Travail

Information du CSE sur les salariés : la Cour de cassation clarifie l’équilibre entre accès aux données et absence de trouble manifestement illicite

Estelle Marant
Collaboratrice
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Communication des données au CSE : la Cour de cassation prône une approche équilibrée

La Cour de cassation s’est récemment prononcée sur un litige concernant l’information d’un comité social et économique (CSE) et la notion de trouble manifestement illicite.

Dans cette affaire, un CSE implanté dans le périmètre d’une union économique et sociale (UES) réclamait à l’employeur la communication régulière d’une liste nominative des salariés, par site client, ainsi que les lieux de leur intervention, en invoquant une prétendue entrave à l’exercice de ses fonctions.

Le contexte de l’affaire

L’UES du groupe en cause comprend plusieurs CSE, dont celui de l’établissement d’Ile-de-France, où la plupart des salariés interviennent directement chez des entreprises clientes.

Pour s’assurer de pouvoir prendre tous les contacts nécessaires, le CSE demandait à l’employeur de lui transmettre chaque mois la liste complète et nominative des salariés affectés à chaque site, ainsi que les adresses de leurs interventions.

Cette exigence s’appuyait sur les dispositions de l’article L. 2315-14 du Code du travail, qui autorise les membres élus de la délégation du personnel du CSE, ainsi que les représentants syndicaux, à se déplacer hors de l’entreprise et à circuler librement dans celle-ci, mais également à prendre tous contacts nécessaires avec les salariés, y compris à leur poste de travail, sous réserve de ne pas gêner l’accomplissement de leur propre mission.

La procédure de référé et la notion de trouble manifestement illicite

Le CSE a saisi la juridiction des référés, estimant que le refus de l’employeur de communiquer ces informations constituait un trouble manifestement illicite, au sens de l’article 835, alinéa 1er, du Code de procédure civile.

Cet article permet en effet au juge des référés, même en cas de contestation sérieuse, de prescrire en urgence les mesures conservatoires ou de remise en état nécessaires pour prévenir un dommage imminent ou faire cesser un trouble manifestement illicite.

En première instance, la cour d’appel avait ordonné la transmission mensuelle, pendant deux ans, de la liste nominative des salariés par site, considérant que la possibilité offerte aux membres du comité de rencontrer un salarié à son poste, sur le lieu même de son intervention, exigeait de connaître précisément sa position. L’argument développé était que la spontanéité du contact sur place ne pouvait être remplacée par l’échange de courriels, et que le fait que les missions des salariés consultants soient de courte durée n’était pas un obstacle, l’employeur disposant déjà d’un suivi des missions.

L’arrêt de la Cour de cassation : mettre en balance les droits et les réalités pratiques

La Cour de cassation, dans son arrêt du 27 novembre 2024 (n° 22-22.145), a invalidé le raisonnement de la cour d’appel. Elle estime que les motifs avancés ne caractérisent pas suffisamment l’existence d’un trouble manifestement illicite.

Selon la Haute Juridiction, la cour d’appel n’a pas fourni de base légale à sa décision, dès lors qu’elle n’a pas correctement apprécié le contexte : les membres du CSE disposaient déjà de la liste des sites d’intervention et du nombre de salariés présents sur chacun d’eux. Ils pouvaient, de plus, contacter les salariés via leur messagerie professionnelle.

Cette possibilité rend moins impérative la nécessité de disposer d’une liste nominative instantanée et exhaustive pour chaque site, s’agissant de la mise en relation spontanée sur place.

En d’autres termes, la Cour de cassation rappelle que l’objectif est de permettre aux membres du CSE d’exercer efficacement leurs fonctions, sans pour autant imposer à l’employeur des contraintes excessives ou non prévues par la loi. Le simple refus de communiquer la liste nominative complète, alors que des informations suffisantes et des canaux de contact existent déjà, ne peut être assimilé à un trouble manifestement illicite.

Une décision d’équilibre entre les prérogatives du CSE et les obligations de l’employeur

Ce positionnement de la Cour de cassation invite les parties prenantes à une lecture mesurée des obligations en matière d’information du CSE. L’enjeu n’est pas de nier les droits légitimes du CSE à rencontrer les salariés et à consulter les informations nécessaires à l’exercice de ses missions, mais de veiller à ce que ces demandes restent proportionnées, respectant ainsi les prérogatives de l’employeur et le bon fonctionnement de l’entreprise.

Finalement, la décision de la Cour incite à une approche raisonnée : avant de conclure à un trouble manifestement illicite, les juridictions devront vérifier si les moyens déjà mis à disposition du CSE permettent d’atteindre l’objectif poursuivi. Cette approche équilibrée contribue à clarifier le champ des exigences possibles en matière d’information du comité, préservant à la fois l’efficacité du dialogue social et la marge de manœuvre de l’employeur.

FAQ :

Q1 : Pourquoi le CSE réclamait-il une liste nominative des salariés par site ?
R : Le comité social et économique (CSE) souhaitait accéder à une liste nominative des salariés afin de pouvoir prendre contact directement avec eux, sur leur lieu d’intervention. L’objectif était d’exercer pleinement ses prérogatives d’information et de contrôle, en rencontrant les salariés au plus près de leur activité, conformément aux dispositions de l’article L. 2315-14 du Code du travail. Cette démarche permettait aux élus de comprendre au mieux les conditions réelles de travail et les problématiques spécifiques pouvant se présenter chez les clients.

Q2 : Quelles étaient les informations dont le CSE disposait déjà avant le litige ?
R : Selon la Cour de cassation, le CSE possédait déjà des informations essentielles, notamment la liste des sites d’intervention des salariés et le nombre de salariés affectés à chacun d’eux. De plus, les élus pouvaient entrer en contact avec les salariés via leur messagerie professionnelle. Ces éléments atténuaient la nécessité de disposer en continu d’une liste nominative exhaustive, puisque des canaux de communication complémentaires existaient déjà pour établir le lien et recueillir des informations.

Q3 : Qu’est-ce que la notion de trouble manifestement illicite en référé ?
R : Le trouble manifestement illicite est un critère juridique permettant au juge des référés d’ordonner, en urgence, des mesures conservatoires ou de remise en état lorsque l’existence d’une atteinte évidente à un droit est constatée. Dans ce contexte, le CSE considérait que le refus de l’employeur de fournir la liste nominative créait un trouble manifestement illicite en entravant ses prérogatives légales. La Cour de cassation a toutefois estimé que les éléments fournis ne suffisaient pas à caractériser un tel trouble, car d’autres moyens d’information existaient pour remplir la mission du CSE.

Q4 : Quel équilibre la Cour de cassation propose-t-elle entre les droits du CSE et les obligations de l’employeur ?
R : La Haute Juridiction invite à une approche raisonnable et proportionnée. D’un côté, le CSE doit pouvoir exercer efficacement ses missions, y compris prendre contact avec les salariés. De l’autre, l’employeur ne saurait être contraint de fournir des informations allant au-delà de ce qui est strictement nécessaire, dès lors que d’autres voies d’accès aux salariés sont déjà mises à disposition. Cet équilibre vise à concilier la bonne marche de l’entreprise et la garantie des droits des représentants du personnel.

Q5 : Quelles leçons pratiques retenir de cette décision pour les CSE et les employeurs ?
R : Les CSE sont encouragés à évaluer la pertinence de leurs demandes d’information en s’interrogeant sur les moyens déjà accessibles (listes partielles, messageries professionnelles, échanges réguliers avec l’employeur). Les employeurs, quant à eux, doivent veiller à transmettre les données nécessaires à l’exercice des missions des élus, sans pour autant céder à des exigences dépassant le cadre légal. Cette décision incite les deux parties à un dialogue construit, basé sur la proportionnalité et l’optimisation des ressources d’information déjà existantes.

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