Travail

L’alcool au bureau : loi, règlement intérieur et licenciement

Francois Hagege
Fondateur
Partager

Employeur et salarié : règles sur la consommation d’alcool au travail

Dans le cadre professionnel, la question de la consommation d'alcool revêt une importance particulière, tant en matière de prévention des risques professionnels que de responsabilité juridique.

Si l’image du verre partagé entre collègues à l'occasion d’un pot d’entreprise peut sembler anodine, elle dissimule des risques considérables pour la sécurité des salariés et le bon fonctionnement de l’entreprise. En effet, 10 à 20 % des accidents du travail seraient liés à l'alcool, selon l'Inserm (2), mettant en lumière l’impact réel de cette pratique en milieu professionnel.

Le législateur français a donc encadré strictement la présence d'alcool au travail, par le biais de l'article R4228-20 du Code du travail, en instaurant un régime prohibitif, assorti de certaines exceptions précises.

Cette réglementation vise avant tout la protection de la santé physique et mentale des salariés (article L4121-1 du Code du travail) ainsi que la prévention des accidents, qui peuvent engager non seulement la responsabilité disciplinaire du salarié mais également la responsabilité civile et pénale de l’employeur.

Face à cette règlementation stricte, se pose la question des marges de manœuvre des entreprises : dans quelles conditions l'employeur peut-il interdire totalement l'alcool sur le lieu de travail ?

Peut-il soumettre les salariés à des contrôles d'alcoolémie ? Le salarié, en état d’ébriété ou ayant consommé de l'alcool, peut-il être sanctionné ou licencié ? Autant de problématiques qui méritent une analyse approfondie au regard des textes législatifs et de la jurisprudence constante.

À travers cet article, nous proposons une étude complète des autorisations et interdictions, des moyens de contrôle à la disposition de l'employeur, ainsi que des sanctions disciplinaires applicables aux salariés, dans le respect des obligations légales et des droits fondamentaux de chacun. L’objectif est de fournir aux justiciables des réponses précises et documentées, appuyées sur des références juridiques fiables, leur permettant de mieux appréhender les enjeux liés à la consommation d'alcool sur le lieu de travail.

Sommaire

  1. Introduction
  2. La consommation d’alcool au travail est-elle interdite ?
  3. L’employeur peut-il interdire totalement l’alcool dans l’entreprise ?
  4. L’accès aux locaux peut-il être refusé en cas d’état d’ivresse ?
  5. Le contrôle d’alcoolémie au travail est-il autorisé ?
  6. Les sanctions disciplinaires pour consommation d’alcool au travail
  7. Conclusion
  8. FAQ

La consommation d’alcool au travail est-elle interdite ?

En principe, la consommation d’alcool sur le lieu de travail est interdite, conformément à l’article R4228-20 du Code du travail. Cette disposition précise que seuls le vin, la bière, le cidre et le poiré sont autorisés dans les locaux professionnels. Cette liste est limitative : aucun autre type de boisson alcoolisée ne peut être introduit ou consommé, quelles que soient les circonstances (pot d’entreprise, départ en retraite, célébration interne...).

Cette restriction vise à limiter les risques professionnels, puisque selon l'Inserm, environ 10 à 20 % des accidents du travail seraient liés à une consommation d’alcool (2). Les dangers sont multiples : baisse des réflexes, troubles du comportement, somnolence, et dans certains cas, risque vital (coma éthylique, décès).

L’employeur reste tenu de mettre à disposition des salariés une eau potable et fraîche comme alternative aux boissons alcoolisées (article R4225-2 du Code du travail).

L’interdiction totale d’alcool par l’employeur

Au-delà des limites du Code du travail, l'employeur, dans le cadre de son obligation de sécurité (article L4121-1 du Code du travail), peut interdire totalement la consommation d’alcool sur le lieu de travail. Cette mesure vise à protéger la santé et la sécurité des salariés, en prévention des accidents professionnels.

Cette interdiction totale doit cependant être proportionnée au but recherché, conformément à l’article L4121-2 du Code du travail. Ainsi, elle sera justifiée dans certains secteurs à risques : manipulation de machines dangereuses, conduite de véhicules, travail en hauteur.

Pour être opposable, cette mesure doit être intégrée dans le règlement intérieur de l’entreprise ou, à défaut, portée à la connaissance des salariés via une note de service. Son non-respect peut entraîner une sanction disciplinaire.

L’accès aux locaux interdit en cas d’état d’ivresse

L’article R4228-21 du Code du travail pose une interdiction claire : il est strictement interdit d’accueillir ou de laisser séjourner dans les locaux de travail une personne en état d’ivresse. Ce texte de loi vise à préserver la sécurité collective au sein de l’entreprise, en évitant qu’une personne sous l’influence de l’alcool ne constitue un danger pour elle-même ou pour les autres salariés, clients ou usagers présents dans les lieux.

Ainsi, l’employeur, dans le cadre de son pouvoir de direction et de son obligation de sécurité (article L4121-1 du Code du travail), est parfaitement en droit de refuser l’accès à un salarié en état d’ébriété manifeste. Ce refus d’accès est considéré comme une mesure de prévention, visant à neutraliser un risque immédiat, sans nécessité de procédure disciplinaire préalable.

Cette mesure peut également s’appliquer lorsqu’un salarié est déjà présent dans les locaux : si son état est détecté en cours de journée, l’employeur peut le faire évacuer immédiatement. Le maintien dans les lieux d’un salarié ivre exposerait l’employeur à un risque de responsabilité, en cas d’incident ou d’accident imputable à ce salarié.

En pratique, plusieurs actions sont recommandées pour gérer cette situation délicate :

  • Raccompagner le salarié à son domicile, afin de prévenir tout danger sur le trajet retour et d’éviter qu’il reprenne le volant dans cet état.
  • Alerter les services compétents (police, gendarmerie, secours médicaux) si l’état d’ivresse du salarié présente un risque grave pour sa propre sécurité ou celle des autres.
  • Informer le salarié des risques disciplinaires qu’il encourt du fait de son comportement.

Enfin, l'employeur devra formaliser l’incident dans un rapport interne, voire engager une procédure disciplinaire si la situation le justifie, en respectant les droits du salarié concernés.

En tout état de cause, le refus d’accès aux locaux ne constitue pas une sanction en soi, mais une mesure conservatoire et préventive, proportionnée au danger que représente le salarié en état d’ébriété.

Le contrôle d’alcoolémie par l’employeur

En application de son pouvoir de direction, l'employeur peut procéder à un contrôle d’alcoolémie. Toutefois, plusieurs conditions strictes doivent être réunies :

  • Le contrôle doit être prévu par le règlement intérieur ou une note de service.
  • La nature du poste justifie ce contrôle : exposition à des risques particuliers (travail en hauteur, utilisation de machines, conduite…).
  • Le salarié doit être informé préalablement des modalités du test (type d’appareil, personnes habilitées…).
  • Le contrôle peut être réalisé par l'employeur ou un tiers habilité.

Le salarié peut refuser le test, mais ce refus expose à une sanction disciplinaire. En cas de contestation du résultat, une contre-expertise peut être sollicitée.

Les sanctions disciplinaires en cas de consommation d’alcool

La consommation d’alcool autorisée par le Code du travail (vin, bière, cidre, poiré) n’interdit pas à l'employeur de sanctionner un salarié si celle-ci entraîne un trouble objectif dans l’entreprise. Plusieurs types de sanctions sont possibles selon la gravité des faits :

  • Avertissement ou blâme.
  • Mise à pied disciplinaire.
  • Licenciement pour faute grave, notamment lorsque la consommation crée un danger manifeste.

Selon l’article L1333-1 du Code du travail, la proportionnalité de la sanction est impérative. Les juges apprécient au cas par cas :

  • Comportement agressif sous alcool (Cass. Soc. 6 octobre 1998, n°96-42290).
  • Chauffeur poids lourd contrôlé positif (Cass. Soc. 30 septembre 2013, n°12-17182).
  • Travail d’un salarié avec un taux positif même faible (Cass. Soc. 26 février 2025, n°23-10506).

En cas d’accident causé sous l’emprise de l’alcool, le salarié peut également voir engagée sa responsabilité pénale (accident corporel, violences, homicide involontaire...).

Prévention des addictions et accompagnement

L’entreprise ne peut se limiter à une gestion strictement disciplinaire des cas d’alcoolisme. En effet, la prévention des conduites addictives constitue une composante essentielle de l’obligation de sécurité pesant sur l’employeur, en application des articles L4121-1 et L4121-2 du Code du travail.

Cette prévention s’inscrit dans une logique de protection de la santé physique et mentale des salariés, et vise à agir avant que des comportements dangereux ne se manifestent.

En cas de consommation excessive ou problématique avérée, il est recommandé à l'employeur de proposer un accompagnement au salarié concerné.

Celui-ci peut être orienté vers des structures spécialisées, telles que le service Alcool info service, mais aussi vers des professionnels de santé du service de santé au travail (médecin du travail), dans le strict respect du secret médical et de la vie privée du salarié. Cette démarche doit s’inscrire dans une logique de soutien et de prise en charge, et non de sanction automatique.

Le comité social et économique (CSE) joue également un rôle déterminant dans cette démarche préventive. Il peut être consulté pour organiser des actions de sensibilisation, des campagnes d'information sur les risques liés à l’alcool ou même des formations à destination des salariés et de l'encadrement. Ces actions s’inscrivent dans le cadre des missions du CSE en matière de santé, sécurité et conditions de travail.

Il appartient donc à l'employeur de :

  • Informer les salariés sur les dangers de l’alcool au travail ;
  • Organiser des actions de prévention via le CSE ;
  • Orienter les salariés concernés vers un accompagnement médical ou psychologique approprié ;
  • Respecter la confidentialité des démarches et échanges concernant l’état de santé du salarié.

Adopter une politique proactive de prévention des addictions permet non seulement de réduire les risques professionnels, mais également de protéger les salariés les plus vulnérables, en favorisant un environnement de travail sain et sécurisé.

Conclusion

La consommation d’alcool au travail constitue une problématique sensible, à l'intersection de la liberté individuelle du salarié et de l'obligation de sécurité pesant sur l'employeur. Si le Code du travail, par son article R4228-20, autorise de manière limitative certaines boissons alcoolisées (vin, bière, cidre, poiré), la jurisprudence rappelle fermement que l'abus ou la simple consommation dans certains contextes professionnels peut justifier des sanctions disciplinaires, allant jusqu’au licenciement pour faute grave.

L'employeur, investi d'une obligation de prévention des risques, dispose ainsi de prérogatives pour interdire totalement l’alcool sur le lieu de travail et instaurer des contrôles d’alcoolémie, à condition de respecter des conditions de proportionnalité et de transparence, notamment via le règlement intérieur ou des notes de service.

Pour le salarié, la vigilance s'impose. Un comportement perçu comme anodin peut, dans certaines circonstances, conduire à une sanction disciplinaire lourde, voire engager sa responsabilité pénale en cas de dommages causés sous l’effet de l’alcool.

Dans un contexte où la sécurité des personnes et des biens devient une priorité absolue, il importe aux employeurs comme aux salariés de connaître et respecter ces dispositions légales, afin de prévenir tout risque professionnel et contentieux ultérieur. En cas de doute ou de difficulté, un accompagnement juridique personnalisé demeure recommandé, pour assurer la protection des droits de chacun et la conformité avec le droit du travail.

FAQ

L’alcool est-il strictement interdit sur le lieu de travail ?
En principe, la consommation d’alcool sur le lieu de travail est strictement encadrée par l’article R4228-20 du Code du travail, qui autorise uniquement le vin, la bière, le cidre et le poiré. Tous les autres alcools, notamment les spiritueux et les alcools forts, sont interdits, quel que soit le contexte professionnel (pot d’entreprise, fête interne, etc.). Toutefois, cette tolérance relative ne signifie pas liberté totale : l'employeur peut restreindre davantage cette autorisation, dans le cadre de son obligation de santé et sécurité. L’alcool reste un facteur important de risque d’accidents du travail, et même la consommation de boissons autorisées peut être limitée ou proscrite si les circonstances l’exigent.

L’employeur peut-il interdire totalement l’alcool au sein de son entreprise ?
Oui. L'employeur, tenu par l’article L4121-1 du Code du travail d’assurer la sécurité et de protéger la santé physique et mentale de ses salariés, peut décider d'une interdiction totale de toute consommation d’alcool sur le lieu de travail. Cette interdiction doit cependant être justifiée et proportionnée, par exemple en cas de manipulation de produits dangereux, de conduite de véhicules ou de travail en hauteur. La mesure doit figurer dans le règlement intérieur, ou être communiquée aux salariés via une note de service, afin d’être légalement opposable. Le non-respect de cette interdiction expose le salarié à une sanction disciplinaire, pouvant aller jusqu’au licenciement selon la gravité de la violation.

Peut-on être soumis à un contrôle d’alcoolémie au travail ?
Oui, l'employeur peut organiser un contrôle d’alcoolémie, mais ce contrôle est strictement encadré. Il doit être prévu par le règlement intérieur (ou une note de service), être justifié par la nature des postes (travail exposant à des risques particuliers), et respecter un principe de proportionnalité. Le test peut être réalisé par l’employeur ou un tiers mandaté. En cas de refus du salarié, cela peut constituer une faute disciplinaire, sauf abus manifeste de l’employeur. À noter que le salarié conserve le droit de demander une contre-expertise afin de contester les résultats. Si le contrôle n’est pas prévu dans les textes internes de l’entreprise, sa mise en œuvre pourra être considérée comme illégale.

Quels sont les risques de sanction pour un salarié ayant consommé de l’alcool au travail ?
La consommation d’alcool en entreprise, même dans les limites autorisées, peut justifier une sanction disciplinaire si elle entraîne un trouble manifeste, met en danger la sécurité ou constitue un manquement aux instructions internes. Le salarié s’expose selon la gravité des faits à :

  • un simple rappel à l’ordre ou avertissement,
  • une mise à pied disciplinaire,
  • un licenciement pour faute grave, notamment en cas de danger manifeste, d’état d’ébriété, de comportement inadapté, ou de conduite sous l’emprise de l’alcool.

La jurisprudence rappelle que le simple état d’ébriété constaté au travail peut constituer une faute grave, justifiant un licenciement immédiat sans préavis ni indemnité (Cass. Soc. 26 février 2025, n°23-10506). Le salarié dispose toutefois du droit de contester la sanction devant le conseil de prud’hommes si elle lui paraît disproportionnée.

L’employeur engage-t-il sa responsabilité en cas d’accident lié à l’alcool ?
Absolument. L'employeur est responsable de la santé et de la sécurité de ses salariés. En cas d’accident du travail impliquant un salarié sous l’emprise de l’alcool, l'employeur peut voir sa responsabilité civile engagée s'il n’a pas mis en place de mesures suffisantes de prévention des risques (affichage, interdiction totale, contrôles...). Dans certains cas, en cas de négligence caractérisée, sa responsabilité pénale pourrait être recherchée, surtout si l’accident a des conséquences graves (accident mortel, blessures corporelles importantes). L'employeur doit donc, dans l’intérêt collectif et pour limiter sa responsabilité, agir en amont par des actions de prévention, en intégrant des restrictions claires dans le règlement intérieur, et en formant le personnel aux risques liés à l’alcool.

Articles Récents

Besoin d'aide ?

Nos équipes sont là pour vous guider !

Thank you! Your submission has been received!
Oops! Something went wrong while submitting the form.