Travail

Insulter son employeur : risque-t-on réellement un licenciement ?

Estelle Marant
Collaboratrice
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Licenciement disciplinaire : sanctions après avoir insulté son supérieur

En entreprise, les relations professionnelles doivent être régies par la courtoisie, le respect mutuel et le respect des règles inhérentes à la subordination hiérarchique. Pourtant, il arrive qu’un salarié, sous l'effet de la colère ou dans un contexte de tensions professionnelles, profère des propos injurieux à l’encontre de son employeur. Dans un tel cas, la frontière entre liberté d’expression et faute disciplinaire devient floue, suscitant nombre d’interrogations.

Le droit du travail français, garantissant la liberté d’expression du salarié, reconnaît aussi à l’employeur un pouvoir disciplinaire, en vertu duquel il peut sanctionner les comportements jugés fautifs. La problématique réside alors dans la qualification des injures proférées : simple maladresse verbale, dérapage isolé ou comportement révélateur d’un profond manquement aux obligations professionnelles ?

Les textes législatifs et la jurisprudence de la Cour de cassation offrent un cadre permettant d’apprécier la gravité des faits et de déterminer si de tels propos peuvent justifier une sanction disciplinaire allant jusqu’au licenciement pour faute grave, voire pour faute lourde.

Dans cet article, defendstesdroits.fr vous éclaire sur :

  • la portée réelle de la liberté d’expression au travail ;
  • les limites juridiques en matière d’injures ;
  • les sanctions applicables par l’employeur en fonction de la gravité des propos ;
  • les recours ouverts au salarié estimant avoir été injustement sanctionné.

Chaque situation étant soumise à l’appréciation in concreto du juge prud’homal, l’analyse des jurisprudences récentes permet d'illustrer les critères retenus pour trancher ce type de contentieux, où l’humain et le droit s’entremêlent.

Sommaire

  1. Introduction
  2. La liberté d’expression du salarié au travail
  3. La limite à la liberté d’expression : les insultes et propos injurieux
  4. Les sanctions disciplinaires envisageables
  5. Faute grave ou faute lourde : quelle qualification juridique ?
  6. Les propos tenus sur les réseaux sociaux : un risque disciplinaire avéré
  7. Les recours du salarié en cas de sanction
  8. Jurisprudences comparées
  9. Conclusion

La liberté d’expression du salarié au travail

L’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen garantit la libre communication des pensées et des opinions, y compris dans le cadre professionnel. Cependant, cette liberté trouve des limites précises dans le respect dû à l'employeur et à la bonne marche de l'entreprise. L’article L1121-1 du Code du travail autorise les restrictions aux libertés individuelles uniquement si elles sont justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché.

Ainsi, le salarié conserve son droit d’exprimer son opinion, y compris des critiques, à condition de ne pas abuser de cette liberté par des propos excessifs, injurieux ou diffamatoires. La jurisprudence précise qu'un salarié dénonçant ses conditions de travail, sans outrance ni propos diffamatoires, ne commet aucune faute (Cass. soc., 24 novembre 2021, n°19-20400).

La limite à la liberté d’expression : les insultes et propos injurieux

En droit, l’injure est définie comme toute expression visant à blesser ou humilier. Dès lors, des propos injurieux adressés à un supérieur hiérarchique constituent un abus manifeste de la liberté d'expression. La cour de cassation rappelle régulièrement que les injures sont incompatibles avec le respect de la relation contractuelle (Cass. soc., 21 septembre 2022, n°21-13045).

Les juges apprécient in concreto chaque situation (Cass. soc., 17 janvier 2024, n°22-24589) en tenant compte :

  • du contexte dans lequel l'insulte a été prononcée ;
  • du caractère privé ou public des propos ;
  • du niveau de responsabilité du salarié ;
  • de l’ancienneté et du passé disciplinaire ;
  • de la tolérance habituelle dans l’entreprise.

Les sanctions disciplinaires envisageables

Selon l’article L1331-1 du Code du travail, toute violation des obligations du salarié constitue une faute disciplinaire, pouvant donner lieu à :

  • un avertissement ou blâme ;
  • une mise à pied disciplinaire ;
  • une rétrogradation ou mutation ;
  • un licenciement pour faute.

Le choix de la sanction dépend :

  • de la gravité des propos ;
  • des dispositions du règlement intérieur ;
  • des stipulations de la convention collective applicable.

Toute sanction doit suivre la procédure disciplinaire prévue par l’article L1332-2 du Code du travail : convocation à entretien préalable, respect des délais de prescription, notification motivée de la sanction.

Il est interdit à l’employeur de prononcer une sanction pécuniaire en application de l’article L1331-2 du Code du travail.

Faute grave ou faute lourde : quelle qualification juridique ?

Le licenciement pour faute grave peut être envisagé si les insultes rendent impossible le maintien du salarié dans l’entreprise (Cass. soc., 27 septembre 2007, n°06-43867). Dans ce cas, le salarié est privé de préavis et d’indemnité légale de licenciement.

Le licenciement pour faute lourde suppose, quant à lui, une intention de nuire de la part du salarié, démontrée par des faits précis (Cass. soc., 19 novembre 2008, n°07-43361).

La jurisprudence distingue :

  • des cas où des propos isolés et regrettés ne justifient pas un licenciement (Cass. soc., 16 février 1987, n°84-41065) ;
  • d'autres où la violence verbale répétée, en public ou visant à discréditer l’employeur, justifie une faute grave (Cass. soc., 6 mars 2019, n°18-12449).

Les propos tenus sur les réseaux sociaux : un risque disciplinaire avéré

La liberté d’expression du salarié sur ses réseaux sociaux privés n’est pas absolue. Dès lors que les propos :

  • ont un caractère public (profil accessible à un large public ou aux collègues),
  • ou portent atteinte aux intérêts légitimes de l’entreprise,

l’employeur peut invoquer un manquement disciplinaire (Cass. soc., 10 décembre 2008, n°07-41820).

À l’inverse, des propos publiés sur un profil restreint n’ayant pas vocation à être diffusés publiquement échappent généralement à toute sanction (Cass. soc., 10 avril 2013, n°11-19530).

En matière de preuve, l’employeur peut produire des captures d’écran provenant des réseaux sociaux du salarié, à condition que cette atteinte à la vie privée soit proportionnée au but poursuivi et indispensable à sa défense (Cass. soc., 30 septembre 2020, n°19-12058).

Les recours du salarié en cas de sanction

Le salarié sanctionné ou licencié pour injures dispose de plusieurs recours :

  • solliciter un recours hiérarchique ou demander un réexamen ;
  • entamer une médiation pour apaiser le différend ;
  • saisir le conseil de prud’hommes pour contester la sanction ou le licenciement.

Les juges contrôlent le respect de la procédure disciplinaire, la proportionnalité de la sanction et le caractère réel et sérieux du grief invoqué.

Jurisprudences comparées

Certaines décisions démontrent la modération des juges face à des propos isolés ou dans un contexte particulier :

  • un conducteur de travaux ayant traité son patron de "connaud" après 20 ans d’ancienneté a été jugé injustement licencié (Cass. soc., 16 février 1987, n°84-41065).
  • un salarié en état dépressif ayant diffusé un message insultant à ses collègues a vu la faute grave écartée (Cass. soc., 19 mai 2021, n°19-20566).

D'autres décisions confirment la sévérité des juges dans les cas où les insultes :

  • déconsidèrent l’autorité du supérieur hiérarchique,
  • participent d'une attitude déloyale et discréditante,
  • affectent la réputation ou l’organisation de l’entreprise.

Exemple : des propos tels que « bordélique qui perd tous ses papiers » ou encore « pas apte à être directeur » ont été qualifiés de faute grave (Cass. soc., 6 mars 2019, n°18-12449).

Conclusion

Face à des propos injurieux émanant d’un salarié, l’employeur dispose de plusieurs leviers pour préserver la sérénité de l’environnement de travail : avertissement, blâme, mise à pied disciplinaire ou encore licenciement disciplinaire en cas de faute avérée. Toutefois, la décision de sanctionner doit être motivée par une analyse circonstanciée des faits reprochés et respecter scrupuleusement la procédure prévue par le Code du travail, notamment les articles L1332-1 et suivants.

De son côté, le salarié dispose de voies de recours pour contester une sanction jugée excessive, injustifiée ou irrégulière, devant le conseil de prud’hommes. Les juges devront alors vérifier le respect des principes de proportionnalité et de respect des droits de la défense, éléments centraux dans l’équilibre entre le pouvoir disciplinaire de l’employeur et les libertés fondamentales du salarié.

Enfin, les exemples jurisprudentiels démontrent que le contexte, l’ancienneté, le passé disciplinaire et le caractère public ou privé des propos sont des éléments essentiels dans l’appréciation des faits. Insulter son patron n’implique pas systématiquement un licenciement pour faute grave : chaque cas doit être examiné au regard de ses spécificités, dans le respect du cadre légal fixé par le Code du travail et la jurisprudence sociale.

Restez vigilant : dans un contexte professionnel, la maîtrise de sa parole demeure une exigence essentielle, afin d’éviter tout contentieux disciplinaire.

FAQ

1. La liberté d’expression permet-elle d’insulter son employeur sans être sanctionné ?
Non. Même si la liberté d’expression constitue une liberté fondamentale protégée par l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen et rappelée par l’article L1121-1 du Code du travail, cette liberté trouve ses limites dans la sphère professionnelle. Le salarié ne peut, sous prétexte d'exprimer une opinion, adresser des propos injurieux ou diffamatoires à son employeur. La jurisprudence précise que si un salarié peut critiquer son entreprise, il ne peut abuser de cette liberté par des paroles offensantes ou irrespectueuses (Cass. soc., 24 novembre 2021, n°19-20400). L’employeur est donc en droit de restreindre la liberté d’expression lorsque le respect dû au supérieur hiérarchique est rompu par des insultes, au nom de la bonne marche de l’entreprise.

2. Quelles sanctions un salarié risque-t-il après avoir insulté son patron ?
La réaction disciplinaire de l’employeur dépendra de plusieurs critères :

  • la gravité des propos tenus (insulte isolée, injure publique, propos répétés ou ciblés) ;
  • le contexte (moment d'énervement, climat conflictuel, échange privé ou public) ;
  • l’ancienneté et le passé disciplinaire du salarié ;
  • l’audience des propos (propos tenus devant un cercle restreint ou publiquement).

Les sanctions possibles vont de la simple remarque verbale à des mesures plus lourdes :

  • Avertissement ou blâme, pour des injures jugées peu graves ;
  • Mise à pied disciplinaire ;
  • Mutation ou rétrogradation ;
  • Licenciement pour faute grave, si le maintien du salarié est impossible.

Il est important de rappeler que l’article L1331-2 du Code du travail interdit strictement les sanctions pécuniaires.

3. Le salarié peut-il être licencié pour des injures tenues sur les réseaux sociaux ?
Oui. La jurisprudence reconnaît que les propos tenus par un salarié sur ses réseaux sociaux personnels peuvent justifier une sanction disciplinaire, voire un licenciement, dès lors qu'ils sont rattachables à la vie de l’entreprise. Deux situations doivent être distinguées :

  • Si le salarié a un profil privé, limité à quelques contacts, ses propos n'ont pas de caractère public : l’employeur ne peut alors engager de sanction (Cass. soc., 10 avril 2013, n°11-19530).
  • Si les propos sont accessibles à un large public ou partagés avec des collègues, ils deviennent publics, permettant une sanction (Cass. soc., 10 décembre 2008, n°07-41820).

L'employeur peut produire les publications litigieuses comme preuve, sous réserve que l’atteinte à la vie privée soit proportionnée au but poursuivi (Cass. soc., 30 septembre 2020, n°19-12058). Un paramétrage de confidentialité strict est donc indispensable pour protéger ses publications.

4. Comment contester un licenciement prononcé pour injures envers son employeur ?
En cas de licenciement disciplinaire pour injures, le salarié peut exercer plusieurs recours :

  • Recours hiérarchique ou réclamation interne : demander la révision de la sanction directement auprès de l'employeur ;
  • Médiation : solliciter une tentative de conciliation amiable pour désamorcer le litige ;
  • Saisine du conseil de prud’hommes : pour contester la légalité, la proportionnalité ou la motivation de la sanction.

Les juges du conseil de prud’hommes apprécieront notamment :

  • si la sanction est proportionnée aux faits reprochés ;
  • si la procédure disciplinaire a été correctement respectée (convocation, entretien préalable, délai de notification) ;
  • si les propos constituent réellement une faute grave justifiant une rupture immédiate sans préavis.

Le salarié peut ainsi obtenir la requalification du licenciement, des dommages et intérêts, voire sa réintégration.

5. Quelle différence entre licenciement pour faute grave et faute lourde après des injures ?
Le licenciement pour faute grave peut être prononcé si les insultes rendent impossible le maintien du salarié dans l’entreprise, même pendant la durée du préavis. La faute grave est ainsi caractérisée par la rupture du lien de confiance entre employeur et salarié (article L1332-1 du Code du travail).

En revanche, le licenciement pour faute lourde est réservé aux situations où l’intention de nuire est prouvée, c'est-à-dire lorsque le salarié agit dans le but manifeste de porter préjudice à l’employeur ou à l’entreprise (Cass. soc., 19 novembre 2008, n°07-43361). Les injures isolées, même répétées, sans volonté de nuire clairement démontrée, relèvent donc très rarement de la faute lourde.

Par conséquent :

  • Une insulte grave et publique peut justifier un licenciement pour faute grave.
  • Une série d’actions malveillantes visant volontairement à nuire à l’entreprise pourrait justifier un licenciement pour faute lourde.

La distinction entre ces deux fautes influe directement sur les droits du salarié au départ de l’entreprise : privation ou non du solde de tout compte, versement d'indemnités ou non, exécution du préavis.

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