Cass. com., 2 juill. 2025, n° 24-11.680
Quand une entreprise est placée en liquidation judiciaire, les règles du jeu changent.
Les paiements sont gelés, les créanciers doivent déclarer leurs créances et l’ensemble des flux financiers est désormais soumis à un strict encadrement.
Dans ce contexte, comment interpréter les prélèvements SEPA réalisés juste avant ou juste après le jugement de liquidation ? Est-il encore possible de faire opposition ? Et surtout, quels droits conservent les clients ou partenaires de cette entreprise ?
La Cour de cassation, dans une décision du 2 juillet 2025, apporte des clarifications essentielles pour les justiciables confrontés à ces situations.
Dans l’affaire jugée par la Cour de cassation, plusieurs franchisés avaient conclu un contrat avec un franchiseur placé ultérieurement en liquidation judiciaire. Après le jugement d’ouverture de la procédure collective, leurs comptes bancaires ont été débités au titre de redevances dues à la société liquidée, via des prélèvements SEPA automatiques. Les franchisés ont alors exercé leur droit au remboursement, en sollicitant leur banque ou leur prestataire de services de paiement (PSP), conformément aux règles du Code monétaire et financier.
En réponse, les organes de la liquidation judiciaire — à savoir les administrateurs judiciaires et le liquidateur — ont décidé d’assigner la banque. Ils invoquaient l’existence d’un trouble manifestement illicite et demandaient, en référé, non seulement le remboursement des sommes prélevées sur le compte du franchiseur mais également l’interdiction de procéder à d'autres remboursements aux franchisés.
Le conflit portait sur deux règles apparemment contradictoires :
Pour les organes de la procédure collective, la priorité allait à cette interdiction. En se fondant sur l’ancienneté des créances — puisque les prestations franchisées dataient d’avant le jugement —, ils ont considéré que les remboursements SEPA postérieurs constituaient des paiements prohibés.
Saisie du litige, la cour d’appel avait admis cette analyse. Selon elle, la banque, en remboursant les franchisés, avait enfreint l’article L. 622-7 du Code de commerce, car elle avait permis l’effacement de créances nées avant l’ouverture de la liquidation. Elle concluait donc à l’existence d’un trouble manifestement illicite, justifiant une injonction à l’encontre de la banque et la restitution des sommes au profit de la liquidation.
Mais cette décision n’a pas résisté à l’examen de la Cour de cassation.
Dans son arrêt du 2 juillet 2025, la chambre commerciale casse la décision d’appel. Pour elle, les franchisés n’avaient pas reçu un remboursement « déguisé » d’une créance antérieure, mais avaient simplement exercé leur droit propre au remboursement d’un prélèvement SEPA, droit prévu indépendamment de la situation du créancier.
En d’autres termes, le remboursement SEPA n’est pas un paiement volontaire à un créancier, mais une opération entre un payeur et sa banque. La demande adressée par le franchisé à son établissement bancaire ne fait pas intervenir la société en liquidation. La banque, en procédant à la restitution des fonds, n’a pas contrevenu à l’interdiction de paiement des créances antérieures. Il n’y avait donc pas lieu de parler de trouble manifestement illicite.
Cette jurisprudence confirme un principe protecteur des utilisateurs de services bancaires : les mécanismes de remboursement SEPA sont autonomes et ne peuvent être paralysés du seul fait qu’une des parties est en procédure collective. Pour les clients d’entreprises placées en redressement ou liquidation, c’est une garantie précieuse : ils peuvent continuer à faire valoir leur droit au remboursement sans craindre d’enfreindre le droit des entreprises en difficulté.
Ce droit est d’autant plus essentiel qu’il est encadré dans le temps. Le délai de huit semaines à compter du débit constitue un garde-fou pour l’équilibre des relations bancaires. Au-delà, le droit au remboursement disparaît, ce qui confère à la décision un cadre temporel clair.
Pour les justiciables confrontés à des litiges bancaires ou à des situations de liquidation judiciaire, cette décision est riche d’enseignements :
Le client d’une entreprise liquidée conserve son droit au remboursement tant que les conditions prévues par le Code monétaire et financier sont réunies. Il n’a pas à prouver la mauvaise foi du créancier ni à obtenir l’autorisation du liquidateur.
Le PSP doit statuer sur la demande dans le délai légal. Il est tenu à cette obligation même si la liquidation judiciaire du bénéficiaire est en cours.
Même si le Code de commerce interdit certains paiements dans le cadre d’une procédure collective, cela ne s’applique pas aux opérations relevant du droit bancaire ou financier autonomes, comme le prélèvement SEPA.
La Cour rappelle qu’un trouble manifestement illicite suppose une violation manifeste d’une règle d’ordre public. En l’espèce, la banque n’a commis aucune faute : elle s’est conformée à son obligation légale de rembourser son client.
La décision du 2 juillet 2025 rappelle que la procédure collective, même si elle implique une suspension des paiements et une gestion centralisée des dettes, ne peut neutraliser les droits autonomes des tiers. Le droit au remboursement d’un prélèvement SEPA n’a pas pour objet de favoriser le franchisé au détriment du liquidateur : il garantit simplement que les règles applicables aux opérations de paiement soient respectées.
C’est une leçon importante pour tous les acteurs économiques — entreprises, consommateurs, établissements bancaires — qui doivent composer avec la complexité des interactions entre droit des procédures collectives et droit des paiements. Le justiciable y gagne en clarté, en sécurité et en équilibre des droits.