Civil

Locaux commerciaux en péril : peut-on cesser de payer les loyers ?

Jordan Alvarez
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Local insalubre ou dangereux : faut-il continuer à payer le loyer commercial ?

Lorsqu’un arrêté de péril grave et imminent frappe un immeuble, les obligations du bailleur comme celles du locataire se retrouvent bouleversées. Peut-on suspendre le paiement des loyers ? La jurisprudence du 3 juillet 2025 (Cass. 3e civ., n° 23-20.553) apporte un éclairage important pour les locataires de locaux commerciaux confrontés à un tel contexte.

Quand l’arrêté de péril bouleverse la relation bailleur-locataire

Un arrêté de péril grave et imminent est une décision administrative destinée à protéger la sécurité publique face à la menace que représente un immeuble en mauvais état. Il impose au propriétaire (bailleur) de procéder à des travaux d’urgence sous peine de sanction, voire d’évacuation du bâtiment.

Dans l’affaire jugée par la Cour de cassation, un tel arrêté avait été pris postérieurement à la signature d’un nouveau bail commercial de neuf ans. Ce dernier liait une locataire commerçante et ses bailleurs, pourtant informés du risque structurel affectant le bâtiment.

Face à l’inexécution des travaux prescrits, la locataire a saisi le juge des référés afin de suspendre sa propre obligation de payer les loyers et obtenir le remboursement des sommes déjà versées depuis la notification de l’arrêté.

Le juge des référés peut-il suspendre les loyers en cas d’arrêté de péril ?

Selon l’article 834 du Code de procédure civile, le juge des référés peut ordonner toute mesure provisoire dans les cas d’urgence, à condition qu’il n’y ait aucune contestation sérieuse. Ce pouvoir est souvent sollicité en matière locative, notamment pour les suspensions de loyers ou la constatation de manquements graves.

En l’espèce, la locataire fondait également sa demande sur l’article L. 521-2 du Code de la construction et de l’habitation, qui prévoit que les loyers cessent d’être dus dans le cadre d’un arrêté de mise en sécurité. Ce texte énonce que, pour les logements concernés, aucune somme ne peut être réclamée en contrepartie de leur occupation, du mois suivant la notification de l’arrêté jusqu’au mois suivant sa mainlevée.

La cour d’appel a ainsi décidé que cette règle s’appliquait également aux baux commerciaux, dispensant la locataire du paiement des loyers à compter de la notification de l’arrêté.

L'erreur de droit sanctionnée par la Cour de cassation

La Cour de cassation censure cette interprétation, rappelant une distinction essentielle : l’article L. 521-2 CCH ne concerne que les logements d’habitation. Sa rédaction, issue de l’ordonnance n° 2020-1144 du 16 septembre 2020, est claire : elle n’englobe pas les locaux commerciaux.

En considérant à tort que cette disposition pouvait justifier la suspension automatique des loyers commerciaux, la cour d’appel a dépassé le cadre légal. La haute juridiction souligne donc que les loyers dus au titre d’un bail commercial ne peuvent être suspendus que sur le fondement contractuel du bail ou d’une autre disposition propre au droit des baux commerciaux, mais certainement pas par application directe du régime des logements.

Quelle solution pour les locataires commerciaux en cas de péril ?

L’arrêt du 3 juillet 2025 rappelle une règle importante : le locataire commercial n’est pas automatiquement dispensé de loyer en cas de péril, même si le local est devenu dangereux ou inexploitable. Plusieurs solutions peuvent néanmoins être envisagées :

  • Négocier avec le bailleur une réduction temporaire ou une suspension du loyer.
  • Demander en justice une mesure provisoire en référé, fondée sur la perte partielle ou totale de jouissance des locaux (ex. force majeure, manquement du bailleur à son obligation de délivrance).
  • Rechercher la résiliation du bail pour impossibilité d’exploiter les lieux, dans les cas extrêmes.

Cependant, toute action judiciaire devra reposer sur des fondements distincts de l’article L. 521-2, qui reste réservé aux occupants de logements.

Un encadrement légal toujours lacunaire pour les locaux commerciaux

La décision rendue par la Cour de cassation met en évidence le vide juridique partiel qui entoure la situation des baux commerciaux en péril. Si le Code de la construction protège expressément les occupants de logements en cas de danger imminent, aucune règle équivalente n’existe pour les locataires professionnels, pourtant souvent confrontés à des risques analogues.

Cela renforce l’importance d’une négociation loyale entre parties, mais aussi d’un encadrement contractuel plus rigoureux lors de la rédaction des baux commerciaux. Les clauses relatives à l’état des locaux, aux assurances, aux risques techniques ou aux hypothèses de péril devraient être examinées de près dès la signature du contrat.

💡 À retenir

  • Un arrêté de péril ne suspend pas automatiquement les loyers d’un bail commercial.
  • L’article L. 521-2 CCH ne s’applique qu’aux logements, pas aux locaux commerciaux.
  • Seul un accord amiable ou une décision judiciaire fondée sur les principes du bail peut entraîner une suspension ou un remboursement des loyers.

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