Dans un contexte de crise du logement marqué par la persistance de nombreux biens immobiliers vacants ou laissés à l’abandon, le législateur entend favoriser une réduction du nombre d’indivisions successorales longues et conflictuelles.
Une proposition de loi, adoptée en première lecture à l’Assemblée nationale le 6 mars 2025, tend à faciliter la sortie de l’indivision, notamment en matière successorale.
Le texte propose une réforme ambitieuse du régime de l’indivision tel que défini aux articles 815 et suivants du Code civil, à travers des mécanismes nouveaux d’intervention judiciaire et d’assouplissement des règles de gestion et de partage. L’objectif affirmé : libérer plus rapidement les logements et fluidifier les successions bloquées.
La réforme propose une double approche pour débloquer les situations d’indivision persistante : d’une part, l’intervention renforcée de l’État, par l’intermédiaire de l’administration des domaines, et d’autre part, une facilitation de l’initiative des indivisaires majoritaires.
La création d’un article 815-5-2 du Code civil permettrait à l’autorité administrative chargée des domaines, sur autorisation du tribunal judiciaire, de vendre un bien indivis par voie de licitation dès lors que plusieurs conditions sont réunies : l’indivision dure depuis au moins dix ans, un indivisaire est décédé depuis deux ans, sa succession est déclarée vacante, et l’identité ou l’adresse d’un ou plusieurs autres indivisaires reste inconnue malgré les diligences.
Ce mécanisme vise à résorber les blocages liés à l’impossibilité de recueillir l’accord de tous les indivisaires, condition normalement requise pour toute aliénation selon l’article 815-3.
Il s’agit d’une extension notable des prérogatives de l’administration, qui, en l’état actuel du droit (article 809 du Code civil), ne peut vendre les biens immobiliers d’une succession vacante que si le produit des meubles s’avère insuffisant pour apurer le passif.
Rappelons que la vacance est juridiquement constatée par le président du tribunal judiciaire du lieu d’ouverture de la succession, conformément à l’article 809-1, et entraîne la nomination de l’autorité administrative en qualité de curateur de la succession.
La proposition prévoit également une modification de l’article 815-5-1, réduisant la majorité nécessaire pour saisir le juge en vue de vendre un bien indivis : plus besoin de réunir deux tiers des droits indivis, une majorité simple suffit désormais.
Ce changement vise à donner davantage de pouvoir aux indivisaires actifs, tout en maintenant une protection judiciaire via l’examen de l’atteinte aux droits des autres indivisaires. Le notaire conserve un rôle central : il reçoit la déclaration d’intention, la notifie aux autres indivisaires, et dresse procès-verbal de carence ou d’opposition, ouvrant ensuite la voie à la décision judiciaire.
Ce mécanisme ne modifie pas les dispositions existantes permettant à un indivisaire d’agir seul en justice lorsqu’un autre empêche la gestion du bien indivis (article 815-6), mais il s’inscrit dans une logique de rééquilibrage des pouvoirs au sein de l’indivision.
Outre les aménagements judiciaires ponctuels, la proposition de loi entend également moderniser la gestion des biens indivis à usage d’habitation et accélérer le partage judiciaire, en particulier dans les situations d’inertie.
La réforme propose une expérimentation de cinq ans dans certains ressorts, permettant de présumer le consentement au partage d’un indivisaire inerte, s’il ne constitue pas de mandataire dans le mois suivant une mise en demeure.
Ce mécanisme déroge à l’article 841-1 du Code civil, qui prévoit aujourd’hui que le juge doit désigner un représentant pour les indivisaires défaillants. Il vise à raccourcir considérablement les délais du partage judiciaire.
En parallèle, un rapport est annoncé sur la procédure spécifique de partage judiciaire en vigueur en Alsace-Moselle (loi du 1er juin 1924), qui confie un rôle actif au notaire commis par le juge, y compris la faculté d’organiser des ventes simplifiées. Ce rapport pourrait nourrir une réflexion sur l’éventuelle généralisation de cette procédure sur l’ensemble du territoire.
L’article 815-7-1 du Code civil, issu de la loi n° 2018-1244 du 27 décembre 2018, autorise déjà, dans certains territoires d’outre-mer, un indivisaire à réaliser seul des travaux de réhabilitation ou à donner à bail un logement indivis inoccupé, après autorisation judiciaire. Il déroge aux règles classiques de majorité de l’article 815-3, qui exigent normalement les deux tiers des droits indivis pour les actes d’administration.
La proposition de loi prévoit un rapport d’évaluation en vue d’une éventuelle extension de ce régime à l’ensemble du territoire, ce qui pourrait transformer profondément le régime de gestion des biens indivis à usage d’habitation en situation de vacance.
En conférant de tels pouvoirs à un seul indivisaire, le texte reconnaît implicitement que l’intérêt général de remise sur le marché des logements prime parfois sur la stricte égalité entre cohéritiers.
Ces mesures traduisent une volonté forte de désengorger le parc immobilier bloqué par l’indivision successorale. Si elles viennent renforcer les marges d’action tant de l’État que des cohéritiers majoritaires, elles interrogent néanmoins sur l’équilibre entre efficacité et protection des droits des indivisaires.
L’évolution du régime de l’indivision pourrait ainsi inaugurer une nouvelle ère dans la gestion successorale, marquée par davantage de pragmatisme, mais aussi par une redéfinition des droits collectifs sur le patrimoine familial.
Pour approfondir la portée de ces changements et leur application concrète, defendstesdroits.fr se tiendra informé des débats parlementaires à venir et des ajustements qui pourraient être apportés en seconde lecture.
1. Qu’est-ce qu’une indivision successorale et pourquoi pose-t-elle problème dans le contexte actuel du logement ?
L’indivision successorale désigne la situation juridique dans laquelle plusieurs héritiers deviennent propriétaires en commun d’un bien issu d’une succession, tant que le partage définitif n’a pas été effectué. Ce régime, régi par les articles 815 à 815-18 du Code civil, implique que chaque indivisaire détient des droits sur l’ensemble du bien, sans division matérielle.
En pratique, cette situation peut rapidement devenir conflictuelle : désaccords sur la gestion, impossibilité de vendre le bien sans majorité qualifiée, blocages dus à l’inertie d’un héritier ou à son absence prolongée. Ces obstacles entraînent souvent une vacance prolongée du logement, aggravant la crise immobilière. La réforme vise précisément à réduire ces périodes d’inaction en allégeant les conditions nécessaires à l’aliénation ou au partage des biens indivis.
2. Quel rôle pourrait jouer l’administration des domaines dans la vente des biens indivis vacants ?
La proposition de loi prévoit d’élargir les pouvoirs de l’administration chargée des domaines via la création d’un article 815-5-2 du Code civil. Celle-ci pourrait obtenir, sur autorisation du tribunal judiciaire, le droit de vendre un bien indivis par licitation judiciaire, dès lors que :
Cette évolution répond à la nécessité de débloquer les successions sans héritiers clairement identifiés ou actifs. Jusqu’à présent, l’administration ne pouvait vendre les immeubles qu’en cas de vacance successorale avérée et à des conditions très restrictives (articles 809 à 809-3 du Code civil). La réforme permettrait donc une intervention plus rapide de l’État, notamment pour réintégrer ces logements sur le marché locatif ou de vente.
3. Comment les indivisaires pourraient-ils obtenir plus facilement l’autorisation de vendre un bien indivis ?
Le projet prévoit de réviser l’article 815-5-1 du Code civil en abaissant la majorité requise pour que les indivisaires puissent saisir le juge afin de vendre un bien indivis. Actuellement, une majorité de deux tiers des droits indivis est nécessaire. La réforme ramène ce seuil à une majorité simple, soit plus de la moitié des droits indivis.
Cet abaissement vise à faciliter les initiatives de vente, à condition qu’aucun indivisaire ne soit présumé absent, placé sous protection juridique ou dans l’impossibilité manifeste de s’exprimer. La procédure suppose toujours que le notaire signifie l’intention d’aliéner aux indivisaires, et que ceux-ci disposent d’un délai de trois mois pour s’y opposer. En cas de silence ou de refus, le juge pourra autoriser la vente si elle ne porte pas atteinte de manière excessive aux droits des autres. Cette mesure devrait accélérer les dénouements successoraux sans recourir à l’unanimité, longtemps considérée comme paralysante.
4. La réforme prévoit-elle une simplification du partage judiciaire en cas de blocage ?
Oui. L’un des points forts du texte est l’introduction d’une procédure expérimentale d’accélération du partage judiciaire dans certains ressorts pendant cinq ans. Actuellement, en vertu de l’article 841-1 du Code civil, un indivisaire inerte peut être mis en demeure par un notaire de désigner un mandataire. À défaut, le notaire doit demander au juge de nommer une personne qualifiée pour représenter le défaillant.
La réforme propose un mécanisme plus rapide : si l’indivisaire ne répond pas dans un délai d’un mois, son consentement serait présumé, permettant au partage d’être mené à terme sans formalité supplémentaire. Cette disposition, bien qu’innovante, pose la question de l’équilibre entre efficacité procédurale et respect des droits de la défense. Elle reflète toutefois une volonté politique d’endiguer les indivisions bloquées, véritable fléau du patrimoine immobilier français.
5. Le régime ultramarin de gestion des biens indivis sera-t-il étendu à toute la France ?
Le texte n’en acte pas directement l’extension, mais prévoit la remise d’un rapport sur l’évaluation de la loi n° 2018-1244 du 27 décembre 2018, qui s’applique actuellement aux territoires d’outre-mer (Guadeloupe, Martinique, Guyane, La Réunion, Saint-Martin). Cette loi autorise, à travers l’article 815-7-1 du Code civil, un indivisaire à effectuer seul certains travaux ou à louer le bien indivis, après autorisation judiciaire, sans avoir besoin de la majorité habituellement requise par l’article 815-3.
Si le rapport est favorable, le législateur pourrait envisager une généralisation du dispositif à l’ensemble du territoire, dans le but de réhabiliter et remettre en usage les logements vacants. Une telle mesure irait dans le sens d’un droit civil plus pragmatique, visant à valoriser l’usage effectif du logement au détriment de l’inertie juridique.