En matière de droit du travail, la question de l'acquisition des congés payés pendant un arrêt maladie a longtemps été source d’incertitudes, alimentées par les divergences entre le droit français et le droit européen.
Tandis que le droit interne limitait les droits des salariés absents pour cause de maladie non professionnelle, les principes dégagés par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), fondés sur l’interprétation de l’article 7 de la directive 2003/88/CE, garantissaient un droit au congé annuel payé, indépendamment de l’origine de l’absence.
Ces divergences ont été mises en lumière par plusieurs arrêts récents de la Cour de cassation, notamment celui du 13 septembre 2023 (n° 22-17340 et n° 22-10529), qui a reconnu aux salariés en arrêt maladie non professionnel le droit à l’acquisition de congés payés, écartant l’application des dispositions nationales contraires.
Face à cette situation, le législateur français a dû intervenir pour mettre le Code du travail en conformité avec les exigences européennes. C’est ainsi qu’est née la loi n° 2024-364 du 22 avril 2024, dite loi DDADUE, intégrant dans notre législation les nouvelles règles relatives aux droits à congés pendant les arrêts de travail, qu’ils soient d’origine professionnelle ou non.
Dès lors, les employeurs doivent impérativement se conformer à ces dispositions, sous peine de contentieux prud'homal, notamment sur le terrain du rappel de congés payés. Ce sujet impacte directement la gestion quotidienne des ressources humaines, mais également le respect des obligations légales pesant sur l’employeur.
La loi n° 2024-364 du 22 avril 2024, dite loi DDADUE, adapte le droit français aux exigences du droit de l'Union européenne, notamment en matière de congés payés. Cette réforme, inscrite à l’article 37 de la loi, met fin aux divergences constatées entre les textes français et la directive 2003/88/CE sur le temps de travail, reconnue par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE). Le Code du travail a ainsi été modifié pour assurer une meilleure protection des droits des salariés.
Selon l’article L3141-5 du Code du travail, toute période d'arrêt maladie, qu'elle soit professionnelle ou non professionnelle, est désormais assimilée à du temps de travail effectif pour l'acquisition des congés payés. Cette assimilation, auparavant réservée aux seuls arrêts d'origine professionnelle, est ainsi généralisée.
L’article L3141-5-1 du Code du travail prévoit que durant un arrêt maladie non professionnel, le salarié acquiert 2 jours ouvrables de congés payés par mois, dans la limite de 24 jours ouvrables par an (soit 4 semaines). Cette règle garantit aux salariés concernés une acquisition partielle, mais effective, de leurs droits à congés.
Dans les situations d’accident du travail ou de maladie professionnelle, l’acquisition reste fixée à 2,5 jours ouvrables par mois. Ainsi, un salarié arrêté pour un motif professionnel peut acquérir jusqu’à 30 jours ouvrables par an.
L’article L3141-19-1 du Code du travail instaure un délai de report de 15 mois pour la prise des congés non pris en raison de l'incapacité physique du salarié (maladie ou accident). Ce délai commence à courir :
L’article L3141-21-1 autorise la fixation par accord collectif d'une période de report plus longue, mais jamais inférieure aux 15 mois prévus légalement.
Conformément à l’article L3141-19-3 du Code du travail, l’employeur doit informer son salarié, dans un délai d’un mois suivant la reprise du travail :
Cette information doit être transmise par tout moyen conférant une date certaine, notamment via le bulletin de paie.
Les dispositions relatives à l’acquisition de 4 semaines de congés par an et au report de 15 mois s'appliquent rétroactivement aux arrêts maladie survenus à compter du 1er décembre 2009, comme précisé dans la loi.
Cependant, la suppression de la limite d'un an pour les arrêts AT/MP n’est pas rétroactive (absence de disposition expresse). La Cour de cassation (Cass. soc., 2 octobre 2024, n° 23-14806) a limité les effets de cette suppression aux arrêts postérieurs au 24 avril 2024.
Le délai de forclusion pour agir est de 2 ans à compter du 22 avril 2024, uniquement pour les salariés toujours en poste. Les salariés ayant quitté l’entreprise avant cette date disposent d'un délai de 3 ans.
Les travailleurs intérimaires, bénéficiant d'une indemnité compensatrice de congés payés, sont également concernés. Dès lors, ils acquièrent des droits à congés payés durant leur arrêt maladie ou accident, quel qu'en soit le caractère professionnel ou non.
Avant l’adoption de la loi DDADUE, l’article L3141-3 du Code du travail limitait l'acquisition des congés payés aux périodes assimilées à du travail effectif. Les arrêts maladie non professionnels ne permettaient donc pas l'acquisition de droits. Cette approche était contraire au droit européen.
La Cour de cassation (Cass. soc., 13 septembre 2023, n° 22-17340 et n° 22-10529), suivant la jurisprudence de la CJUE (aff. C-271/22 à C-275/22), a imposé l’application directe du droit européen.
La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), dans son arrêt du 9 novembre 2023 (affaire C-271/22 à C-275/22), a précisé les règles relatives au report des congés payés non pris par un salarié en raison d’un arrêt maladie, qu’il soit d’origine professionnelle ou non.
Selon la CJUE, le droit au congé annuel payé est un droit fondamental du salarié qui ne saurait être indéfiniment reporté. Toutefois, un encadrement temporel du report est admis, sous réserve qu’il ne porte pas atteinte à l’effectivité de ce droit.
En l’absence de précision dans le droit français jusqu’à la réforme, la CJUE a laissé le soin au législateur national de déterminer la durée maximale du report. La loi a ainsi fixé un report de 15 mois, à compter de la reprise d’activité ou de la communication des informations par l’employeur.
Cette durée est désormais inscrite dans le Code du travail (article L3141-19-1), et est considérée comme conforme à la directive 2003/88/CE, dès lors qu’elle ne réduit pas abusivement la possibilité pour le salarié de bénéficier de ses congés.
Le report doit donc rester temporaire, mais suffisant pour que le salarié, empêché de prendre ses congés en raison de son état de santé, puisse les poser dès que sa situation le permet. En limitant ainsi le report à 15 mois, le droit français équilibre les exigences de gestion des entreprises et la protection effective des salariés.
La question de la prescription est essentielle en cas de non prise des congés payés et de demande de paiement d’une indemnité compensatrice.
Selon la jurisprudence constante de la Cour de cassation, le délai de prescription triennal, prévu par l’article L3245-1 du Code du travail, pour réclamer une indemnité compensatrice de congés payés ne commence pas automatiquement à la fin de la période de prise des congés.
En effet, il est désormais établi que ce délai de prescription débute uniquement lorsque l'employeur a pris toutes les mesures nécessaires permettant au salarié d’exercer son droit, notamment par le respect de son obligation d’information (article L3141-19-3).
L’absence de cette information suspend le point de départ du délai. Cette exigence est conforme aux principes posés par le droit européen, imposant aux employeurs de faciliter l’accès effectif au congé.
Concrètement, tant que l’employeur n’a pas :
le délai de prescription ne court pas. Cela protège le salarié contre la perte de ses droits par simple négligence ou mauvaise gestion de l’employeur.
En pratique, si l’employeur a respecté son obligation d'information, le salarié dispose de trois ans pour demander le paiement de son indemnité compensatrice de congés payés en cas de rupture du contrat ou de non-prise de ses congés.
L’entrée en vigueur de la loi DDADUE marque un tournant fondamental en matière de droit aux congés payés. Désormais, toute période d'arrêt maladie – qu’elle résulte d’une affection professionnelle ou non – ouvre droit à l’acquisition de congés, matérialisant ainsi une avancée significative en faveur de la protection des salariés.
L'employeur doit s'adapter à ces nouvelles exigences : prise en compte du report des congés, application des délais uniformes, respect de l’obligation d’information, et vigilance accrue concernant la prescription et les risques de contentieux liés à la portée rétroactive de certaines mesures. Ces changements imposent une mise à jour des pratiques internes, des accords collectifs, ainsi qu'une attention particulière à la rédaction des bulletins de paie et à la communication avec les salariés concernés.
La gestion des absences en entreprise et du droit aux congés devient ainsi un enjeu juridique central, dont le respect conditionne la sécurité juridique des employeurs face à de potentielles réclamations devant les juridictions prud’homales.
1. Un salarié en arrêt maladie acquiert-il systématiquement des congés payés ?
Oui. Depuis l’adoption de la loi DDADUE du 22 avril 2024, tout salarié absent pour arrêt maladie, qu’il soit lié à une maladie professionnelle ou non professionnelle, acquiert désormais des droits à congés payés pendant toute la durée de son absence. Le Code du travail a été modifié (article L3141-5) pour assimiler ces périodes d'absence à du temps de travail effectif, conformément aux exigences de l’Union européenne et à la jurisprudence de la Cour de cassation. Cette évolution concerne tous les employeurs, sans distinction de secteur d’activité ou de statut juridique.
2. Combien de jours de congés un salarié en arrêt non professionnel peut-il cumuler ?
Un salarié en arrêt maladie non professionnel acquiert désormais 2 jours ouvrables de congés payés par mois complet d’arrêt, dans la limite de 24 jours ouvrables par an (correspondant à 4 semaines), conformément à l’article L3141-5-1 du Code du travail. À noter qu’en cas d’arrêt partiel durant un mois civil, le calcul est proratisé. Pour les salariés en arrêt professionnel (accident du travail ou maladie professionnelle), le droit reste fixé à 2,5 jours ouvrables par mois (maximum 30 jours ouvrables par an). Cette distinction entre arrêt professionnel et non professionnel impose aux employeurs une gestion rigoureuse du suivi des absences.
3. Quelle durée maximale est prévue pour le report des congés acquis non pris ?
Lorsqu'un salarié n’a pas pu poser ses congés payés en raison de son arrêt maladie, il bénéficie désormais d’un report automatique d’une durée légale de 15 mois (article L3141-19-1). Ce délai démarre :
L'employeur peut, via un accord collectif, étendre cette période de report au-delà des 15 mois, mais il est interdit de fixer une durée plus courte que celle prévue par la loi. Ce délai de report vise à respecter l’équilibre entre les exigences de l’entreprise et le droit au repos effectif du salarié.
4. En quoi consiste l'obligation d'information imposée à l'employeur après un arrêt maladie ?
Conformément à l’article L3141-19-3, l’employeur a l’obligation légale d'informer son salarié, dans un délai maximum d’un mois après la reprise du travail, du :
Cette communication doit être faite par tout moyen conférant date certaine, comme une remise via le bulletin de paie ou un courrier recommandé. En l'absence de cette information, le délai de report de 15 mois ne commence pas à courir. Cette obligation s'inscrit dans la logique européenne visant à garantir l'effectivité du droit au congé annuel payé.
5. La rétroactivité des nouvelles règles s’applique-t-elle aux situations passées ?
La loi DDADUE prévoit une portée rétroactive pour les situations remontant au 1er décembre 2009, en ce qui concerne :
Cependant, la suppression de la limite d'un an pour les arrêts professionnels (AT/MP) n'a pas d'effet rétroactif. Seuls les arrêts intervenus après le 24 avril 2024 sont concernés (Cass. soc. 2 octobre 2024, n° 23-14806). En matière de recours, un salarié toujours en poste dispose d'un délai de forclusion de 2 ans pour agir, tandis qu'un salarié ayant quitté l’entreprise avant cette date bénéficie de la prescription triennale. Cette précision est déterminante pour sécuriser les entreprises face aux demandes rétroactives de rappel de congés payés.