Fiscal

Le juge fiscal peut-il réduire une pénalité pour abus de droit ?

Estelle Marant
Collaboratrice
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Dans le contentieux fiscal, la procédure d’abus de droit est l’une des armes les plus redoutables dont dispose l’administration. Elle permet d’écarter des montages artificiels conçus uniquement pour réduire l’impôt, et d’appliquer des majorations pouvant atteindre 80 %. Mais jusqu’où le fisc peut-il aller ? La question du contrôle des sanctions se posait avec acuité.

Par un arrêt du 12 février 2025 (Cass. com., n° 23-14.047), la Cour de cassation rappelle que le juge de l’impôt ne peut se contenter d’avaliser la sanction prononcée par l’administration : il doit vérifier concrètement sa proportionnalité au regard des faits de l’espèce.

Ce revirement aligne le contentieux fiscal sur les standards européens de protection des droits fondamentaux et ouvre de nouvelles voies de défense pour les contribuables.

Sommaire

  1. Introduction
  2. Définition juridique de l’abus de droit
  3. Typologie des montages abusifs
  4. Régime de sanction applicable
  5. Contrôle juridictionnel de la proportionnalité
  6. Portée de l’arrêt du 12 février 2025
  7. Conclusion

Définition juridique de l’abus de droit fiscal

L’abus de droit est défini à l’article L.64 du Livre des procédures fiscales (LPF). Il recouvre deux hypothèses :

  • L’abus de droit par simulation : un acte juridique est fictif ou dissimule la réalité (par exemple, une interposition de société écran ou une fausse donation).
  • L’abus de droit par fraude à la loi : un texte est utilisé dans son sens littéral, mais à rebours de l’intention du législateur, dans le seul but d’obtenir un avantage fiscal.

Ce mécanisme ne sanctionne pas l’optimisation fiscale légitime – qui reste autorisée – mais vise les montages dépourvus de substance économique, uniquement conçus pour réduire la charge fiscale.

Depuis 2019, le législateur a ajouté une variante : le mini-abus de droit (article L.64 A LPF), qui permet de sanctionner les schémas dont le but est principalement fiscal, même s’il n’est pas exclusivement fiscal. Cela élargit considérablement le spectre des pratiques répréhensibles.

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Exemples classiques de montages abusifs

La jurisprudence a fourni une typologie assez claire des situations relevant de l’abus de droit :

  • La donation-cession fictive : un parent donne des titres à son enfant mineur, puis les revend immédiatement, ce qui permet de purger la plus-value imposable. Lorsque le produit est en réalité récupéré par le donateur, la donation est jugée fictive (CE, 5 févr. 2018, n° 409718).
  • La fausse location : un contribuable se prétend locataire de son propre bien pour déduire des charges, alors qu’il en conserve l’usage (CE, 15 janv. 1982).
  • La transformation abusive de société : une SCI devient une société par actions uniquement pour faire bénéficier un associé d’un régime fiscal plus favorable (CE, 3 nov. 1986).
  • Les montages internationaux : par exemple, l’utilisation d’une holding luxembourgeoise dépourvue d’activité réelle afin de bénéficier d’exonérations sur dividendes et plus-values (CE, 12 déc. 2023, nos 470038 et 470039).

Dans toutes ces situations, les actes sont en apparence réguliers, mais leur objectif exclusivement fiscal les rend inopposables à l’administration.

Régime de sanction applicable

L’article 1729 du Code général des impôts (CGI) prévoit une majoration de 80 % en cas d’abus de droit, si le contribuable en est l’instigateur principal ou le principal bénéficiaire. Cette pénalité est ramenée à 40 % en l’absence de preuve d’une telle implication.

Le Conseil d’État, dans un arrêt du 19 mars 2018 (n° 399862), rappelle que lorsque l’administration ne justifie pas le taux de 80 %, le juge doit substituer d’office le taux de 40 %, même si le contribuable ne le demande pas explicitement.

L'administration fiscale supporte la charge de la preuve de la qualification d’abus et du taux applicable de la majoration. Ce principe protège le contribuable contre des sanctions automatiques et disproportionnées.

Contrôle juridictionnel de la proportionnalité

La jurisprudence récente est venue préciser que les juges doivent exercer un contrôle concret de proportionnalité des sanctions fiscales. L’arrêt rendu par la Cour de cassation, chambre commerciale, le 12 février 2025 (n° 23-14.047) en constitue une illustration décisive.

Dans cette affaire, une SCI s’était vue infliger une majoration de 80 % pour abus de droit à la suite d’une revente d’immeuble, considérée comme fictive par l’administration.

La cour d’appel de Chambéry avait jugé que la sanction était proportionnée sans motiver concrètement sa décision. La Cour de cassation a cassé l’arrêt, rappelant qu’il incombe au juge de vérifier, au regard des faits de l’espèce, que la pénalité est bien proportionnée au comportement du contribuable.

Ce contrôle découle directement du principe du procès équitable garanti par l’article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui impose au juge de disposer d’un pouvoir de pleine juridiction sur les sanctions.

Portée de l’arrêt du 12 février 2025

L’apport de cette jurisprudence est majeur. Elle impose :

  1. Une obligation de motivation renforcée pour les juridictions du fond : toute décision confirmant une majoration doit justifier en quoi elle est proportionnée.
  2. Un rééquilibrage des pouvoirs : l’administration ne peut plus se retrancher derrière l’automaticité des taux de 40 % ou 80 %.
  3. Un alignement sur le droit pénal et administratif : dans ces matières, le contrôle de proportionnalité des sanctions est déjà un standard acquis.
  4. Une ouverture de nouvelles stratégies de défense : les avocats fiscalistes pourront systématiquement invoquer la disproportion d’une sanction, en s’appuyant sur la gravité des faits, l’absence d’intention frauduleuse ou encore le caractère accessoire du bénéfice retiré.

En pratique, cela signifie que deux contribuables sanctionnés pour abus de droit ne se verront plus nécessairement appliquer la même pénalité : le juge devra apprécier la situation individuellement, au cas par cas.

L’apport fondamental de cet arrêt réside dans la reconnaissance explicite d’un droit au contrôle juridictionnel de la proportionnalité des sanctions fiscales. Il ne suffit plus pour le juge d’avaliser les taux appliqués par l’administration : il doit motiver sa décision à l’aune des circonstances propres à chaque cas.

Cette évolution vient renforcer la protection du contribuable face à des pénalités standardisées, parfois appliquées de manière automatique ou mécanique, sans prise en compte de l’intention réelle du contribuable ou de la gravité des faits.

Par ailleurs, cette décision impose une vigilance accrue aux juridictions du fond : l’absence d’un contrôle concret et circonstancié pourra désormais justifier une cassation.

Elle aligne également le contentieux fiscal sur les exigences posées en matière pénale ou administrative, où la proportionnalité des sanctions est un standard jurisprudentiel bien établi.

La référence à l’article L. 64 du LPF ne dispense donc pas le juge d’exercer un contrôle rigoureux, notamment lorsque le contribuable conteste la majoration au regard de son comportement ou de la sincérité de son montage.

La portée de cette jurisprudence ouvre de nouvelles perspectives de défense dans les contentieux fiscaux, en particulier lorsque l’administration applique d’office des sanctions lourdes sur le fondement de l’abus de droit. Les avocats fiscalistes devront désormais intégrer systématiquement l’argument de proportionnalité dans leurs écritures, afin de solliciter l’examen concret de la situation par le juge.

En cas de difficulté en matière de droit fiscal, nous vous recommandons vivement de faire appel au Cabinet Schaeffer Avocats, dont l’expertise reconnue constitue un appui précieux face à l’administration

Rédigé par l’équipe juridique de defendstesdroits.fr, cet article met en lumière les exigences renforcées de contrôle du juge fiscal, et les moyens de contestation offerts aux contribuables.

Conclusion

La jurisprudence du 12 février 2025 marque un tournant protecteur pour les contribuables, en posant comme exigence incontournable le contrôle effectif et circonstancié de la proportionnalité des sanctions fiscales.

En imposant au juge de l’impôt de motiver son appréciation à la lumière des faits de l’espèce, la Cour de cassation renforce la sécurité juridique du contribuable face à des pénalités parfois automatiques ou excessives.

Cette décision s’inscrit dans une dynamique plus large d’humanisation du contentieux fiscal, où le principe de proportionnalité devient un rempart contre l’arbitraire. Pour les contribuables visés par une procédure d’abus de droit, elle ouvre la voie à une contestation plus structurée des majorations infligées, notamment en mobilisant les normes européennes protectrices des droits de la défense.

FAQ

1. Qu’est-ce que l’abus de droit fiscal selon le Livre des procédures fiscales ?

L’abus de droit fiscal est défini à l’article L. 64 du Livre des procédures fiscales (LPF). Il permet à l’administration d’écarter des actes juridiques réalisés dans un but exclusivement fiscal. Deux types d’abus sont distingués :

  • L’abus de droit par simulation, qui repose sur un acte fictif ou déguisé (interposition de personne, faux bail, etc.).
  • L’abus de droit par fraude à la loi, où un acte conforme en apparence à la loi est utilisé pour en détourner l’esprit dans le seul but d’éluder l’impôt.

Ces montages peuvent être déclarés inopposables à l’administration fiscale, ce qui permet une requalification des actes et un rehaussement de l’imposition du contribuable.

2. Quels sont les montages considérés comme abusifs par la jurisprudence fiscale ?

La jurisprudence fiscale a identifié de nombreux montages artificiels constitutifs d’abus de droit :

  • La donation-cession fictive, notamment lorsqu’un parent donne temporairement des titres à un enfant mineur pour éviter la taxation des plus-values.
  • L’interposition de sociétés étrangères fictives (ex. : holding luxembourgeoise sans substance économique) pour bénéficier d’un régime fiscal plus favorable.
  • La location fictive d’un bien immobilier afin de déduire indûment des charges.
  • La transformation d’une société civile en société anonyme dans le seul but de modifier le régime fiscal applicable à l’associé principal.

Même lorsqu’un autre schéma légal aurait pu aboutir au même résultat fiscal, un acte artificiel peut être qualifié d’abusif s’il a été choisi uniquement pour son avantage fiscal.

3. Quelle est la sanction prévue en cas d’abus de droit fiscal ?

La sanction de l’abus de droit est encadrée par l’article 1729 du Code général des impôts (CGI). Elle consiste en une majoration des droits éludés :

  • 80 % lorsque le contribuable est à l’initiative du montage ou en est le principal bénéficiaire.
  • 40 % en l’absence de preuve d’une implication directe du contribuable.

L’administration supporte la charge de la preuve concernant tant l’abus que le taux applicable de la pénalité. Le juge peut d’ailleurs réduire la majoration de 80 % à 40 % s’il estime que les conditions du taux maximum ne sont pas réunies, même sans demande expresse du contribuable (CE, 19 mars 2018, n° 399862).

4. Le juge de l’impôt peut-il moduler la sanction pour abus de droit ?

Oui. Dans un arrêt du 12 février 2025 (Cass. com., n° 23-14.047), la Cour de cassation a expressément affirmé que le juge fiscal doit contrôler la proportionnalité de la sanction infligée par l’administration. Il ne peut se contenter d’affirmer, sans démonstration, que la pénalité est proportionnée.

Cette obligation découle de l’article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui impose l’existence d’un recours de pleine juridiction pour contester une sanction. Le juge doit donc apprécier concrètement la gravité des faits, le comportement du contribuable et les conséquences financières de la sanction.

5. Comment contester la majoration de 80 % en cas d’abus de droit ?

Un contribuable sanctionné pour abus de droit peut contester la majoration de 80 % en exerçant un recours devant le juge de l’impôt, après avoir déposé une réclamation préalable auprès de l’administration fiscale (article R*. 190-1 du LPF).

Lors de ce contentieux, il peut soulever un moyen tiré de la disproportion de la sanction au regard de sa situation personnelle, du caractère limité de l’avantage fiscal obtenu, ou de son absence d’intention frauduleuse manifeste.

Depuis l’arrêt du 12 février 2025, le juge est tenu de vérifier cette proportionnalité lorsqu’il est saisi sur ce point. Cela ouvre un levier stratégique de défense pour les contribuables, qui peuvent obtenir une réduction de la pénalité à 40 %, voire une décharge complète en cas de vice de procédure ou d’absence d’abus avéré.

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