Travail

Inflation et salaires : les obligations et leviers juridiques de l’employeur

Estelle Marant
Collaboratrice
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Entreprises et inflation : toutes les solutions pour soutenir vos salariés

L’inflation, phénomène économique aux effets concrets et persistants, continue d’affecter le quotidien des Français, malgré un ralentissement observé début 2025. L’Insee estime la hausse annuelle des prix à la consommation à +1,7 %, portée principalement par le renchérissement de l’énergie et des services. Cette évolution, bien que modérée par rapport aux pics de 2022 et 2023, a profondément bouleversé l’équilibre entre revenus salariaux et coût de la vie. Dans un tel contexte, les entreprises ne peuvent rester spectatrices : elles occupent une place déterminante dans la préservation du pouvoir d’achat et la cohésion sociale.

Au-delà du rôle économique, c’est une véritable obligation sociale et éthique qui incombe à l’employeur. Le Code du travail impose déjà certaines garanties minimales — respect du SMIC (article L3231-2), négociation annuelle obligatoire sur les salaires (article L2242-1), ou encore participation obligatoire aux résultats dans les entreprises de plus de 50 salariés (article L3322-1). Mais la lutte contre l’inflation appelle une approche plus globale, combinant mesures salariales directes et avantages périphériques : intéressement, mobilité durable, télétravail, actions du CSE, etc.

Dans cette optique, l’entreprise moderne devient un acteur socio-économique central : elle ne se contente plus de verser un salaire, mais participe activement à la stabilité financière et psychologique de ses collaborateurs. L’objectif est double : protéger le pouvoir d’achat des salariés et renforcer l’attractivité de l’employeur dans un marché du travail concurrentiel.

Ainsi, le présent article explore, à la lumière du droit positif, les leviers juridiques et sociaux dont disposent les employeurs pour soutenir leurs salariés face à l’érosion du pouvoir d’achat, sans compromettre leur équilibre financier ni leurs obligations légales.

Sommaire

  1. Comprendre l’inflation et ses effets sur le pouvoir d’achat
  2. Les leviers salariaux pour contrer l’inflation
  3. Participation et intéressement : un partage vertueux des résultats
  4. Mobilité durable et frais de transport : réduire les dépenses des salariés
  5. Le rôle du CSE dans le maintien du pouvoir d’achat
  6. Réorganisation du travail : télétravail et semaine de quatre jours
  7. Vers une nouvelle responsabilité économique et sociale des entreprises

Définition et portée économique de l’inflation sur l’entreprise

L’inflation désigne une hausse généralisée et durable des prix des biens et services entraînant une baisse du pouvoir d’achat des ménages (article L112-2 du Code monétaire et financier). Cette situation fragilise la consommation et le moral des salariés, mais également la compétitivité des entreprises.

Le pouvoir d’achat, quant à lui, correspond à la quantité de biens et services qu’un revenu permet d’acquérir. Son érosion engendre des tensions internes :

  • démotivation et désengagement au travail ;
  • difficultés de recrutement dans les secteurs à bas salaire ;
  • risque accru de turnover et de baisse de productivité.

Ainsi, dans un contexte économique marqué par des fluctuations de prix et des ajustements salariaux tardifs, le rôle de l’employeur devient central : non seulement pour protéger ses salariés, mais aussi pour préserver la stabilité sociale de l’entreprise.

Agir sur la rémunération pour amortir l’inflation

L’augmentation salariale : un levier classique mais encadré

Le salaire reste la première variable d’ajustement. Une revalorisation collective ou ciblée permet de compenser partiellement la hausse du coût de la vie.
Plusieurs dispositifs peuvent être envisagés :

  • revalorisation anticipée des bas salaires avant les hausses du SMIC (article L3231-2 du Code du travail) ;
  • instauration d’un 13ᵉ mois ou d’une prime mensuelle complémentaire ;
  • part variable sur objectifs garantissant une rémunération minimale même pour les plus faibles revenus.

Cependant, ces mesures entraînent une augmentation des charges sociales et doivent être intégrées dans la politique globale de rémunération pour éviter tout déséquilibre budgétaire.

L’interdiction d’indexer les salaires sur l’inflation

Depuis 1983, la clause d’indexation automatique des salaires sur l’évolution des prix est interdite (article L112-2 du Code monétaire et financier).
Les salaires peuvent toutefois être ajustés de manière périodique, via accords de branche ou négociations annuelles obligatoires (NAO), prévues à l’article L2242-1 du Code du travail. Ces négociations permettent d’aborder les thèmes relatifs au pouvoir d’achat, à l’égalité salariale et à la rémunération variable.

Participation, intéressement et primes : des outils incitatifs et exonérés

L’intéressement : associer les salariés à la performance

L’article L3312-1 du Code du travail définit l’intéressement comme un dispositif permettant d’associer collectivement les salariés aux résultats de l’entreprise.
Sa mise en place nécessite un accord collectif, mais elle offre des avantages fiscaux et sociaux : les sommes versées sont exonérées de cotisations sociales dans certaines limites (article L3315-1).

L’employeur peut également verser un supplément d’intéressement ou de participation, par décision unilatérale, pour renforcer le pouvoir d’achat (article L3314-10). Cette pratique, de plus en plus répandue, permet de redistribuer une partie des bénéfices aux salariés sans alourdir excessivement la masse salariale structurelle.

La prime de partage de la valeur (PPV)

Remplaçant la « prime Macron », la prime de partage de la valeur est régie par la loi n° 2025-127 du 14 février 2025 de finances pour 2025.
Elle peut être versée par toute entreprise et bénéficie d’une exonération d’impôt sur le revenu et de cotisations sociales sous conditions.
Son attribution peut être uniforme ou modulée selon des critères objectifs : ancienneté, niveau de rémunération ou durée de présence.

Ces dispositifs constituent aujourd’hui l’un des moyens les plus efficaces de revaloriser le pouvoir d’achat sans modifier la structure salariale.

Mobilité durable et indemnités de transport : réduire le coût des trajets

Le forfait mobilités durables (FMD)

Créé par la loi d’orientation des mobilités (LOM) et codifié à l’article L3261-3-1 du Code du travail, le forfait mobilités durables permet à l’employeur de rembourser tout ou partie des frais liés à des transports alternatifs : vélo, covoiturage, véhicule électrique ou transports publics.
Ce forfait est exonéré de cotisations sociales dans la limite de 800 euros par an et peut être versé via un titre-mobilité, sur le modèle des titres-restaurant.

Prise en charge des transports publics

L’article R3261-1 du Code du travail impose à l’employeur de rembourser au moins 50 % du coût des abonnements de transport public entre le domicile et le lieu de travail.
La loi de finances 2025 a relevé temporairement le seuil d’exonération à 75 % afin de soutenir les salariés face à la hausse des prix de l’énergie.

Ces deux mesures — cumulables — permettent de réduire les frais de déplacement tout en encourageant des pratiques respectueuses de l’environnement.

Le CSE : un acteur essentiel du pouvoir d’achat

Les entreprises d’au moins 11 salariés doivent instaurer un Comité social et économique (CSE) (article L2311-2 du Code du travail).
Outre son rôle de dialogue social, le CSE gère des activités sociales et culturelles (ASC) financées par une contribution équivalente à 0,20 % de la masse salariale brute (article L2315-61).

Grâce à ce budget, le CSE peut attribuer :

  • des chèques-vacances (article L411-9 du Code du tourisme) ;
  • des cartes-cadeaux et chèques-culture ;
  • des aides à la garde d’enfants ou aux loisirs.

Ces avantages, exonérés de cotisations sociales dans certaines limites fixées par l’URSSAF, participent directement à l’amélioration du pouvoir d’achat réel des salariés.

Réorganiser le temps de travail : télétravail et semaine de quatre jours

Le télétravail : réduire les dépenses et améliorer la qualité de vie

Prévu à l’article L1222-9 du Code du travail, le télétravail permet de diminuer les coûts de transport, tout en favorisant un meilleur équilibre entre vie professionnelle et personnelle.
L’employeur peut verser une indemnité forfaitaire couvrant les frais professionnels (connexion internet, électricité, chauffage), exonérée de cotisations sociales dans la limite des plafonds fixés par l’administration (BOSS, fiche 2025).

La semaine de quatre jours : un levier organisationnel

Certaines entreprises expérimentent une semaine de quatre jours avec ou sans réduction du temps de travail. Ce dispositif, bien que non codifié spécifiquement, s’appuie sur les articles L3121-44 et suivants du Code du travail, qui permettent d’aménager la répartition des heures sur une période supérieure à la semaine.
Il réduit les frais de déplacement, favorise la productivité et améliore la qualité de vie au travail, sous réserve de respecter les durées maximales de travail (48 h hebdomadaires, 44 h en moyenne sur 12 semaines).

Les enjeux pour 2025 : responsabilité sociale et attractivité

Face à une inflation durable, la réponse ne peut être uniquement économique. Le rôle de l’employeur s’inscrit désormais dans une responsabilité sociale d’entreprise (RSE) :

  • maintenir un niveau de vie décent pour ses salariés ;
  • promouvoir une politique salariale équitable et transparente ;
  • renforcer l’engagement collectif par des dispositifs de participation et d’avantages sociaux.

En combinant les leviers de rémunération, d’organisation et de mobilité, l’entreprise peut contribuer activement à la préservation du pouvoir d’achat tout en consolidant sa cohésion interne et son image d’employeur responsable.

Conclusion

L’inflation, en fragilisant le lien entre revenu et niveau de vie, a replacé l’entreprise au cœur du débat sur la justice sociale et la redistribution. Si l’État fixe le cadre macroéconomique, c’est souvent au niveau de l’entreprise que se joue concrètement la capacité des salariés à vivre dignement de leur travail. Loin de se limiter à un devoir moral, cette responsabilité est désormais une exigence juridique et stratégique.

L’employeur dispose de nombreux leviers encadrés par le Code du travail : revalorisation salariale, intéressement, participation, prime de partage de la valeur, forfait mobilités durables, télétravail, ou encore aides sociales via le CSE. Chacun de ces dispositifs, lorsqu’il est mis en œuvre avec discernement, permet de renforcer le pouvoir d’achat sans déséquilibrer la masse salariale.

Mais au-delà des textes, une nouvelle logique s’impose : celle de la corresponsabilité économique. Dans un monde du travail en mutation, marqué par la recherche de sens et la montée des inégalités, les entreprises qui sauront allier performance et protection deviendront les véritables piliers d’un modèle social durable.

En replaçant l’humain au centre des décisions salariales, l’employeur participe non seulement à la prévention des tensions sociales, mais aussi à la pérennité de son activité. La lutte contre l’inflation devient alors un instrument de dialogue social, de fidélisation et de valorisation du travail, consolidant une conviction désormais essentielle : le pouvoir d’achat des salariés est indissociable de la santé économique de l’entreprise et de la justice sociale au sens le plus concret du terme.

FAQ

1. Comment un employeur peut-il protéger le pouvoir d’achat de ses salariés face à l’inflation ?
L’employeur dispose de plusieurs moyens légaux pour soutenir le pouvoir d’achat : augmentation des salaires, versement de primes exceptionnelles (comme la prime de partage de la valeur), amélioration de la participation et mise en place d’accords d’intéressement. Ces dispositifs, prévus par le Code du travail (articles L3311-1 et suivants), permettent de récompenser les salariés sans alourdir excessivement les charges sociales. Par ailleurs, l’employeur peut agir sur les conditions de travail en favorisant le télétravail, la mobilité durable et la flexibilité horaire.

2. L’entreprise peut-elle indexer les salaires sur l’inflation ?
Non. L’indexation automatique des salaires sur l’évolution des prix est interdite par l’article L112-2 du Code monétaire et financier. En revanche, les négociations annuelles obligatoires (NAO), prévues à l’article L2242-1 du Code du travail, permettent d’ajuster les salaires selon la conjoncture économique. Ces discussions peuvent aboutir à des revalorisations ciblées, particulièrement pour les bas salaires. Certaines conventions collectives prévoient également des augmentations planchers en cas de hausse du SMIC.

3. Comment les dispositifs d’intéressement et de participation soutiennent-ils le pouvoir d’achat ?
Les dispositifs d’intéressement et de participation associent les salariés aux performances de l’entreprise (articles L3312-1 et L3322-1 du Code du travail). Ces primes, exonérées de cotisations sociales sous conditions, représentent un complément de revenu significatif, particulièrement en période d’inflation. L’employeur peut aussi verser un supplément de participation ou d’intéressement, afin de redistribuer une partie des bénéfices réalisés. Ces dispositifs renforcent à la fois la motivation des salariés et la solidarité interne.

4. Quelles aides liées à la mobilité peuvent réduire les dépenses des salariés ?
Les employeurs peuvent prendre en charge les frais de transport selon plusieurs dispositifs légaux :

  • Remboursement obligatoire de 50 % des abonnements de transport public (article R3261-1 du Code du travail) ;
  • Forfait mobilités durables (FMD), qui couvre les trajets en vélo, covoiturage ou transports alternatifs (article L3261-3-1) ;
  • Titre-mobilité, permettant de financer ces déplacements de manière dématérialisée.
    Ces avantages, exonérés de cotisations jusqu’à 800 € par an, encouragent les salariés à adopter des solutions économiques et écologiques tout en allégeant leurs charges mensuelles.

5. Quel est le rôle du CSE dans le maintien du pouvoir d’achat ?
Le Comité social et économique (CSE), obligatoire dès 11 salariés, joue un rôle essentiel dans le soutien social et financier des collaborateurs. Il gère un budget des activités sociales et culturelles (ASC) financé à hauteur de 0,20 % de la masse salariale brute (article L2315-61 du Code du travail). Grâce à ce budget, le CSE peut attribuer des chèques-vacances, cartes-cadeaux, aides aux loisirs ou bons d’achat. Ces avantages, souvent exonérés d’impôt et de charges sociales, contribuent à améliorer directement le pouvoir d’achat et la qualité de vie des salariés.

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