Le droit d’auteur occupe une place essentielle dans la protection des créations intellectuelles. En France, il trouve son fondement dans le Code de la propriété intellectuelle (CPI), lequel consacre une protection automatique à toute œuvre de l’esprit, dès lors qu’elle répond à un critère majeur : l’originalité. Ce principe est au cœur de nombreuses décisions judiciaires, puisqu’il conditionne l’existence même du droit d’auteur et, par voie de conséquence, la possibilité pour l’auteur ou ses ayants droit d’agir en contrefaçon.
L’originalité, loin d’être un concept abstrait, constitue le fil conducteur qui permet de distinguer une création protégée par le droit d’auteur d’une simple idée librement réutilisable par tous. La jurisprudence, nationale et européenne, a progressivement affiné cette notion, oscillant entre une approche subjective – empreinte de la personnalité de l’auteur – et une approche plus objective – création intellectuelle propre à son auteur.
La récente affaire portée devant le tribunal judiciaire de Marseille (ordonnance du 3 mai 2022) illustre parfaitement les débats procéduraux autour de l’appréciation de l’originalité. Dans ce dossier, il s’agissait de déterminer si le juge de la mise en état pouvait déclarer irrecevable une action en contrefaçon en raison d’un défaut d’originalité. Le juge a finalement rappelé que cette appréciation relève du juge du fond, car l’originalité n’est pas une condition de recevabilité, mais une condition du bien-fondé de l’action.
Dès lors, l’analyse du contenu, des caractéristiques et de la preuve de l’originalité reste un enjeu central tant pour les créateurs que pour les défendeurs dans les actions en contrefaçon.
Selon l’article L.111-1 du Code de la propriété intellectuelle, « l’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous ». Mais encore faut-il que la création résulte d’une activité créative et non du simple hasard, d’un savoir-faire technique ou de la découverte d’un élément préexistant.
La jurisprudence exclut ainsi du champ de la protection les œuvres issues du pur savoir-faire technique ou de démarches exclusivement informatives. La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE, 29 juill. 2019, aff. C-469/17, Funke Medien) a confirmé que de simples rapports militaires purement factuels ne pouvaient être assimilés à des œuvres protégées.
Le droit d’auteur ne protège pas les idées, mais uniquement leur mise en forme. L’article L.112-1 CPI rappelle que seules les créations perceptibles et identifiables peuvent bénéficier de cette protection. Cette exigence s’applique aussi à l’art conceptuel : la Cour de cassation a reconnu la protection d’une installation artistique où un mot était détourné de son sens commun et matérialisé par un travail plastique particulier (Cass. 1re civ., 13 nov. 2008).
L’article L.112-1 CPI précise que la protection est accordée quelle que soit la forme d’expression ou le genre de l’œuvre. Ainsi, il n’existe pas de hiérarchie entre les œuvres littéraires, musicales, graphiques, audiovisuelles ou logicielles. La jurisprudence a néanmoins précisé que certaines créations – telles que la fragrance d’un parfum – ne pouvaient pas bénéficier de la protection, faute de forme identifiable avec suffisamment de précision (CJUE, 13 nov. 2018, aff. C-310/17, Levola Hengelo).
Le droit d’auteur est indépendant de toute appréciation esthétique ou morale. Même une œuvre considérée comme banale ou de faible valeur artistique peut être protégée, dès lors qu’elle porte l’empreinte de la personnalité de son auteur. De la même manière, la destination utilitaire d’une œuvre – tel un dessin industriel ou un objet du quotidien – n’empêche pas sa protection, sous réserve de l’existence d’éléments ornementaux distincts des aspects purement fonctionnels (CPI, art. L.511-1 et suivants sur les dessins et modèles).
L’originalité ne se confond pas avec la nouveauté. Alors que la nouveauté est une notion objective, l’originalité se définit classiquement comme l’empreinte de la personnalité de l’auteur (Cass. 1re civ., 7 mars 1986). À l’échelle européenne, la CJUE a adopté une définition autonome : une œuvre est originale si elle constitue une création intellectuelle propre à son auteur (CJUE, 16 juill. 2009, Infopaq).
L’originalité est plus difficile à établir pour certaines œuvres, notamment les logiciels ou les œuvres utilitaires. La loi du 3 juillet 1985, puis la directive 91/250/CEE, ont expressément admis leur protection, mais sous réserve d’une démonstration précise de l’apport créatif. Les juridictions recourent fréquemment à des expertises techniques pour vérifier si le programme, la maquette ou l’objet en question révèle une part de choix libres et créatifs.
L’originalité peut également résider dans la transformation d’une œuvre préexistante, à condition que la contribution de l’adaptateur exprime une réelle créativité (CPI, art. L.112-3). Ainsi, une traduction, une adaptation ou une anthologie peut bénéficier de la protection, sans pour autant exonérer son auteur de l’obligation d’obtenir l’autorisation de l’auteur de l’œuvre première.
En principe, c’est à l’auteur ou à celui qui revendique le droit d’auteur de prouver l’originalité de son œuvre. Cette exigence découle du principe selon lequel la protection ne naît pas d’une formalité de dépôt, mais de la seule existence d’une création qui remplit les conditions légales (CPI, art. L.111-1).
Pour les créations artistiques classiques – telles que les peintures, dessins, sculptures ou photographies artistiques – les juridictions admettent souvent une présomption d’originalité. En effet, ces œuvres, par leur nature, sont réputées traduire l’empreinte de la personnalité de leur auteur. Toutefois, cette présomption n’est pas absolue : elle peut être renversée si la partie adverse démontre que la création n’est qu’une simple reproduction mécanique ou qu’elle est dénuée de tout apport créatif.
Dans les cas limites, la preuve devient plus exigeante. C’est le cas pour :
Ainsi, la preuve de l’originalité repose sur des éléments concrets permettant de démontrer que l’œuvre est bien l’expression de choix libres et créatifs de son auteur, et non le produit d’un automatisme, d’un savoir-faire technique ou d’une reproduction servile.
La notion d’originalité constitue la clé de voûte du droit d’auteur. Sans elle, aucune protection ne peut être revendiquée au titre du Code de la propriété intellectuelle. La jurisprudence française et européenne en a précisé les contours : empreinte de la personnalité de l’auteur en droit interne, création intellectuelle propre à l’auteur en droit de l’Union.
Ce critère, aussi exigeant que malléable, permet de tracer la frontière entre le domaine public – accessible à tous – et le champ protégé par le monopole de l’auteur. Pour les créateurs, il représente un gage de reconnaissance et de protection juridique ; pour les défendeurs, un terrain de contestation stratégique dans les litiges en contrefaçon.
L’avenir du droit d’auteur dépendra en grande partie de l’interprétation qui sera donnée à cette notion dans des domaines émergents comme l’intelligence artificielle, les œuvres générées par algorithmes ou encore les créations numériques hybrides. Le débat sur l’originalité ne cesse donc de se renouveler et conserve une importance majeure pour la sécurité juridique des auteurs comme pour la liberté de création.
1. Pourquoi l’originalité est-elle indispensable pour protéger une œuvre par le droit d’auteur ?
L’originalité est le critère déterminant du droit d’auteur en droit français. Selon l’article L.111-1 du Code de la propriété intellectuelle, l’auteur jouit d’un droit exclusif « du seul fait de sa création ». Toutefois, pour que cette création soit protégée, elle doit refléter des choix personnels et manifester l’empreinte de la personnalité de son auteur (Cass. 1re civ., 7 mars 1986). À défaut, l’œuvre sera considérée comme une simple idée, librement réutilisable par tous. Cette exigence permet d’éviter une protection excessive de créations banales ou purement fonctionnelles et de garantir un équilibre entre la liberté de création et la protection des droits.
2. Comment les juges apprécient-ils concrètement l’originalité d’une création ?
L’appréciation de l’originalité varie selon la nature de l’œuvre :
Ainsi, chaque œuvre est examinée au cas par cas, en fonction des éléments concrets qui révèlent une démarche créative originale.
3. Une œuvre utilitaire ou technique peut-elle être protégée par le droit d’auteur ?
Oui, mais sous conditions. Le droit d’auteur ne protège pas une fonction technique, mais il protège la mise en forme de cette fonction si elle présente un apport créatif.
4. Quelle est la différence entre originalité et nouveauté en matière de création ?
La nouveauté est une exigence du droit des brevets et des dessins et modèles, qui suppose l’absence d’antériorité. Elle relève d’un critère objectif et technique.
L’originalité, en revanche, est spécifique au droit d’auteur. Elle repose sur un critère subjectif : l’œuvre doit traduire une démarche personnelle, même si elle emprunte des éléments déjà existants ou issus du domaine public.
Exemple : un auteur peut écrire un roman inspiré d’un thème ancien ou folklorique ; ce n’est pas la nouveauté du sujet qui compte, mais la manière dont il l’exprime, c’est-à-dire son apport créatif personnel.
5. Qui doit prouver l’originalité dans un litige en contrefaçon ?
En principe, la charge de la preuve incombe à l’auteur qui invoque ses droits (Cass. 1re civ., 13 nov. 2008). Il doit démontrer que l’œuvre est suffisamment originale pour bénéficier de la protection légale.