié perçoit 15 jours d’indemnités de congés payés et 10 jours de différé spécifique, ses allocations ne débuteront qu’au 32e jour suivant son inscription à France Travail (7 jours de carence + 15 + 10).
5. Que faire si je n’ai pas droit au chômage après la rupture de ma période d’essai ?
Dans ce cas, il est possible de saisir l’Instance paritaire régionale (IPR) après 121 jours (4 mois) de chômage non indemnisé. L’IPR dispose d’un pouvoir dérogatoire :
Ce recours constitue une seconde chance pour les salariés qui se retrouvent sans ressources, mais il nécessite de démontrer sa bonne foi et sa volonté de retour à l’emploi.