Mots-clés : possession d’état, nationalité française, article 21-13 Code civil, déclaration de nationalité, état civil incertain, jurisprudence nationalité 2025
La question de la nationalité française soulève de nombreux enjeux, notamment pour les personnes nées à l’étranger mais ayant vécu en France dans des conditions leur donnant le sentiment – et parfois l’apparence – d’être françaises. La possession d’état de Français, prévue par l’article 21-13 du Code civil, constitue à ce titre un fondement spécifique d’acquisition de la nationalité, reposant non pas sur une filiation ou une naissance, mais sur une situation de fait.
Par un arrêt rendu le 18 juin 2025 (n° 24-17.251), la première chambre civile de la Cour de cassation est venue rappeler la portée de ce mécanisme, en censurant une décision d’appel qui avait conditionné à tort la reconnaissance de la nationalité à l’exigence d’un état civil certain, pourtant exclue du champ d’application de l’article 21-13. Cet arrêt conforte la jurisprudence constante selon laquelle la possession d’état peut fonder, à elle seule, une déclaration de nationalité française, sous certaines conditions.
L’article 21-13 du Code civil dispose :
« Peuvent réclamer la nationalité française par déclaration souscrite conformément aux articles 26 et suivants, les personnes qui ont joui, d’une façon constante, de la possession d’état de Français, pendant les dix années précédant leur déclaration. »
Ce texte reconnaît à une personne qui s’est comportée et a été reconnue comme Française pendant au moins dix ans, le droit d’acquérir la nationalité française par déclaration, même si elle n’en avait pas la qualité juridique initialement.
Ce mécanisme repose sur un constat de réalité sociale et administrative : l’État accepte d’intégrer dans la communauté nationale les personnes qui, de fait, vivent en France, bénéficient de ses institutions, et sont traitées comme Françaises par les autorités.
Une jeune femme, née en 1992 au Cameroun, déclare en 2023 qu’elle a joui de la possession d’état de Française de manière constante pendant dix années, et ce avant de souscrire une déclaration de nationalité française.
Elle appuie sa demande sur l’article 21-13, invoquant notamment :
Le directeur des services de greffe judiciaires refuse cependant d’enregistrer sa déclaration, décision confirmée par la cour d’appel, au motif que l’intéressée ne justifie pas d’un état civil certain, en raison de la présence de deux actes de naissance camerounais contradictoires fournis par ses parents.
La Cour de cassation censure la décision d’appel. Elle rappelle que :
« De ce que la possession d’état est une situation de fait, il se déduit que, par exception au principe selon lequel nul ne peut se voir reconnaître la nationalité française s’il ne justifie d’un état civil certain, cette exigence n’est pas une condition supplémentaire d’acquisition de la nationalité française sur le fondement de l’article 21-13 du Code civil. »
La Haute juridiction précise ainsi que l’incertitude relative à l’état civil ne suffit pas à écarter la reconnaissance de la nationalité, dès lors que la possession d’état est constante, non équivoque, et exempte de fraude.
La jurisprudence et la doctrine ont depuis longtemps identifié les éléments caractéristiques de la possession d’état de Français :
À ces conditions s’ajoutent deux exigences fondamentales :
Dans l’affaire jugée le 18 juin 2025, ces conditions étaient réunies. La seule incertitude sur l’acte de naissance ne remettait pas en cause l’effectivité du lien social et administratif avec la France.
De manière générale, toute demande de nationalité française suppose que le demandeur dispose d’un état civil stable, cohérent et authentifié. Cette exigence vise à garantir la sécurité juridique des filiations, des lieux de naissance, et des nationalités initiales.
Cette condition est notamment impérative dans :
La possession d’état constitue une exception à ce principe. Elle repose sur une logique inverse : c’est la vie quotidienne, et non l’acte d’état civil, qui fonde la nationalité.
L’arrêt de 2025 s’inscrit dans la lignée d’une jurisprudence établie, selon laquelle la possession d’état n’exige pas la preuve d’une identité inattaquable pour produire des effets en matière de nationalité. Cela permet de protéger les personnes dont l’histoire administrative est incomplète ou perturbée, mais qui ont une intégration réelle et durable dans la société française.
Cette décision rappelle aux juges du fond et aux autorités d’enregistrement qu’ils ne peuvent ajouter des conditions à la loi. Ils doivent se concentrer sur l’analyse de la possession d’état effective, sans exiger de documents non prévus par le texte applicable.
Elle représente aussi une garantie pour les personnes étrangères intégrées de longue date en France, en leur reconnaissant un droit à la nationalité fondé sur leur parcours de vie, et non uniquement sur leur naissance ou leur filiation.
L’arrêt du 18 juin 2025 illustre une nouvelle fois le rôle protecteur de l’article 21-13 du Code civil. Il confirme que la nationalité française peut être acquise par une déclaration fondée sur une possession d’état de dix ans, même en présence d’irrégularités dans les documents d’état civil.
Cette reconnaissance repose sur une idée simple : l’appartenance à la communauté nationale ne se décrète pas seulement par des papiers, mais se constate à travers une vie vécue comme Français.
1. Que retient la Cour de cassation quant à la portée de la possession d’état de Français ?
La Cour rappelle que la possession d’état de Français consiste pour une personne à se comporter comme telle et à avoir été traitée comme Française par les autorités françaises, même si, juridiquement, elle ne possède pas cette nationalité.
Cette reconnaissance repose sur des faits objectifs, répétés et constants pendant les dix années précédant la déclaration de nationalité. Elle permet l’acquisition de la nationalité par déclaration (article 21-13 du Code civil), sans nécessité de lien de filiation ou de naissance sur le sol français.
2. En quoi l’état civil incertain ne constitue-t-il pas un obstacle à l’application de l’article 21-13 du Code civil ?
La Cour affirme que la possession d’état est une situation de fait, et que par conséquent, l’absence d’un état civil certain ne peut être opposée pour écarter l’acquisition de la nationalité par ce biais.
Dans cette affaire, la cour d’appel avait considéré que la production par les parents de deux actes de naissance camerounais différents faisait obstacle à la reconnaissance de la nationalité.
La Cour de cassation casse cette décision : le défaut de concordance des actes de naissance ne permet pas, à lui seul, de rejeter une déclaration de nationalité fondée sur une possession d’état constante.
3. Quelles conditions la Cour impose-t-elle pour reconnaître la nationalité par possession d’état ?
L’arrêt énonce trois conditions cumulatives, reprises du texte même de l’article 21-13 :
Ainsi, l’élément déterminant est la réalité du traitement et du comportement en tant que Français, et non la parfaite régularité documentaire du parcours.
4. Pourquoi la Cour casse-t-elle partiellement l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 14 mai 2024 ?
La cour d’appel avait rejeté la déclaration de nationalité au seul motif de l’incertitude de l’état civil (divergence entre deux lieux de naissance mentionnés dans des actes camerounais).
Or, ce motif est juridiquement impropre à écarter une demande fondée sur l’article 21-13, qui repose sur des faits sociaux et administratifs vécus, et non sur la stabilité formelle de l’état civil.
La cassation partielle rappelle que les juridictions doivent apprécier la réalité de la possession d’état, et non s’en tenir à une condition extérieure au texte applicable.
5. Quelle est la portée pratique de cet arrêt pour les demandeurs de nationalité ?
L’arrêt du 18 juin 2025 clarifie que les personnes étrangères ayant été reconnues et traitées comme Françaises pendant dix ans peuvent obtenir la nationalité même si leur état civil est incomplet ou incertain.
Cela renforce la protection des personnes intégrées de longue date, parfois issues de pays où les actes de naissance sont peu fiables ou contradictoires.
Ce faisant, la Cour réaffirme que le droit à la nationalité fondé sur la possession d’état ne peut être vidé de sa substance par des exigences administratives non prévues par la loi.