En matière de droit du travail, les notions de mise à pied disciplinaire et de mise à pied conservatoire suscitent souvent confusion, tant chez les employeurs que chez les salariés. Pourtant, leur distinction est essentielle, notamment en raison des conséquences juridiques qui en découlent.
Si la mise à pied disciplinaire constitue une sanction disciplinaire au sens strict, entraînant une suspension temporaire du contrat de travail assortie d’une privation de salaire, la mise à pied conservatoire joue un rôle préventif : elle permet à l'employeur de tenir à l'écart, sans sanction immédiate, un salarié soupçonné de faute grave ou lourde, le temps de statuer sur la suite à donner à la situation. Ces mécanismes répondent à des logiques différentes, mais leur mise en œuvre imprudente peut conduire à des contentieux lourds devant le Conseil de Prud’hommes.
Parmi les erreurs fréquemment commises par les employeurs figure le non-respect du délai entre la notification de la mise à pied conservatoire et le lancement effectif de la procédure disciplinaire, en particulier du licenciement pour faute grave.
Laisser s'écouler un laps de temps non justifié peut conduire les juridictions prud’homales et la Cour de cassation à requalifier la mise à pied conservatoire en sanction disciplinaire, privant ainsi l'employeur de la possibilité de licencier ultérieurement le salarié sur le fondement des mêmes faits. Cette situation est strictement prohibée par le principe juridique non bis in idem, interdisant de sanctionner deux fois un salarié pour une même faute.
Dans ce contexte, il est primordial pour l’employeur de comprendre avec précision les cadres juridiques, les délais admissibles, ainsi que les risques encourus. La jurisprudence, constante et abondante, rappelle régulièrement les obligations de célérité et de cohérence dans la gestion des procédures disciplinaires, plaçant la vigilance procédurale au cœur de la sécurité juridique de l’employeur.
À travers une analyse détaillée des textes légaux et des décisions jurisprudentielles récentes, notamment l’arrêt Cass. soc., 14 avril 2021, n°20-12920, cet article vise à exposer les règles impératives régissant la mise à pied conservatoire, les écueils à éviter, et les bonnes pratiques pour sécuriser les procédures de licenciement disciplinaire. Ainsi, il s’adresse tant aux salariés désireux de faire respecter leurs droits qu’aux employeurs soucieux de se prémunir contre tout vice de procédure.
La mise à pied disciplinaire constitue une sanction disciplinaire formelle décidée par l'employeur à l’encontre d'un salarié dont le comportement a été jugé fautif. En application de l’article L. 1331-1 du Code du travail, cette mesure s’inscrit dans l’arsenal des sanctions disciplinaires légales, au même titre que l’avertissement, le blâme ou encore le licenciement pour faute.
Concrètement, la mise à pied disciplinaire entraîne une suspension temporaire du contrat de travail, ce qui signifie que le salarié est écarté de son poste de façon provisoire. Pendant cette période, il ne perçoit aucune rémunération. Toutefois, il est important de souligner que cette privation de salaire n’est pas assimilable à une sanction pécuniaire, prohibée par l’article L. 1331-2 du Code du travail, qui interdit à tout employeur de prélever directement des sommes sur la rémunération du salarié à titre de sanction.
En effet, la perte de salaire liée à la mise à pied disciplinaire est la conséquence indirecte et légale de la suspension du contrat de travail et non d’une retenue abusive pratiquée par l’employeur. La jurisprudence a d’ailleurs confirmé que cette suspension, même si elle affecte la rémunération, demeure une sanction licite dans le cadre des mesures disciplinaires, dès lors que l'employeur respecte la procédure disciplinaire obligatoire (convocation à entretien préalable, délai de réflexion, notification écrite).
Cette mesure permet à l'employeur de punir une faute jugée sérieuse, mais insuffisante pour justifier un licenciement immédiat. Parmi les fautes pouvant donner lieu à une mise à pied disciplinaire, on peut citer des retards répétés, des comportements irrespectueux, des absences injustifiées ou encore un refus d'exécuter une consigne.
Il convient également de préciser que le salarié conserve ses droits attachés au contrat de travail (ancienneté, droits à congés payés, droit à la formation), malgré la suspension temporaire de son activité. Toutefois, en cas de contentieux, l’employeur devra être en mesure de démontrer le caractère proportionné de la sanction et le respect des droits de la défense du salarié, sous peine de voir cette mesure annulée par le Conseil de Prud’hommes.
La mise à pied conservatoire se distingue fondamentalement : elle n'est pas une sanction mais une mesure provisoire prise lorsque la présence du salarié dans l'entreprise serait susceptible de troubler le bon fonctionnement de cette dernière (Cass. soc., 27 septembre 2007, n°06-43867). Le salarié est écarté temporairement du service, son contrat de travail suspendu. Durant cette période, l'employeur évalue la situation et détermine la suite disciplinaire éventuelle.
La mise à pied conservatoire trouve son fondement dans l'article L. 1332-3 du Code du travail, lequel encadre la notification des sanctions disciplinaires et souligne que seule une faute grave ou lourde peut en justifier l'application (Cass. soc., 6 novembre 2001, n°99-43012).
Il convient de rappeler que, bien que recommandée, la mise à pied conservatoire n'est pas obligatoire avant un licenciement pour faute grave (Cass. soc., 24 février 2004, n°01-47000 ; Cass. soc., 18 mars 2014, n°12-35108). L'employeur demeure libre de notifier immédiatement une convocation à entretien préalable sans recourir à cette mesure.
La mise à pied conservatoire est théoriquement à durée indéterminée, puisqu’elle demeure effective jusqu'à la décision finale de l'employeur (Cass. soc., 19 septembre 2007, n°06-40155). Cependant, elle ne peut raisonnablement excéder la durée nécessaire à l'instruction du dossier et à la prise d'une décision.
La Cour de cassation admet qu’elle puisse être déterminée par le temps séparant la convocation à l'entretien préalable de sa tenue (Cass. soc., 18 mars 2009, n°07-44185). Néanmoins, tout délai excessif non justifié entre la notification de la mise à pied et l'ouverture effective de la procédure expose l'employeur à la requalification de la mesure en sanction disciplinaire (Cass. soc., 30 octobre 2013, n°12-22962). Cette requalification empêche l'engagement d'un licenciement fondé sur les mêmes faits (principe de non bis in idem).
Ces délais, jugés déraisonnables, révèlent la vigilance des juges quant au respect d’un laps de temps cohérent.
Dans l'arrêt rendu par la Cour de cassation le 14 avril 2021 (Cass. soc., 14 avril 2021, n°20-12920), l’employeur avait notifié verbalement une mise à pied conservatoire, puis attendu 7 jours avant d'engager la procédure de licenciement pour faute grave, sans produire le moindre justificatif à ce délai. Le Conseil de Prud’hommes fut saisi, le salarié invoquant la requalification de la mesure en mise à pied disciplinaire, ce qui interdisait de prononcer ultérieurement un licenciement pour faute grave sur les mêmes faits.
La Cour de cassation a confirmé cette analyse : l'absence d’explication valable quant au délai de 7 jours a entraîné la requalification de la mise à pied. L’employeur s'est retrouvé privé de la possibilité de licencier pour faute grave. Ce précédent judiciaire rappelle aux employeurs que la diligence dans la conduite de la procédure est une exigence impérative.
En application de l'article L. 1332-2 du Code du travail, une sanction disciplinaire ne peut intervenir moins de 2 jours ouvrables après la convocation du salarié à l’entretien préalable et plus d’un mois après le jour fixé pour l'entretien. La mise à pied conservatoire, bien que distincte de la sanction, reste liée à cette temporalité : elle ne saurait raisonnablement dépasser la période strictement nécessaire à l’instruction du dossier et à la prise de décision.
Toute inertie injustifiée peut être assimilée à un abus de procédure. L’employeur est ainsi contraint de justifier rigoureusement tout délai, sous peine de voir la procédure remise en cause. En cas de litige, il doit être en mesure de démontrer que le temps écoulé correspondait strictement aux exigences d'enquête ou de vérification des faits reprochés.
L'employeur qui prononce une mise à pied conservatoire doit envisager :
L'absence de justification du délai entre la notification de la mise à pied conservatoire et le lancement de la procédure disciplinaire prive l'employeur de la possibilité de licencier pour faute grave, les juges retenant une double sanction contraire au principe non bis in idem.
L'enjeu est donc doublement stratégique et juridique : une rigueur procédurale s'impose pour prévenir tout contentieux.
En définitive, la mise à pied conservatoire constitue une mesure exceptionnelle dont l’usage est strictement encadré par le Code du travail et la jurisprudence sociale. Elle ne saurait se transformer en une sanction disciplinaire déguisée, sous peine de priver l’employeur de toute possibilité ultérieure de sanctionner l’intéressé pour les mêmes faits.
La gestion du délai entre la notification de la mise à pied conservatoire et l'engagement de la procédure disciplinaire exige donc une extrême vigilance : seul un délai objectivement justifié par des investigations internes ou des nécessités probatoires peut être toléré par les juridictions prud’homales.
Les arrêts successifs de la Cour de cassation démontrent une volonté ferme de sanctionner toute inertie injustifiée, que le délai soit de 4 jours, 7 jours ou davantage, en l'absence d'éléments concrets justifiant une telle attente.
L'employeur doit impérativement être en mesure de justifier chaque jour d'inactivité procédurale, au risque de voir sa procédure invalidée, sa sanction requalifiée, et sa responsabilité engagée.
En procédant avec rigueur dès la notification de la mise à pied conservatoire et en engageant sans délai la procédure disciplinaire, l’employeur sécurise juridiquement sa démarche tout en évitant une double sanction non autorisée.
La sécurité juridique de l’entreprise et la protection des droits du salarié s'en trouvent renforcées, conformément aux principes de loyauté, de proportionnalité, et de bonne foi qui gouvernent les relations contractuelles de travail.
1. Quelle est la différence entre mise à pied disciplinaire et conservatoire ?
La mise à pied disciplinaire est une sanction formelle infligée par l’employeur à un salarié ayant commis une faute. Elle entraîne la suspension temporaire du contrat de travail, sans rémunération pour la période concernée. Il s'agit d'une mesure disciplinaire au sens de l'article L. 1331-1 du Code du travail, prise après le respect de la procédure disciplinaire. La mise à pied conservatoire, quant à elle, n'est pas une sanction : c’est une mesure préventive, permettant d’éloigner le salarié dans l’attente d’une décision définitive. Le salarié est écarté immédiatement lorsque son maintien dans l’entreprise constituerait un risque pour la sécurité, le bon ordre ou l’activité de l’entreprise. Cette mise à l’écart est possible uniquement en cas de faute grave ou lourde (Cass. soc., 6 novembre 2001, n°99-43012).
2. Dans quels cas peut-on prononcer une mise à pied conservatoire ?
La mise à pied conservatoire est possible uniquement lorsque l'employeur est confronté à des faits d'une gravité exceptionnelle. Selon l'article L. 1332-3 du Code du travail, elle est justifiée uniquement par une faute grave ou lourde, c'est-à-dire une faute qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise, même provisoirement. C’est une mesure d’urgence destinée à prévenir un trouble immédiat au sein de l’entreprise : violences, vol, dégradation matérielle, mise en danger des collègues, etc. L'employeur dispose ensuite d'un délai raisonnable pour vérifier les faits reprochés et statuer sur la suite à donner, notamment envisager un licenciement pour faute grave.
3. Quel est le délai maximal toléré entre mise à pied conservatoire et procédure disciplinaire ?
Le Code du travail n'impose aucun délai fixe après une mise à pied conservatoire. Toutefois, la jurisprudence exige que l'employeur engage la procédure disciplinaire dans un délai raisonnable. Dès lors, le délai séparant la notification de la mise à pied conservatoire et le lancement de la procédure doit correspondre au temps strictement nécessaire aux vérifications internes.
Dans plusieurs décisions, la Cour de cassation a jugé excessifs des délais de 4 jours (Cass. soc., 30 octobre 2013, n°12-22962), 6 jours (Cass. soc., 27 novembre 2019, n°18-15303), voire 7 jours (Cass. soc., 14 avril 2021, n°20-12920), lorsqu’aucun motif valable ne justifiait une telle attente. Passé ce délai non expliqué, la mise à pied conservatoire peut être requalifiée en sanction disciplinaire, interdisant toute sanction complémentaire sur les mêmes faits.
4. Quels risques encourt un employeur en cas de retard injustifié après une mise à pied conservatoire ?
Le risque majeur pour l'employeur est la requalification de la mise à pied conservatoire en sanction disciplinaire. En effet, si l'employeur tarde à engager la procédure disciplinaire, sans motif légitime, il sera présumé avoir usé de cette mesure comme d'une sanction déguisée. Cela interdit ensuite de prononcer une seconde sanction pour les mêmes faits, conformément au principe du non bis in idem.
En cas de requalification, le licenciement disciplinaire sera jugé sans cause réelle et sérieuse, exposant l'employeur à des dommages-intérêts, à la réintégration du salarié, ou au paiement de salaires non perçus. En outre, le salarié pourrait saisir le Conseil de Prud’hommes pour contester l'ensemble de la procédure.
5. Pourquoi est-il impératif pour l'employeur de justifier le délai entre la mise à pied conservatoire et la procédure disciplinaire ?
Justifier le délai écoulé est indispensable pour démontrer que la mise à pied conservatoire n'était pas une sanction déguisée mais bien une mesure provisoire et préventive. L'employeur doit pouvoir prouver que ce délai était nécessaire pour mener une enquête interne, entendre des témoins, analyser des preuves, ou recueillir des éléments matériels.
Sans explication objective, les juges considéreront que l'employeur a manqué à son obligation de loyauté et a violé le principe de célérité imposé dans toute procédure disciplinaire (article L. 1332-2 du Code du travail). Le défaut de justification entraîne automatiquement la requalification de la mise à pied et l'annulation du licenciement, avec toutes les conséquences indemnitaires qui en découlent.