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Indemnités journalières et voyage à l’étranger : quelles sont les règles ?

Estelle Marant
Collaboratrice
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Indemnités journalières et séjour à l’étranger : que dit la jurisprudence ?

Le régime des indemnités journalières versées en cas de maladie par l’Assurance Maladie est strictement encadré par le Code de la sécurité sociale. Ce système repose sur un équilibre : protéger les salariés temporairement inaptes au travail tout en garantissant un usage rigoureux des deniers publics. Parmi les obligations du bénéficiaire figure celle de se soumettre à des contrôles médicaux réguliers.

Cela soulève une question importante : un salarié peut-il conserver ses indemnités journalières lorsqu’il séjourne temporairement à l’étranger, avec l’autorisation de son médecin ? La réponse n’est pas si simple, comme en témoigne un arrêt rendu par la Cour de cassation le 5 juin 2025.

Un cas concret : un séjour temporaire en Tunisie validé par le médecin traitant

En l’espèce, une assurée avait bénéficié de plus de deux mois d’indemnités journalières, du 6 juillet au 12 septembre 2019, alors qu’elle séjournait temporairement en Tunisie. Ce déplacement avait été expressément autorisé par son médecin traitant, qui avait délivré un certificat médical sans réserve. Pourtant, quelques mois plus tard, la CPAM lui notifie un indu, estimant qu’elle n’avait pas respecté les conditions de maintien des prestations en espèces en quittant le territoire français.

L’assurée saisit alors la juridiction compétente pour contester la décision de la caisse.

À première vue, son argument semble solide : elle disposait de l’aval de son médecin traitant, son traitement n’exigeait pas de suivi particulier, et aucun contrôle médical ne semblait nécessaire durant cette période.

Le tribunal lui donne raison, en considérant que l’accord médical préalable et l’absence de besoin de contrôle rendaient légitime le maintien des indemnités.

Mais l’affaire ne s’arrête pas là. La CPAM forme un pourvoi. Et la Cour de cassation rend une décision qui renverse complètement la logique retenue par le tribunal.

Le rappel du droit applicable : les textes essentiels

La Cour de cassation fonde son raisonnement sur plusieurs dispositions du Code de la sécurité sociale, qu’il convient de rappeler.

D’abord, l’article L. 111-1 énonce que la Sécurité sociale protège toute personne travaillant ou résidant en France de façon stable et régulière, en lui assurant la couverture de ses charges en cas de maladie.

Mais c’est surtout l’article L. 323-6 qui précise que le versement des indemnités journalières est conditionné :

  • à l’observation des prescriptions médicales,
  • à la soumission aux contrôles du service médical de la caisse (article L. 315-2),
  • à l’interdiction d’exercer toute activité non autorisée,
  • et, surtout, à la possibilité pour l’organisme d’effectuer ces contrôles.

L’article R. 323-12 ajoute qu’en cas de contrôle rendu impossible, l’organisme est en droit de refuser le versement des prestations pour la période concernée.

Enfin, le Conseil d’État a rappelé dans une décision du 28 novembre 2024 (n° 495040) que tout déplacement en dehors du domicile, notamment à l’étranger, doit permettre la continuité du respect de ces obligations, sous peine de suspension des droits.

La position de la Cour de cassation : pas d’indemnité sans contrôle possible

Dans son arrêt du 5 juin 2025 (n° 22-22.834), la deuxième chambre civile retient que, en l'absence de possibilité de contrôle effectif pendant le séjour à l’étranger, la caisse est fondée à suspendre le versement des indemnités journalières.

Autrement dit, même si le médecin traitant donne son accord, cet élément ne suffit pas.

Ce qui prime, selon la Cour, c’est la capacité pour la CPAM de vérifier que le patient respecte ses obligations pendant toute la durée de l’arrêt de travail. En l’espèce, un séjour en Tunisie, pays non couvert par les règlements de coordination de l’Union européenne en matière d’assurance maladie, rendait impossible ce contrôle.

Le consentement du médecin traitant est certes un élément de contexte, mais il n’a pas d’effet juridique suffisant pour écarter les textes légaux. Il ne peut en aucun cas se substituer à la faculté de contrôle de l’Assurance maladie, condition sine qua non au maintien des prestations.

L’avis de l’avocat général : une position plus nuancée

Dans cette affaire, l’avocat général avait pourtant proposé une solution différente. Selon lui, aucun texte n’interdit, de façon absolue, le versement d’indemnités en cas de séjour à l’étranger. Il reconnaît toutefois que ce versement doit être encadré, notamment par l’obtention préalable d’un accord de la caisse, en plus de l’autorisation du médecin.

Il soulignait également qu’un refus automatique au seul motif du séjour à l’étranger pourrait soulever une problématique de discrimination au regard des droits fondamentaux (articles 8 et 14 de la Convention EDH, article 1er du Protocole n°1).

Sa position, bien que juridiquement fondée et humaniste, n’a pas été suivie. La Cour a privilégié une interprétation stricte des textes, fidèle à la lettre du Code de la sécurité sociale.

Une jurisprudence cohérente avec une tendance plus restrictive

L’arrêt du 5 juin 2025 s’inscrit dans une série de décisions par lesquelles la Cour de cassation affirme la rigueur du cadre légal encadrant les arrêts maladie. Elle avait déjà jugé, dans des affaires antérieures, que :

  • les sorties autorisées par le médecin devaient impérativement être mentionnées dans le volet d’arrêt de travail pour être opposables à la caisse ;
  • l’assuré ne pouvait pas, de sa propre initiative, s’absenter de sa résidence habituelle sans information préalable à la caisse.

Il en ressort une volonté claire des juges de préserver les mécanismes de contrôle, perçus comme garants de l’intégrité du système de santé publique.

Quelles conséquences pratiques pour les assurés ?

Pour les assurés en arrêt maladie, cette jurisprudence implique une vigilance accrue. Un déplacement à l’étranger, même temporaire, même justifié médicalement, peut entraîner une suspension des droits, voire un remboursement des indemnités déjà perçues.

Ainsi, avant tout séjour hors de France, il est impératif de :

  1. Solliciter une autorisation expresse de la CPAM, avec justificatifs à l’appui ;
  2. Conserver une traçabilité écrite des autorisations du médecin ;
  3. Informer la caisse de toute nouvelle adresse temporaire, y compris à l’étranger, pour maintenir la possibilité de contrôle.

À défaut, l’assuré s’expose à une procédure de recouvrement, pouvant aller jusqu’à la délivrance d’une contrainte, voire une action contentieuse.

Conclusion : un équilibre entre protection sociale et responsabilité

Le maintien des indemnités journalières lors d’un séjour à l’étranger soulève une question d’équilibre entre le droit au repos et à la mobilité d’un côté, et les nécessités de contrôle et de vérification de l’autre.

L’arrêt du 5 juin 2025 apporte une réponse claire : l’impossibilité pour la caisse de réaliser ses contrôles rend irrégulier le versement des prestations, quelles que soient les autorisations médicales.

C’est une décision qui invite à l’anticipation, à la transparence, et à une collaboration étroite avec les organismes d’assurance maladie, afin de garantir la sécurité juridique de tous les bénéficiaires.

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