Lorsqu’un salarié est exposé à l’amiante dans une entreprise ayant connu plusieurs employeurs, qui doit indemniser le préjudice d’anxiété ?
Cette question revient souvent pour des ouvriers d’usines ou de sites industriels ayant subi de multiples transferts de leur contrat de travail, au gré des fusions ou cessions. La Cour de cassation vient d’apporter une réponse structurante à ce sujet dans un arrêt rendu le 29 avril 2027 (n° 23-20.501), éclairant un contentieux aussi sensible que technique.
Le préjudice d’anxiété ne se limite pas à la seule exposition à une substance dangereuse comme l’amiante. Il naît du stress chronique, des troubles psychologiques et de l’inquiétude légitime que ressent un salarié informé d’un risque élevé de développer une maladie grave en raison de ses conditions de travail passées.
Mais pour pouvoir être indemnisé, il ne suffit pas d’avoir été exposé : il faut prouver que le salarié a pris conscience du risque sanitaire encouru. Dans cette affaire, la haute juridiction souligne que cette prise de conscience, dans le cas jugé, est postérieure à un transfert du contrat de travail, ce qui joue un rôle central dans la désignation du bon responsable.
En cas de modification de la situation juridique de l’employeur (fusion, cession, transfert), les contrats de travail des salariés sont automatiquement transmis au nouvel employeur selon l’article L. 1224-1 du Code du travail.
La Cour rappelle toutefois que, sauf fraude entre sociétés, les créances nées après le transfert relèvent uniquement du nouvel employeur.
Ici, le salarié avait travaillé dans une fonderie exploitée par cinq sociétés successives, dont l’une seule figurait en dernier lieu comme employeur. Le préjudice d’anxiété, quant à lui, était né après le transfert du contrat de travail, au moment où le salarié avait pris conscience du danger de l’amiante.
Dès lors, le dernier employeur devait en supporter l'entière responsabilité, à moins de démontrer que le préjudice prenait racine dans la période antérieure.
En principe, le nouvel employeur est seul tenu vis-à-vis du salarié. Cependant, la Cour autorise un mécanisme d’action récursoire : le dernier employeur peut se retourner contre ses prédécesseurs, s’il estime que leur comportement ou la durée d’exposition imputable à leur gestion justifie un partage du coût de l’indemnisation.
Mais dans l’affaire jugée, la cour d’appel avait estimé que l’amiante avait cessé d’être utilisée dans l’établissement dès 1991, et que le salarié avait été transféré en 1988. Elle avait donc attribué 90 % de la responsabilité au dernier employeur.
Problème : la même juridiction constatait que les salariés n’avaient pas conscience du risque amiante avant septembre 1988.
Par conséquent, le préjudice d’anxiété ne pouvait être né qu’après le transfert, et seul le dernier employeur devait être tenu pour responsable vis-à-vis du salarié.
La Cour de cassation sanctionne cette incohérence : si le préjudice est né après le transfert, alors la responsabilité exclusive du nouvel employeur s’impose, sans recours possible contre les précédents.
Pour les justiciables concernés, cet arrêt est riche d’enseignements pratiques. Il faut bien comprendre que :
Le préjudice d’anxiété lié à l’exposition à l’amiante peut être indemnisé même sans inscription sur liste amiante. En cas d’employeurs successifs, seul celui en fonction au moment de la prise de conscience du risque est tenu d’indemniser, sauf preuve de collusion.
La charge de la preuve repose donc à la fois sur la date du transfert, la période d’exposition, et le moment où le salarié a compris qu’il était potentiellement en danger.
Les salariés exposés doivent donc conserver tous les éléments de preuve relatifs à leurs conditions de travail, y compris les dates, les matériaux utilisés, les documents internes, les campagnes de prévention ou d'information, pour pouvoir faire valoir leurs droits.