Pénal

Propriétaire ou locataire : comment résoudre un trouble de jouissance dans un bail ?

Francois Hagege
Fondateur
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Trouble de jouissance : comment réagir face aux nuisances dans un logement ?

Le droit au calme et à la tranquillité dans son logement constitue une garantie fondamentale du contrat de bail. Pourtant, les troubles de jouissance, qu’ils soient causés par un voisin bruyant, un logement défectueux, ou même par le propriétaire lui-même, sont à l’origine de nombreux contentieux entre bailleurs et locataires.

Dans ce contexte, il est essentiel de comprendre les droits reconnus au locataire, les obligations du bailleur, mais aussi les recours possibles pour restaurer un usage normal du logement.

Cet article propose une analyse juridique rigoureuse de ces situations conflictuelles à la lumière des textes légaux (notamment le Code civil et la loi du 6 juillet 1989) et de la jurisprudence récente, afin d’éclairer les justiciables sur les démarches à entreprendre en cas de litige.

Sommaire

  1. Introduction
  2. Qu’est-ce qu’un trouble de jouissance
  3. Les formes de troubles de jouissance reconnues par la jurisprudence
  4. Les responsabilités respectives : bailleur, locataire, tiers
  5. Comment agir face à un locataire bruyant
  6. Les recours disponibles en cas de litige locatif
  7. L’assistance des organismes spécialisés
  8. FAQ

Qu’est-ce qu’un trouble de jouissance ?

La définition juridique

Aux termes de l’article 1719 du Code civil, le bailleur est tenu de garantir au locataire la jouissance paisible du bien loué. Le trouble de jouissance se définit donc comme toute atteinte portée à ce droit, qu’elle soit le fait du bailleur, d’un tiers, ou d’un co-locataire.

Cette obligation, d’ordre public, s’impose durant toute la durée du bail. Elle peut être restreinte contractuellement dans une certaine mesure, mais non supprimée (Cass. civ., 16 juill. 1951).

Différence avec le trouble anormal de voisinage

Contrairement au trouble de jouissance qui découle du lien contractuel entre le bailleur et le locataire, le trouble anormal de voisinage relève du droit commun de la responsabilité extracontractuelle (art. 1253 du Code civil). Ce dernier est fondé sur la jurisprudence dite “Lemonnier” (Cass. civ. 3e, 14 févr. 1971, n° 69-12.237) et admet que le seul excès du trouble suffit à engager la responsabilité, sans qu’une faute soit nécessaire.

Les formes de troubles de jouissance reconnues par la jurisprudence

Les juridictions ont reconnu une diversité de situations constituant des troubles de jouissance :

  • Nuisances sonores persistantes (Cass. civ. 3e, 4 déc. 1991, n° 90-14.600)
  • Intrusions du bailleur sans autorisation
  • Défaut d’isolation phonique ou thermique
  • Travaux intempestifs et mal coordonnés
  • Fuites d’eau, humidité excessive (Cass. civ. 3e, 13 juin 2024, n° 22-21.250)
  • Comportements agressifs ou bruyants de voisins

Lorsque l’un de ces éléments nuit à l’usage normal du logement, il y a inexécution contractuelle, susceptible d’entraîner réparation du préjudice, voire résiliation judiciaire du bail (art. 1217 et s. du Code civil).

Les responsabilités respectives : bailleur, locataire, tiers

Le locataire responsable de nuisances

L’article 7 de la loi du 6 juillet 1989 impose au locataire l’usage paisible du logement. À défaut, il s’expose à :

  • Une mise en demeure
  • Une demande de résiliation judiciaire du bail pour manquement grave (art. 1224 du Code civil)
  • Une procédure d’expulsion si le trouble persiste

La preuve peut être apportée par tout moyen (art. 1353 et 1358 du Code civil) : constats d’huissier, témoignages, plaintes, mains courantes.

Le bailleur fautif

Le bailleur peut être personnellement responsable s’il :

  • Néglige de faire cesser un trouble causé par un tiers
  • Réalise des travaux entraînant une gêne excessive
  • Refuse de réparer des désordres structurels
  • Viole le droit à la vie privée du locataire

Sa responsabilité est alors engagée sur le fondement de l’article 1719 du Code civil (voir Cass. civ. 1re, 9 févr. 1965, n° 62-10.478).

Le trouble causé par un tiers

Même lorsqu’un tiers (voisin, membre du syndicat de copropriété) est responsable du trouble, le bailleur ne peut s’exonérer de son obligation qu’à condition de démontrer avoir tout mis en œuvre pour faire cesser la nuisance (Cass. civ. 3e, 25 oct. 1972, n° 71-11.563). À défaut, le locataire peut agir contre lui.

Comment agir face à un locataire bruyant ?

Lorsqu’un locataire perturbe la tranquillité des lieux par un comportement excessivement bruyant – fêtes fréquentes, cris, musique à volume élevé – le bailleur doit réagir rapidement pour préserver la jouissance paisible du logement des autres occupants ou voisins.

L’article 7 de la loi du 6 juillet 1989 impose en effet au locataire l’obligation d’user paisiblement du bien loué. En cas de violation de cette obligation, le propriétaire est en droit d’agir, mais encore faut-il pouvoir prouver la réalité et la gravité des nuisances.

Réunir des preuves solides

Avant toute démarche contentieuse, il est essentiel de constituer un dossier rigoureux. En effet, toute demande de résiliation judiciaire du bail devant le juge des contentieux de la protection doit reposer sur des éléments factuels concrets démontrant une inexécution suffisamment grave du contrat au sens de l’article 1227 du Code civil.

Parmi les moyens de preuve admissibles figurent notamment :

  • Un constat d’huissier détaillant les nuisances sonores constatées à des horaires répétitifs ou inadaptés ;
  • Des témoignages écrits de voisins ou de membres du syndicat de copropriété, appuyant la persistance et l’intensité du trouble ;
  • Le dépôt d’une main courante ou d’une plainte auprès des forces de l’ordre, utile pour démontrer que le trouble a été signalé aux autorités ;
  • Des interventions de la police municipale ou des rapports du syndic, souvent sollicités par les copropriétaires excédés ;
  • Des enregistrements sonores ou vidéos (dans le respect de la vie privée) et des échanges de courriers adressés au locataire lui rappelant ses obligations.

Ces éléments, pris isolément ou cumulés, permettent de démontrer l’ampleur du trouble, sa récurrence, et son caractère fautif. Ils serviront à justifier la résiliation judiciaire du bail, voire à obtenir des dommages et intérêts en cas de préjudice subi.

Les recours disponibles en cas de litige locatif

Conciliation et médiation

Avant tout recours judiciaire, il est recommandé d’explorer les voies amiables :

  • Commission départementale de conciliation (CDC), compétente pour les litiges relatifs aux troubles de jouissance, loyers ou charges (art. 20 et s. de la loi du 6 juillet 1989)
  • Médiateurs locaux, souvent proposés par les mairies ou maisons de justice et du droit

Action judiciaire

Si les démarches amiables échouent, le juge des contentieux de la protection peut être saisi (art. L. 213-4-4 du Code de l’organisation judiciaire). Il pourra :

  • Résilier le bail
  • Allouer des dommages et intérêts
  • Prononcer une astreinte
  • En cas d’urgence, ordonner des mesures en référé (art. 484 et 835 du Code de procédure civile)

L’assistance des organismes spécialisés

En cas de trouble de jouissance ou de litige locatif, le locataire – qu’il soit victime ou mis en cause – peut bénéficier d’un accompagnement adapté grâce à différents organismes spécialisés.

Les ADIL (Agences départementales d'information sur le logement)

Les ADIL sont des structures publiques présentes dans chaque département. Leur mission est de fournir aux particuliers une information juridique gratuite, neutre et personnalisée en matière de logement. Le locataire peut s’y rendre pour :

  • Comprendre ses droits et obligations issus du bail d’habitation et des textes applicables (notamment la loi du 6 juillet 1989) ;
  • Obtenir des conseils sur les recours disponibles en cas de troubles de jouissance ;
  • Être orienté vers les bons interlocuteurs en cas de démarches à engager (huissiers, avocats, commissions de conciliation, etc.) ;
  • Accéder à des modèles de courriers pour effectuer des mises en demeure ou saisir les autorités compétentes.

Les ADIL ne remplacent pas un avocat, mais elles constituent un premier niveau d’assistance juridique accessible à tous, sans frais.

Les associations agréées de défense des locataires

Certaines associations de locataires, reconnues d’utilité publique et agréées par les pouvoirs publics, assurent également un rôle de soutien et de représentation :

  • La CNL (Confédération nationale du logement) ;
  • La CSF (Confédération syndicale des familles) ;
  • D’autres associations locales ou régionales disposant d’un agrément.

Ces structures peuvent :

  • Aider à la constitution d’un dossier solide, avec preuves et argumentation juridique ;
  • Accompagner les locataires dans les démarches amiables ou contentieuses ;
  • Intervenir auprès du bailleur ou du syndic en tant que médiateur ;
  • Et dans certains cas, agir en justice au nom du locataire, notamment en matière de logement insalubre ou de non-respect du droit à la jouissance paisible.

Ces aides sont précieuses pour tout justiciable ne disposant pas des ressources financières pour recourir immédiatement à un avocat, ou souhaitant préparer efficacement une procédure judiciaire.

Conclusion

Le trouble de jouissance s’inscrit dans une logique d’équilibre contractuel, entre la liberté du locataire de jouir pleinement de son bien et l’exigence de respect du voisinage ou de l’environnement immobilier.

L’action en justice ne constitue qu’un ultime recours, précédé le plus souvent par des tentatives de conciliation, de mise en demeure, voire de médiation institutionnelle.

Que l’on soit locataire lésé ou bailleur confronté à un comportement abusif, il est impératif de fonder sa démarche sur des preuves solides, une lecture fine des textes et, si nécessaire, l’appui d’un professionnel du droit. Pour approfondir votre situation spécifique et bénéficier d’un accompagnement personnalisé, n’hésitez pas à consulter les ressources disponibles sur defendstesdroits.fr.

FAQ

1. Qu’est-ce qu’un trouble de jouissance en droit locatif ?

Un trouble de jouissance désigne toute atteinte portée au droit du locataire de jouir paisiblement du logement qu’il loue. Ce droit est protégé par l’article 1719 du Code civil, qui impose au bailleur l’obligation d’assurer au locataire une jouissance paisible des lieux pendant toute la durée du bail. Il peut s’agir de nuisances sonores, d’intrusions du propriétaire, de travaux gênants ou d’un logement en mauvais état (humidité, infiltrations, isolation défaillante). Dès lors que ces troubles empêchent le locataire de vivre normalement dans son logement, ils peuvent être considérés comme fautifs et ouvrir droit à des dommages et intérêts, voire à la résiliation du contrat de bail.

2. Le bailleur est-il responsable des nuisances causées par un voisin ?

Oui, dans certaines conditions. Bien que le trouble provienne d’un tiers (ex. : voisin bruyant), le bailleur reste responsable envers son locataire s’il n’agit pas pour faire cesser la nuisance. En effet, il doit garantir la jouissance paisible du bien même contre des troubles externes, à moins qu’il ne prouve avoir entrepris toutes les démarches utiles pour y mettre fin (lettres au syndic, recours au tribunal, etc.). À défaut, le locataire peut agir contre le bailleur pour inexécution contractuelle et demander réparation sur le fondement de l’article 1719 du Code civil.

3. Quels recours contre un locataire bruyant ou irrespectueux ?

Lorsqu’un locataire trouble le voisinage, notamment par un comportement bruyant, des fêtes répétées ou des comportements agressifs, le propriétaire peut engager une procédure de résiliation du bail pour manquement à l’obligation d’usage paisible (art. 7 de la loi du 6 juillet 1989). Il est essentiel de constituer un dossier solide : constats d’huissier, plaintes, témoignages de voisins, courriers. Après une mise en demeure restée sans effet, le bailleur pourra saisir le juge des contentieux de la protection afin d’obtenir l’expulsion du locataire.

4. Comment prouver un trouble de jouissance devant le juge ?

La preuve peut être apportée par tout moyen (art. 1358 du Code civil). Cela inclut :

  • Constats d’huissier établissant l’ampleur des nuisances
  • Témoignages écrits de voisins ou copropriétaires
  • Courriers adressés au bailleur restés sans réponse
  • Documents médicaux en cas d’atteinte à la santé
  • Photos ou enregistrements prouvant des désordres ou nuisances

Le caractère répété, grave et non résolu des troubles est déterminant pour obtenir une indemnisation ou une résiliation judiciaire du bail.

5. Quel juge est compétent pour les litiges liés à un trouble de jouissance ?

Les litiges relatifs à l’exécution du bail, y compris les troubles de jouissance, relèvent du juge des contentieux de la protection, rattaché au tribunal judiciaire (art. L. 213-4-4 du Code de l’organisation judiciaire). En cas d’urgence ou de trouble manifestement illicite, il est possible de saisir le juge en référé (art. 835 du Code de procédure civile) afin d’obtenir rapidement des mesures provisoires, telles que la cessation des troubles ou la suspension du paiement du loyer. Le recours à la commission départementale de conciliation est également possible en amont, notamment pour les conflits concernant les troubles de jouissance, les charges ou réparations.

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