L’arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 12 juin 2025 (n° 24-13.604) constitue une avancée notable en matière de protection des intérêts patrimoniaux des mineurs. En affirmant que la banque commet une faute si elle procède à un virement sur le compte d’un mineur sans s’assurer de l’accord des deux parents détenteurs de l’administration légale, la Haute juridiction met un terme à une certaine zone grise jurisprudentielle, et renforce le cadre de responsabilité applicable aux établissements bancaires.
Cet arrêt introduit une obligation de vigilance renforcée pour les banques, qui ne peuvent plus se contenter de l’intervention d’un seul parent pour valider un acte patrimonial engageant les intérêts d’un enfant. Il s’agit d’un signal fort envoyé aux institutions financières, leur rappelant que les comptes ouverts au nom d’un mineur bénéficient d’une protection renforcée, en lien direct avec la vulnérabilité juridique et économique de leur titulaire.
Les faits à l’origine de cette décision illustrent parfaitement les dérives que cette vigilance renforcée vise à prévenir. En 2012, un père de trois enfants, exerçant avec leur mère l’administration légale conjointe, effectue plusieurs virements de 5 000 € à partir des comptes d’épargne de ses enfants mineurs vers le compte bancaire de sa propre entreprise. Il procède également à divers retraits complémentaires, au point de vider presque entièrement les soldes des comptes en question.
La mère, qui n’avait pas été consultée, ni même informée de ces mouvements de fonds, découvre la situation a posteriori. Devant la gravité des faits, elle saisit le juge des tutelles, qui procède à la désignation d’un administrateur ad hoc pour représenter les intérêts des enfants. Dans le prolongement, elle engage la responsabilité civile de la banque, lui reprochant d’avoir autorisé ces opérations sans s’assurer que les deux parents avaient donné leur accord.
Cette situation met en lumière une faille manifeste dans le contrôle bancaire, dans un contexte où les fonds d’un mineur sont détournés pour des besoins personnels, sans le moindre encadrement judiciaire ni familial. La mère obtient gain de cause devant la cour d’appel, qui condamne la banque à indemniser les enfants pour le préjudice subi. L’établissement bancaire se pourvoit en cassation.
Dans son pourvoi, la banque défend une approche minimaliste de son rôle, en arguant qu’elle n’est qu’un simple intermédiaire technique, chargé d’exécuter les ordres de son client, sans avoir à se prononcer sur la légalité ou la finalité des virements. Selon elle, dès lors qu’un parent disposait de l’accès au compte du mineur, elle n’était pas tenue de vérifier l’accord de l’autre titulaire de l’autorité parentale.
Pour appuyer sa défense, elle invoque une décision de la première chambre civile de la Cour de cassation, rendue en 2017 (n° 15-24.946), selon laquelle les actes de retrait effectués par un administrateur légal pouvaient, dans certaines conditions, être considérés comme de simples actes d’administration, n’exigeant pas l’accord des deux parents. Dans cette logique, l’établissement prétend n’avoir commis aucune faute, les retraits effectués relevant, selon elle, d’un domaine de gestion courante.
Mais cette argumentation est fermement rejetée par la chambre commerciale.
Par son arrêt du 12 juin 2025 (n° 24-13.604), la chambre commerciale de la Cour de cassation affirme une règle claire : les virements effectués au débit d’un compte ouvert au nom d’un enfant mineur relèvent de la catégorie des actes de disposition, et non de simples opérations de gestion courante. Cette distinction, apparemment technique, emporte pourtant des conséquences pratiques majeures.
Un acte de disposition engage le patrimoine du mineur de manière durable, voire irréversible. À ce titre, il nécessite impérativement l’accord conjoint des deux parents exerçant l’administration légale. Si cet accord fait défaut, l’acte est irrégulier à moins d’avoir été autorisé expressément par le juge des tutelles. Or, dans l’affaire jugée, la banque a validé seule les opérations effectuées par le père, sans s’assurer du consentement de la mère. Ce manquement constitue une faute professionnelle engageant la responsabilité civile de l’établissement bancaire, au détriment des enfants lésés.
La Cour rejette ainsi l’idée selon laquelle le simple accès d’un parent au compte bancaire suffirait à rendre régulière une opération d’importance, surtout lorsqu’elle détourne des fonds au profit d’un tiers — en l’espèce, une entreprise dirigée par le parent lui-même.
Au cœur de cette affaire se trouve une question de qualification juridique. Le Code civil distingue entre deux types d’actes que peuvent accomplir les représentants légaux d’un mineur :
Cette dualité est explicitée par le décret du 22 décembre 2008, selon lequel la modification d’un compte ou d’un livret au nom d’un mineur constitue un acte de disposition, lorsqu’elle affecte le solde de manière significative. En d'autres termes, toute opération entraînant un retrait ou un virement important, même ponctuel, est soumise à des conditions strictes.
Dans cette affaire, la Cour de cassation rejette la lecture souple antérieurement admise dans certaines décisions. Elle refuse notamment de considérer ces virements comme de simples actes de gestion, même si leur montant individuel était inférieur à un seuil symbolique. Ce faisant, elle privilégie une logique de protection du mineur, dans laquelle l'intention et les conséquences de l'opération prévalent sur sa forme apparente.
L’arrêt du 12 juin 2025 s’inscrit pleinement dans le nouveau cadre légal de l’administration légale, tel qu’issu de l’ordonnance du 15 octobre 2015. Depuis le 1er janvier 2016, le régime de l’administration légale a été unifié : lorsque les deux parents exercent en commun l’autorité parentale, chacun est administrateur légal. Toutefois, les actes de disposition ne peuvent être réalisés que conjointement, sous peine d’irrégularité (article 382-1 du Code civil).
En cas de désaccord ou de situation complexe, le juge des tutelles doit être saisi préalablement afin d'autoriser l’opération (articles 387 et 387-1 du Code civil). Cette exigence vise à prévenir les abus, les détournements de fonds ou les conflits d’intérêts, notamment dans les contextes familiaux fragilisés.
En considérant que la banque ne pouvait se contenter de l’autorisation d’un seul parent pour exécuter un acte aussi significatif que des virements de 5 000 € répétés, la Cour rappelle que les établissements bancaires ne sont pas de simples exécutants techniques. Ils ont une responsabilité pleine dans la sécurisation juridique des opérations touchant aux avoirs des personnes protégées, notamment les enfants.
Dans ce type de situation, plusieurs actions en responsabilité sont ouvertes :
L'enfant mineur peut également, une fois majeur, engager une action en responsabilité dans les cinq ans suivant sa majorité contre la banque ou le parent fautif.
Cette affaire illustre l’importance pour les parents et les banques de respecter scrupuleusement le régime juridique de l’administration légale. La Cour de cassation rappelle ici avec fermeté que les fonds déposés sur un compte de mineur ne peuvent être mobilisés qu’avec prudence, et que toute opération significative suppose l’accord des deux parents.
La vigilance bancaire devient une obligation renforcée. Les établissements financiers doivent être formés à ces règles et mettre en place des procédures de contrôle internes pour éviter de se voir reprocher des fautes coûteuses.