En période de grève, d’accroissement d’activité ou de fort absentéisme, le recours aux heures supplémentaires est fréquent et parfois indispensable pour assurer la continuité de l’exploitation. Pour autant, ces heures ne sont pas un simple prolongement « informel » de la journée de travail : elles obéissent à un régime juridique strict, issu à la fois du Code du travail, des accords collectifs et d’une jurisprudence abondante.
Les heures accomplies au-delà de la durée légale de 35 heures par semaine, ou au-delà d’une durée équivalente prévue par une convention, ne peuvent être mises en place et rémunérées qu’en respectant des règles précises :
définition, décision de l’employeur, possibilité (ou non) de refus du salarié, durées maximales, contingent annuel, taux de majoration, repos compensateur, régime fiscal et social, sans oublier les recours en cas de non-paiement.
Une décision récente de la Cour de cassation du 10 septembre 2025 (n°23-14.455) est venue renforcer les droits du salarié : désormais, le salarié soumis à un décompte hebdomadaire peut obtenir le paiement d’heures supplémentaires sur la semaine où il a pris un jour de congé payé, alors même qu’il n’a pas effectué 35 heures de travail « effectif ». Cette évolution illustre l’importance d’une compréhension fine des règles applicables.
defendstesdroits.fr vous propose une analyse approfondie et sourcée du régime des heures supplémentaires, pour sécuriser vos pratiques, que vous soyez salarié ou employeur.
Par principe, constitue une heure supplémentaire toute heure effectuée au-delà de la durée légale de travail, fixée à 35 heures par semaine pour les salariés à temps plein, ou au-delà d’une durée équivalente prévue par une disposition conventionnelle (article L3121-28 du Code du travail).
Entrent également dans cette catégorie les heures accomplies au-delà de la durée de travail fixée par un accord collectif lorsque celui-ci retient une durée différente (par exemple dans le cadre d’un aménagement du temps de travail).
La jurisprudence est venue préciser que ne sont considérées comme heures supplémentaires que les heures :
Les heures supplémentaires sont donc encadrées par trois sources principales :
La décision de faire réaliser des heures supplémentaires relève du pouvoir de direction de l’employeur.
Sauf engagement contractuel particulier, le salarié ne dispose d’aucun droit acquis à l’exécution d’heures supplémentaires : l’employeur peut cesser d’en confier, même si le salarié en effectuait de manière régulière.
À l’inverse, lorsque l’entreprise connaît un surcroît d’activité, l’employeur peut demander au salarié de prolonger sa journée, dans le respect des durées maximales et du contingent annuel.
En principe, lorsque la demande d’heures supplémentaires s’inscrit dans le cadre légal et conventionnel, le salarié ne peut pas refuser sans s’exposer à une sanction disciplinaire (allant, le cas échéant, jusqu’au licenciement).
Cependant, la jurisprudence admet un droit de refus lorsque l’employeur commet un abus de droit, par exemple :
Dans ces cas, le salarié peut légitimement refuser sans commettre de faute.
Si le salarié refuse d’exécuter des heures supplémentaires régulièrement demandées, l’employeur peut engager une procédure disciplinaire :
Tout dépendra du contexte, du caractère réitéré du refus et de l’impact sur le fonctionnement de l’entreprise.
Même en présence de heures supplémentaires, l’employeur doit respecter des plafonds impératifs (articles L3121-18 à L3121-23 du Code du travail) :
En cas de circonstances exceptionnelles, l’employeur peut, sur autorisation administrative (article L3121-21), porter la durée hebdomadaire jusqu’à 60 heures. Le CSE doit alors être consulté et son avis transmis à l’inspection du travail.
La Cour de cassation a rappelé que le simple dépassement de ces durées maximales ouvre droit pour le salarié à des dommages-intérêts, même sans démonstration d’un préjudice particulier (Cass. soc., 11 mai 2023, n°21-22.281 ; Cass. soc., 26 janvier 2022, n°20-21.636).
Les heures supplémentaires sont également encadrées par un contingent annuel (article L3121-30).
Ce contingent est en priorité fixé par :
En l’absence de tout accord, le contingent légal est de 220 heures par an et par salarié (articles L3121-39 et D3121-24).
Les conséquences pratiques sont importantes :
Ne sont pas imputées sur le contingent annuel :
La Cour de cassation a toutefois précisé que seules les heures qui ont effectivement ouvert droit à un repos compensateur accordé sont exclues du contingent (Cass. soc., 13 mars 2024, n°22-11.708).
Les heures supplémentaires sont calculées par semaine (article L3121-29).
À défaut de dispositions conventionnelles, la semaine civile s’étend du lundi 0 h au dimanche 24 h (article L3121-35).
Un accord collectif peut définir une autre période de 7 jours consécutifs pour constituer la semaine de référence (article L3121-32).
Il faut donc :
Lorsque la durée collective applicable dans l’entreprise est inférieure à 35 heures (par exemple 32h ou 33h), les heures accomplies entre cette durée conventionnelle et 35 heures ne sont pas, en principe, des heures supplémentaires au sens légal : ce sont de simples heures au-delà de l’horaire contractuel, mais non majorées au titre de la loi.
Les heures supplémentaires ne commencent qu’au-delà de 35 heures, sauf dispositions conventionnelles plus favorables.
Le bulletin de paie doit distinguer :
En cas de litige devant le conseil de prud’hommes, le salarié doit présenter des éléments suffisamment précis quant aux heures accomplies (plannings, mails, relevés horaires, notes personnelles), l’employeur devant ensuite répondre en produisant ses propres éléments de contrôle du temps de travail.
Une convention ou un accord collectif peut fixer les taux de majoration des heures supplémentaires, à condition qu’ils ne soient jamais inférieurs à 10 % (article L3121-33).
À défaut d’accord, les taux légaux de l’article L3121-36 s’appliquent :
Les majorations sont calculées sur la base du salaire horaire effectif, incluant les primes constituant la contrepartie directe du travail, selon la jurisprudence (Cass. soc., 23 septembre 2009, n°08-40.636).
Sont en principe incluses dans l’assiette de calcul des heures supplémentaires :
En sont exclus, notamment :
Le paiement des heures supplémentaires peut, en tout ou partie, être remplacé par un repos compensateur de remplacement si une convention ou un accord collectif le prévoit (article L3121-37).
Ce repos :
À défaut d’accord collectif, la contrepartie obligatoire en repos est au minimum de :
Dans les entreprises sans délégué syndical, le recours au repos compensateur de remplacement peut être instauré par l’employeur sous réserve de l’absence d’opposition du CSE.
Les rémunérations perçues au titre des heures supplémentaires (et des heures complémentaires pour les temps partiels) bénéficient d’une exonération d’impôt sur le revenu dans la limite annuelle de 7 500 euros par salarié (article 81 quater du Code général des impôts).
Au-delà de ce plafond, les sommes redeviennent imposables.
Les heures supplémentaires bénéficient également d’une réduction de cotisations salariales d’assurance vieillesse de base et complémentaire (articles L241-17, D241-21 et D241-22 du Code de la sécurité sociale).
Cette réduction allège le coût net des heures supplémentaires pour le salarié.
Les employeurs, sous certaines conditions, peuvent appliquer une déduction forfaitaire de cotisations patronales sur les heures supplémentaires. Initialement réservée aux entreprises de moins de 20 salariés, elle a été étendue aux entreprises de 20 à 249 salariés (article L241-18-1 du Code de la sécurité sociale, Loi n°2022-1616 du 23 décembre 2022).
Cette déduction :
Elle ne concerne toutefois que les employeurs dont les salariés sont éligibles à la réduction générale de cotisations patronales (ancienne « réduction Fillon »).
Lorsqu’un salarié a réalisé des heures supplémentaires non rémunérées, il peut :
En matière de preuve, le salarié doit fournir des éléments suffisamment précis quant aux horaires réalisés ; l’employeur doit répondre en produisant ses propres éléments de contrôle. Le juge apprécie ensuite l’ensemble des pièces.
Le salarié dispose, pour réclamer un rappel de salaire, d’un délai de 3 ans (article L3245-1 du Code du travail).
Le fait de mentionner un nombre d’heures inférieur à celui réellement accompli sur le bulletin de paie peut caractériser un travail dissimulé (article L8221-5 du Code du travail).
Dans ce cas, l’employeur s’expose à :
En outre, le non-paiement répété des heures supplémentaires peut justifier une prise d’acte ou une demande de résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l’employeur, entraînant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse (article L1235-3 sur le barème d’indemnisation).
Les salariés à temps partiel ne réalisent pas d’heures supplémentaires au sens strict tant qu’ils n’atteignent pas la durée légale. Ils effectuent des heures complémentaires (articles L3123-1 et suivants du Code du travail) lorsque :
Le contrat doit prévoir les limites dans lesquelles ces heures peuvent être effectuées. En principe, le volume des heures complémentaires ne peut excéder 10 % de la durée contractuelle (sauf accord collectif plus favorable). Ces heures ne doivent jamais conduire le salarié à atteindre un temps plein.
Les cadres dirigeants répondant aux critères de l’article L3111-2 du Code du travail ne sont pas soumis à la réglementation relative à la durée du travail. Ils ne bénéficient donc pas du régime des heures supplémentaires.
En revanche, si le salarié ne remplit pas réellement les critères du cadre dirigeant (autonomie, niveau de responsabilités, niveau de rémunération), il peut contester ce statut et revendiquer le paiement d’heures supplémentaires.
Les salariés cadres ou non cadres soumis à une convention de forfait en jours (articles L3121-58 et suivants) ne sont pas non plus soumis au décompte en heures.
Ils doivent accomplir un nombre de jours de travail par an, indépendamment de la durée quotidienne exacte.
Ils ne peuvent donc pas, en principe, prétendre au paiement d’heures supplémentaires, mais peuvent bénéficier de mécanismes de rémunération complémentaire ou de récupération en cas de surcharge manifeste de travail, sous contrôle du juge en cas d’atteinte à la santé ou au droit au repos.
Pour les employeurs, il est essentiel de :
Pour les salariés, il est indispensable de :
Les heures supplémentaires se trouvent ainsi au croisement de la gestion du temps, de la rémunération, de la santé au travail et de la sécurité juridique des relations de travail, ce qui impose une maîtrise précise des textes et des usages applicables.
Les heures supplémentaires occupent une place majeure dans l’organisation du travail en France, à la fois comme outil de flexibilité pour les entreprises confrontées à des variations d’activité, et comme élément central de la rémunération et de la protection des salariés. Leur régime juridique, loin d’être une simple extension des horaires habituels, constitue un véritable corpus normatif, associant règles légales, conventions collectives, jurisprudence et mécanismes fiscaux et sociaux. Pour cette raison, leur mise en œuvre doit impérativement être encadrée avec rigueur, précision et transparence.
L’étude du régime applicable révèle que les heures supplémentaires obéissent à plusieurs logiques convergentes :
– une logique organisationnelle, qui permet à l’employeur de répondre à un surcroît d’activité dans le respect de son pouvoir de direction ;
– une logique protectrice, destinée à préserver la santé du salarié par le maintien de durées maximales impératives et par l’octroi de majorations ou de repos compensateurs ;
– une logique économique, renforcée par des dispositifs d’exonération fiscale et sociale visant à encourager la rémunération du travail supplémentaire sans pénaliser les employeurs ;
– une logique contentieuse, qui impose un strict respect des règles de preuve, des bulletins de paie et des obligations déclaratives, sous peine de sanctions lourdes pouvant aller jusqu’à la qualification de travail dissimulé.
Les décisions jurisprudentielles récentes, notamment celles de la Cour de cassation ayant admis le paiement d’heures supplémentaires même en cas de semaine comprenant un jour de congé payé, traduisent un mouvement constant d’élargissement de la protection du salarié et de clarification du droit applicable. Ce mouvement impose aux entreprises une vigilance accrue dans le suivi du temps de travail, la rédaction des accords collectifs, l’organisation des équipes et la traçabilité des horaires.
Pour les salariés, les heures supplémentaires ne se résument pas à un simple gain financier. Elles constituent un droit opposable, vérifiable et contrôlable, qui s’inscrit dans un ensemble plus vaste : celui du respect de la durée du travail, du droit au repos, de la transparence salariale et de la lutte contre les pratiques abusives. Le salarié n’est jamais dépourvu de moyens d’action : mise en demeure, recours aux représentants du personnel, saisine de l’inspection du travail, action en justice pour rappel de salaires, demande de résiliation judiciaire ou prise d’acte en cas de manquements graves.
De leur côté, les employeurs disposent d’outils essentiels pour sécuriser leur pratique : négociation d’accords d’entreprise permettant de fixer les majorations, les contingents, les modalités de repos compensateur, les procédures internes de demande et de contrôle, ou encore adaptation des conventions de forfait en jours pour éviter les dérives et garantir la préservation de la santé du salarié.
Ainsi, le régime des heures supplémentaires apparaît comme un équilibre juridique délicat, nécessitant une articulation constante entre les impératifs de performance économique et les exigences de protection du travailleur. Dans un contexte où les organisations se transforment, où l’activité se digitalise, et où la question du temps de travail est au cœur des préoccupations sociales, la maîtrise de ces règles est indispensable pour sécuriser les relations de travail.
Les heures supplémentaires ne sont jamais un simple prolongement de la journée de travail : elles constituent un dispositif structuré, technique, profondément encadré, où chaque acteur – employeur, salarié, représentant du personnel, contrôle administratif et juge – joue un rôle déterminant dans le respect des équilibres posés par le Code du travail. Leur bonne compréhension permet d’éviter les contentieux, de garantir une rémunération conforme, de préserver la santé des salariés et de renforcer la sécurité juridique de l’entreprise.
La qualification d’heures supplémentaires ne dépend pas uniquement du fait qu’un salarié ait travaillé plus longtemps que prévu. Elle repose sur plusieurs critères cumulés issus du Code du travail et de la jurisprudence.
Selon l’article L3121-28, est supplémentaire toute heure effectuée au-delà de 35 heures hebdomadaires, ou de la durée équivalente prévue par accord collectif. Ce décompte est hebdomadaire, de sorte qu’une journée exceptionnellement longue n’entraîne pas automatiquement des heures supplémentaires si la semaine reste dans la limite des 35 heures.
La jurisprudence joue un rôle majeur. La Cour de cassation a estimé qu’un salarié ne peut revendiquer des heures supplémentaires que si celles-ci ont été demandées, validées, tolérées ou nécessairement connues de l’employeur. Ainsi, même si le salarié dépasse son horaire, il ne pourra obtenir une rémunération supplémentaire si l’employeur ignorait ces dépassements et pouvait légitimement penser que le salarié respectait les horaires.
De plus, les juges analysent le mode de contrôle du temps de travail mis en place. Si l’employeur utilise une badgeuse, un logiciel de suivi ou des plannings signés, il lui est souvent difficile de contester qu’il avait connaissance des dépassements.
Enfin, la Cour de cassation a récemment renforcé la notion de travail ouvrant droit à heures supplémentaires en intégrant la semaine comprenant un jour de congé payé dans le décompte (arrêt du 10 septembre 2025). Cette décision élargit la possibilité pour un salarié de revendiquer des heures supplémentaires même en l’absence de 35 heures « effectives ».
Le principe est clair : lorsque l’employeur demande des heures supplémentaires dans le respect du droit du travail, le salarié doit s’y conformer. Un refus injustifié constitue une insubordination, pouvant mener à un avertissement, voire un licenciement si la désorganisation est avérée.
Cependant, la jurisprudence reconnaît plusieurs situations où le salarié peut opposer un refus sans commettre de faute.
Ainsi, un refus peut être pleinement justifié lorsqu’il tend à éviter une violation des droits fondamentaux du salarié.
Le calcul de la rémunération des heures supplémentaires repose sur un mécanisme en trois étapes :
L’article L3121-29 impose un calcul par semaine civile (lundi–dimanche), sauf accord collectif définissant une autre période de 7 jours.
Si la durée collective est inférieure à 35 heures, les heures situées entre cette durée conventionnelle et 35 heures ne sont pas des heures supplémentaires. Elles ne sont majorées que si l’accord le prévoit.
– Accord collectif prioritaire, avec un taux minimal de 10 % (article L3121-33).
– À défaut d’accord :
– 25 % de la 36ᵉ à la 43ᵉ heure ;
– 50 % à partir de la 44ᵉ heure (article L3121-36).
La rémunération des heures supplémentaires doit prendre en compte :
La jurisprudence est constante : toute prime rémunérant directement le travail doit être incluse dans le taux horaire servant à majorer les heures supplémentaires.
À l’inverse, sont exclues :
Le salarié dispose d’un arsenal juridique très complet pour faire valoir ses droits.
Une lettre recommandée permet d’exiger le paiement des sommes dues tout en démontrant la volonté de résoudre le litige à l’amiable.
Les élus du CSE peuvent intervenir auprès de l’employeur, notamment en cas de non-respect du suivi du temps de travail ou de blocage.
Elle peut contrôler :
– le décompte des heures,
– les plannings,
– les méthodes de suivi.
Le salarié dispose d’un délai de 3 ans pour demander :
– un rappel d’heures supplémentaires,
– des indemnités compensatrices,
– la régularisation des cotisations sociales,
– et, dans certains cas, la requalification de la rupture du contrat.
Lorsque l’employeur mentionne volontairement un nombre d’heures inférieur à celui effectué, il s’expose à :
Ce mécanisme constitue une véritable arme juridique pour le salarié en cas de pratiques frauduleuses.
Ces trois catégories obéissent à des régimes totalement différents.
Ils n’effectuent pas d’heures supplémentaires mais des heures complémentaires, limitées par les articles L3123-1 et suivants.
Elles doivent rester dans un plafond fixé au contrat et ne peuvent jamais conduire à atteindre la durée légale de 35 heures, sauf exceptions conventionnelles.
Les cadres dirigeants répondant strictement aux critères de l’article L3111-2 ne sont pas soumis :
Toutefois, en cas de mauvaise qualification, le salarié peut démontrer qu’il n’avait ni autonomie réelle ni niveau de responsabilité suffisant. Dans ce cas, il devient éligible au rappel d’heures supplémentaires.
Le forfait jours implique un décompte en jours travaillés, non en heures. Ils ne peuvent donc pas prétendre aux heures supplémentaires.
Cependant, si la charge de travail porte atteinte :
le salarié peut engager la responsabilité de l’employeur et obtenir réparation ou requalification du forfait.