Travail

Préconisation médicale de télétravail : entre recommandation et obligation légale

Francois Hagege
Fondateur
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Télétravail pour raison de santé : quand l’employeur doit-il accepter ?

Le télétravail, longtemps considéré comme une modalité marginale d’organisation du travail, s’est imposé comme une pratique durable au sein des entreprises françaises. S’il est désormais intégré dans de nombreux accords collectifs et chartes internes, il soulève encore des questions complexes lorsque sa mise en place résulte d’une préconisation médicale.
Lorsqu’un salarié présente un certificat du médecin du travail suggérant l’exercice de ses fonctions à distance, l’employeur se trouve à la croisée de deux impératifs : le respect de son obligation de sécurité et la préservation de la continuité de l’activité. Faut-il alors considérer cette recommandation comme une obligation légale, imposant la mise en œuvre immédiate du télétravail, ou comme une simple proposition que l’entreprise est libre de refuser ?

La distinction est essentielle, car elle détermine le périmètre de responsabilité de l’employeur. En effet, le médecin du travail, dans le cadre de sa mission de prévention, peut recommander des aménagements individuels du poste de travail afin de protéger la santé du salarié, conformément à l’article L4624-3 du Code du travail. Parmi ces mesures figure le recours au télétravail, particulièrement adapté aux salariés fragilisés, aux femmes enceintes ou aux travailleurs souffrant de troubles de santé chroniques.

Pour autant, cette préconisation n’équivaut pas à une prescription médicale au sens strict. Le télétravail thérapeutique n’a pas de reconnaissance juridique autonome. Il relève d’un dialogue entre le salarié, l’employeur et le médecin du travail, encadré par le droit de la santé au travail et le Code du travail.
Dans ce contexte, l’employeur doit arbitrer entre souplesse organisationnelle et obligations légales, tout en tenant compte de la compatibilité du poste, des besoins du service et de la situation médicale du salarié.
Ainsi, la question n’est pas seulement de savoir si le certificat médical crée une obligation, mais plutôt comment l’entreprise doit y répondre pour rester conforme au droit et protéger la santé du travailleur.

Sommaire

  1. Pourquoi un médecin du travail peut recommander le télétravail
  2. Le médecin traitant peut-il prescrire du télétravail thérapeutique ?
  3. Le télétravail médicalement recommandé s’impose-t-il à l’employeur ?
  4. Comment contester la proposition du médecin du travail
  5. Télétravail et santé : responsabilité juridique de l’employeur

Pourquoi le télétravail peut-il être préconisé à un salarié ?

Le télétravail peut être recommandé à un salarié pour des motifs de santé identifiés par le médecin du travail. Selon l’article L4624-3 du Code du travail, le médecin du travail peut proposer des mesures individuelles d’aménagement, d’adaptation ou de transformation du poste de travail lorsque ces mesures sont justifiées par l’état de santé du salarié ou par son âge. Ces propositions, qui peuvent inclure la mise en place du télétravail, ont pour objectif de préserver la santé physique et mentale du travailleur.

Le médecin du travail agit dans un cadre préventif : il évalue les conditions de travail et peut, lorsqu’il identifie un risque pour la santé du salarié, recommander la mise en œuvre du télétravail afin de réduire les contraintes physiques ou psychologiques liées au poste.

Cette recommandation n’est pas une prescription médicale au sens strict, mais une préconisation professionnelle adressée à l’employeur, fondée sur une expertise médicale et juridique. Elle s’inscrit dans la mission du médecin du travail, dont le rôle est défini à l’article L4622-2 du Code du travail : éviter toute altération de la santé des travailleurs du fait de leur activité.

Ainsi, un salarié souffrant d’une pathologie chronique, d’un handicap reconnu, d’une grossesse à risque ou d’une vulnérabilité médicale particulière peut se voir proposer le télétravail comme mesure d’aménagement adaptée.

Le médecin traitant peut-il prescrire du télétravail ?

Non. Le médecin traitant ne dispose pas du pouvoir de prescrire ou d’imposer la mise en place du télétravail dans l’entreprise. Le Code du travail réserve cette compétence exclusive au médecin du travail, seul habilité à formuler des recommandations d’aménagement du poste en lien avec la santé et la sécurité du salarié.

En revanche, le médecin traitant peut émettre un avis ou un certificat médical à destination du médecin du travail, signalant que certaines conditions de travail aggravent l’état de santé de son patient. Ce document, souvent transmis lors d’une visite de reprise ou de pré-reprise, sert de support à l’analyse médicale effectuée par le médecin du travail.

Le télétravail pour raison thérapeutique n’existe donc pas juridiquement dans le droit du travail français. En revanche, il peut résulter d’une concertation entre le médecin du travail, l’employeur et le salarié, dans le cadre des mesures de prévention prévues par les articles L4624-3 et L4624-6 du Code du travail.

Le télétravail recommandé par le médecin du travail s’impose-t-il à l’employeur ?

L’employeur n’est pas automatiquement tenu d’accepter la mise en place du télétravail recommandée par le médecin du travail, mais il est obligé de prendre cette proposition en considération.

L’article L4624-6 du Code du travail impose à l’employeur de motiver tout refus d’aménagement proposé par le médecin du travail. Il doit le faire par écrit, à la fois au salarié et au médecin du travail, en exposant les raisons techniques ou organisationnelles rendant la mesure impossible.

Toutefois, le refus injustifié peut constituer un manquement à l’obligation de sécurité prévue à l’article L4121-1 du Code du travail, qui impose à l’employeur de protéger la santé et la sécurité de ses salariés. En cas de contentieux, le juge prud’homal apprécie la pertinence du refus au regard des obligations de prévention.

La jurisprudence confirme la portée de cette obligation : la Cour de cassation (Cass. soc., 19 décembre 2007, n°06-43918) considère que l’employeur doit tenir compte des mesures individuelles de protection préconisées par le médecin du travail, au titre de son obligation de résultat en matière de santé et de sécurité.

Ainsi, si le poste du salarié est compatible avec le télétravail et que le refus de l’employeur n’est pas justifié, celui-ci peut voir sa responsabilité engagée.

Peut-on contester les préconisations du médecin du travail ?

Oui. L’employeur (comme le salarié) dispose d’un droit de contestation des avis ou propositions émises par le médecin du travail. Cette faculté est encadrée par l’article L4624-7 du Code du travail, qui prévoit la saisine du conseil de prud’hommes, statuant selon la procédure accélérée au fond.

Le recours doit être formé dans un délai de 15 jours suivant la notification de la proposition du médecin (article R4624-45 du Code du travail). Le conseil de prud’hommes peut alors ordonner une expertise médicale complémentaire, voire substituer sa propre décision à celle du médecin du travail.

Cette voie de recours permet à l’employeur de contester un avis qu’il estime disproportionné, erroné ou inapplicable dans le cadre du fonctionnement de l’entreprise. Toutefois, la contestation ne suspend pas, en principe, l’obligation de prendre en compte la recommandation médicale tant qu’aucune décision judiciaire n’est intervenue.

L’obligation de sécurité et la responsabilité de l’employeur

L’obligation de sécurité constitue un pilier du droit du travail. L’employeur doit assurer la protection de la santé physique et mentale de ses salariés (article L4121-1 du Code du travail). Cette obligation est de résultat, ce qui signifie que l’employeur engage sa responsabilité dès lors qu’un manquement à la prévention des risques est constaté, indépendamment de sa bonne foi.

Lorsqu’un médecin du travail recommande un aménagement de poste, comme le télétravail, cette proposition fait partie intégrante des mesures de prévention que l’employeur doit évaluer et, dans la mesure du possible, mettre en œuvre.

Le refus de l’employeur, s’il n’est pas motivé, peut être considéré comme un manquement à cette obligation. En cas d’aggravation de l’état de santé du salarié, l’entreprise pourrait être condamnée à indemniser le préjudice subi, notamment sur le fondement de la faute inexcusable.

La Cour de cassation (Cass. soc., 15 janvier 2014, n°11-28898) a déjà jugé qu’un employeur qui n’avait pas pris en compte les recommandations du médecin du travail visant à permettre un travail à domicile avait manqué à son obligation de reclassement. Cette jurisprudence renforce la valeur juridique des préconisations médicales.

Le télétravail comme mesure d’adaptation du poste

Le télétravail n’est pas un droit automatique pour le salarié, mais il peut être un outil d’adaptation du poste dans le cadre de la politique de prévention de l’entreprise. Lorsqu’il est préconisé par le médecin du travail, il doit être examiné à la lumière :

  • de la compatibilité du poste avec le travail à distance ;
  • de la sécurité des données et des conditions d’exercice ;
  • et du maintien du lien hiérarchique et collectif au sein de l’entreprise.

S’il n’existe pas d’accord collectif ou de charte encadrant le télétravail, la mise en place doit faire l’objet d’un accord écrit entre l’employeur et le salarié, précisant les conditions de mise en œuvre, la durée, les moyens mis à disposition et le suivi des obligations réciproques.

Cette flexibilité, prévue à l’article L1222-9 du Code du travail, permet à l’employeur d’adapter les modalités sans nécessairement recourir à un avenant au contrat, dès lors que le salarié y consent.

Enjeux pratiques pour l’entreprise et pour le salarié

Le certificat du médecin du travail préconisant le télétravail ne doit pas être interprété comme une contrainte, mais comme un outil de prévention. En pratique :

  • Pour l’employeur, il s’agit d’une opportunité de sécuriser sa responsabilité et de prévenir les litiges en adaptant les conditions de travail.
  • Pour le salarié, il représente une garantie de protection de sa santé et un moyen de continuer à exercer son activité malgré des difficultés médicales ou contextuelles.

En cas de désaccord persistant, le dialogue entre les parties, le médecin du travail et, le cas échéant, l’inspection du travail, demeure la voie la plus adaptée pour trouver un compromis équilibré entre impératifs de santé et contraintes organisationnelles.

Conclusion

La préconisation de télétravail émise par le médecin du travail s’inscrit dans une logique de prévention et d’adaptation du poste de travail. Elle n’a pas, en elle-même, de valeur contraignante pour l’employeur, mais elle crée une obligation d’examen sérieux et motivé. Ignorer cette recommandation reviendrait à méconnaître l’obligation de sécurité posée par l’article L4121-1 du Code du travail, susceptible d’engager la responsabilité de l’entreprise en cas d’aggravation de l’état de santé du salarié.

Le refus de mettre en œuvre le télétravail ne saurait être fondé sur des considérations vagues ou d’opportunité : il doit être objectivement justifié par l’impossibilité technique, organisationnelle ou économique d’exercer les missions à distance. À défaut, le juge prud’homal pourrait considérer que l’employeur a manqué à son devoir de protection, en violation de la jurisprudence constante de la Cour de cassation (notamment Cass. soc., 19 décembre 2007, n°06-43918).

Le télétravail recommandé ne crée donc pas un droit automatique, mais il constitue une mesure de prévention privilégiée pour concilier santé et emploi. Dans la pratique, il doit s’accompagner d’un dialogue tripartite entre l’entreprise, le salarié et le service de santé au travail, garantissant un équilibre entre les impératifs de production et la protection de la personne.

Au-delà de la dimension juridique, cette problématique révèle une transformation profonde du management des risques professionnels : l’entreprise n’est plus seulement un lieu de production, mais un espace de responsabilité partagée, où la santé du travailleur devient un levier d’organisation et non une contrainte.
Ainsi, répondre favorablement à une recommandation médicale de télétravail, lorsqu’elle est compatible avec le poste, ne relève pas d’une obligation imposée, mais d’une démarche de conformité, de prudence et d’éthique managériale.

FAQ

1. Le médecin du travail peut-il imposer le télétravail à l’employeur ?

Non, le médecin du travail ne dispose pas du pouvoir d’imposer le télétravail à un employeur. Cependant, son avis possède une forte valeur juridique et contraignante dans le cadre de la protection de la santé du salarié.
Selon l’article L4624-3 du Code du travail, le médecin du travail peut proposer par écrit des mesures individuelles d’aménagement, d’adaptation ou de transformation du poste de travail, voire du temps de travail, lorsque l’état de santé du salarié le justifie.
Si le médecin estime que le télétravail est nécessaire pour préserver la santé du salarié, il le mentionne dans son avis médical sous forme de recommandation motivée et circonstanciée.

L’employeur doit impérativement prendre cette proposition en considération. Il n’est pas tenu d’y donner suite automatiquement, mais s’il la rejette, il doit justifier son refus par écrit auprès du salarié et du médecin du travail (article L4624-6 du Code du travail).

Ignorer cette recommandation expose l’entreprise à un risque juridique majeur :

  • le salarié pourrait invoquer un manquement à l’obligation de sécurité prévue à l’article L4121-1 du Code du travail ;
  • en cas d’aggravation de l’état de santé du salarié, l’employeur pourrait être condamné pour faute inexcusable ;
  • le CSE (Comité social et économique) pourrait être alerté pour risque grave.

En pratique, le télétravail recommandé par le médecin du travail doit être examiné sérieusement et mis en œuvre dès lors qu’il est techniquement et organisationnellement possible.

2. Quelle différence entre le médecin traitant et le médecin du travail concernant le télétravail ?

Le médecin traitant et le médecin du travail n’ont pas les mêmes prérogatives ni la même finalité d’intervention.

  • Le médecin traitant s’occupe du suivi médical personnel du salarié. Il peut, à ce titre, préconiser du télétravail pour raison thérapeutique (par exemple en cas de grossesse à risque, maladie chronique, fatigue post-opératoire…).
    Cependant, cette préconisation n’a aucune valeur contraignante pour l’employeur, car le Code du travail ne reconnaît pas au médecin traitant la compétence pour imposer des aménagements professionnels.
  • Seul le médecin du travail, acteur de la santé au travail, a la capacité légale de proposer officiellement la mise en place d’un aménagement de poste, dont le télétravail, sur la base d’une évaluation objective des conditions de travail et de la compatibilité du poste avec l’état de santé du salarié.

Lorsqu’un médecin traitant recommande le télétravail, il appartient au salarié d’en informer le médecin du travail. Ce dernier examinera la situation et, s’il juge la recommandation fondée, formulera une proposition officielle à l’employeur.

Ainsi, le certificat du médecin traitant n’a qu’une valeur informative, tandis que l’avis du médecin du travail engage la responsabilité juridique de l’entreprise.

3. L’employeur peut-il refuser le télétravail recommandé par le médecin du travail ?

L’employeur peut refuser de mettre en place le télétravail, mais ce refus doit être motivé, objectif et écrit.
En vertu de l’article L4624-6 du Code du travail, il doit notifier sa décision au salarié et au médecin du travail, en précisant les raisons techniques ou organisationnelles qui rendent la recommandation impossible à appliquer.

Les motifs légitimes de refus peuvent être :

  • la nature du poste, incompatible avec le télétravail (par exemple, fonctions nécessitant une présence physique constante ou manipulation de matériel sur site) ;
  • une contrainte de sécurité ou de confidentialité des données ;
  • une désorganisation du service si plusieurs salariés sont déjà en télétravail ;
  • ou encore l’impossibilité de garantir un environnement de travail conforme aux exigences légales (sécurité, matériel, équipement, confidentialité).

En revanche, si l’employeur rejette la proposition sans justification écrite, ou pour des raisons jugées insuffisantes, il s’expose à :

  • une mise en demeure de l’inspection du travail ;
  • une condamnation prud’homale pour manquement à l’obligation de sécurité ;
  • voire à une requalification du refus en discrimination indirecte si le salarié est en situation de handicap ou de vulnérabilité médicale (articles L1132-1 et L1133-3 du Code du travail).

La Cour de cassation (Cass. soc., 19 décembre 2007, n°06-43918) rappelle que l’employeur doit tenir compte des recommandations médicales dans le cadre de son obligation de résultat en matière de santé et sécurité.

4. Que peut faire un salarié si son employeur refuse le télétravail recommandé ?

Le salarié dispose de plusieurs moyens de recours s’il estime que son employeur refuse abusivement l’application du télétravail préconisé par le médecin du travail :

  1. Saisir à nouveau le médecin du travail, afin que celui-ci réévalue la situation et confirme, le cas échéant, la nécessité du télétravail. Le médecin du travail peut, dans certains cas, proposer un reclassement temporaire ou saisir l’inspection du travail.
  2. Alerter le CSE, compétent en matière de santé et sécurité au travail (article L2312-5 du Code du travail). Le CSE peut intervenir pour examiner les risques encourus par le salarié.
  3. Saisir le conseil de prud’hommes, soit pour faire valoir un manquement à l’obligation de sécurité, soit pour contester la décision de l’employeur sur le fondement de l’article L4624-7 du Code du travail.
  4. Engager une procédure en référé, en cas d’urgence, pour faire ordonner à l’employeur la mise en œuvre immédiate du télétravail ou d’un aménagement temporaire.

Le juge prud’homal statue dans un délai court (procédure accélérée au fond) et peut ordonner une expertise médicale complémentaire ou imposer la mesure d’aménagement.

En cas de préjudice subi (stress, aggravation d’un trouble de santé, dégradation des conditions de travail), le salarié peut obtenir des dommages-intérêts.

5. Quelles sont les conséquences pour l’employeur qui ignore une recommandation de télétravail ?

Ignorer une recommandation du médecin du travail constitue un risque juridique majeur pour l’entreprise.
En effet, le refus injustifié d’appliquer une mesure de prévention ou d’aménagement du poste peut être assimilé à un manquement à l’obligation de sécurité (article L4121-1 du Code du travail).

Les conséquences peuvent être lourdes :

  • Responsabilité civile : condamnation à verser des indemnités pour le préjudice subi par le salarié (Cass. soc., 25 nov. 2015, n°14-24444).
  • Responsabilité pénale : si la santé du salarié est compromise du fait de l’inaction de l’employeur.
  • Reconnaissance d’une faute inexcusable : en cas d’accident ou de maladie aggravée liée au refus d’appliquer les mesures médicales.
  • Atteinte à la réputation de l’entreprise, notamment en cas de publication d’un jugement défavorable.

De plus, l’absence de réponse ou de justification au médecin du travail constitue en soi une infraction pouvant entraîner une amende administrative.

En revanche, lorsque l’employeur prouve qu’il a étudié la proposition et recherché des solutions alternatives (changement d’horaires, poste adapté, reclassement interne), il démontre sa bonne foi et réduit le risque de contentieux.

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