Travail

Rémunérations : publier les écarts femmes-hommes et éviter les sanctions

Francois Hagege
Fondateur
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Transparence salariale 2026 : obligations, échéances et plan d’action

L’égalité de rémunération entre les femmes et les hommes constitue un principe fondamental du droit du travail européen depuis la fondation de la Communauté économique européenne. Pourtant, plus de soixante ans après son inscription dans les traités, les écarts salariaux persistent. En 2020, selon Eurostat, les femmes gagnaient encore en moyenne 13 % de moins que les hommes dans l’Union européenne, et 15,8 % en France. Ces disparités, nourries par des stéréotypes de genre, une répartition inégale des postes à responsabilité et une faible transparence salariale, traduisent les limites du cadre juridique actuel.

Face à ce constat, l’Union européenne a décidé d’agir avec force. Le 10 mai 2023, elle a adopté la directive (UE) 2023/970, véritable tournant en matière de transparence des rémunérations. Ce texte ambitieux impose aux États membres, dont la France, de renforcer leurs dispositifs de lutte contre les inégalités salariales en s’appuyant sur la transparence, la responsabilité et le droit à l’information.
Sa transposition devra intervenir au plus tard le 7 juin 2026, date à laquelle les entreprises devront être pleinement en conformité avec les nouvelles exigences.

Derrière cette réforme se joue un changement de paradigme : il ne s’agit plus seulement de sanctionner les discriminations lorsqu’elles sont prouvées, mais de prévenir leur apparition en rendant visible et mesurable chaque écart de rémunération. L’objectif est clair : garantir que le même travail ou un travail de valeur égale soit effectivement rémunéré à un niveau identique, indépendamment du sexe du salarié, conformément à l’article L3221-2 du Code du travail et à l’article 157 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE).

Ainsi, la directive 2023/970 instaure un arsenal complet de mesures : obligation de transparence avant l’embauche, communication régulière des écarts salariaux, droit individuel d’accès à l’information, et mécanismes de recours renforcés.
Ces nouvelles règles transformeront durablement les pratiques RH et la gouvernance des entreprises, en plaçant l’égalité salariale au cœur de leur stratégie sociale.

Sommaire

  1. Introduction
  2. Comment la directive européenne de 2023 renforce la transparence salariale
  3. La transparence des rémunérations avant l’embauche
  4. Des critères de rémunération objectifs et accessibles
  5. Un droit à l’information élargi pour les salariés
  6. Une obligation de publication des écarts de rémunération
  7. L’évaluation conjointe des rémunérations
  8. Un accompagnement spécifique pour les PME
  9. Des voies de recours renforcées pour les victimes
  10. Conclusion

Comment la directive européenne de 2023 renforce la transparence salariale

La directive (UE) 2023/970 du 10 mai 2023, publiée au Journal officiel de l’Union européenne le 17 mai 2023, marque une avancée majeure vers l’égalité salariale entre les femmes et les hommes. Son objectif est clair : rendre les rémunérations plus transparentes afin de faciliter la détection et la correction des discriminations salariales persistantes. Cette directive devra être transposée en droit français au plus tard le 7 juin 2026.

Selon l’article L3221-2 du Code du travail, tout employeur doit assurer une égalité de rémunération pour un travail de valeur égale, qu’il s’agisse du salaire de base ou d’avantages en nature (article L3221-3). Ces obligations nationales s’inscrivent dans la continuité du principe d’égalité de rémunération inscrit à l’article 157 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) et dans la directive 2006/54/CE relative à l’égalité de traitement.

1. La transparence des rémunérations avant l’embauche

Désormais, les employeurs devront indiquer la rémunération initiale ou la fourchette salariale applicable au poste dans leurs offres d’emploi, conformément à l’article 5 de la directive. Ces montants doivent être déterminés selon des critères objectifs et non sexistes, en s’appuyant sur des éléments tels que les compétences, les qualifications et l’expérience requises.

L’employeur ne pourra plus interroger un candidat sur son historique salarial, une pratique considérée comme contraire à la transparence et à l’égalité. Les dénominations de poste devront également être neutres du point de vue du genre.

2. Des critères de rémunération objectifs et accessibles

Les employeurs devront publier et mettre à disposition des salariés les critères utilisés pour fixer les salaires, leurs progressions et leurs révisions (article 6 de la directive). Ces critères devront être objectifs, neutres et vérifiables, excluant toute référence au sexe du salarié.

Cette exigence favorise une plus grande prévisibilité salariale et contraint les entreprises à justifier toute évolution ou stagnation de salaire par des éléments concrets liés à la performance ou à la compétence, et non à des considérations discriminatoires.

3. Un droit à l’information élargi pour les salariés

L’article 7 de la directive consacre un droit individuel à l’information salariale. Chaque salarié pourra demander des données sur son salaire et sur la rémunération moyenne des collègues exerçant un travail de même valeur, ventilées par sexe.

L’employeur disposera de deux mois pour répondre. En cas d’absence de réponse, ou de réponse incomplète, le salarié pourra saisir les représentants du personnel ou un organisme spécialisé dans l’égalité professionnelle.
En outre, toute clause interdisant la divulgation de sa rémunération sera réputée nulle en vertu du principe de transparence.

4. Une obligation de publication des écarts de rémunération

À compter du 7 juin 2027, les entreprises de 250 salariés ou plus devront publier des données chiffrées sur les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes (article 9). Ces informations incluent :

  • la rémunération moyenne et médiane par sexe ;
  • les écarts sur les primes, avantages variables et compléments de salaire ;
  • la proportion d’hommes et de femmes dans chaque quartile salarial.

Les entreprises de 100 à 249 salariés devront publier ces données tous les trois ans, et celles de moins de 100 salariés pourront le faire à titre volontaire.
En France, cette obligation viendra compléter l’actuel Index de l’égalité femmes-hommes (EGAPRO) prévu à l’article L1142-8 du Code du travail.

5. L’évaluation conjointe des rémunérations

Lorsque les écarts publiés révèlent une différence injustifiée de plus de 5 % entre les sexes, les employeurs seront tenus de procéder à une évaluation conjointe avec les représentants du personnel (article 10). Cette évaluation devra identifier :

  • les causes des écarts ;
  • les mesures correctives à mettre en œuvre ;
  • les indicateurs de suivi de l’efficacité des actions engagées.

Cette démarche vise à instaurer un dialogue social structuré autour de l’égalité salariale et à encourager la correction rapide des écarts injustifiés.

6. Un accompagnement spécifique pour les PME

Reconnaissant les contraintes des petites structures, la directive impose aux États membres d’apporter un soutien technique et juridique aux entreprises de moins de 250 salariés (article 11).
Cet appui pourra prendre la forme de formations, de modèles de rapports ou d’outils d’évaluation pour faciliter la mise en conformité avec la réglementation à venir.

7. Des voies de recours renforcées pour les victimes

Tout salarié s’estimant victime d’une discrimination salariale pourra obtenir une réparation intégrale du préjudice subi, incluant les arriérés de salaire, les primes, le préjudice moral et les intérêts de retard (articles 14 et 15).
La directive interdit toute limitation du montant des indemnités et précise que la charge de la preuve repose sur l’employeur dès lors que des éléments laissent présumer une inégalité de rémunération.

Ce mécanisme renforce la protection juridique des salariés et incite les employeurs à anticiper les risques contentieux par des politiques salariales équitables et documentées.

Une transformation structurelle du droit du travail européen

En harmonisant les pratiques au sein des États membres, la directive 2023/970 vise à réduire l’écart salarial moyen de 13 % observé dans l’Union européenne, selon les données Eurostat. En France, cet écart atteignait encore 15,8 % en 2020, traduisant la persistance de stéréotypes de genre et d’une répartition inégale des postes à responsabilité.

Cette réforme s’inscrit dans la continuité de la stratégie européenne pour l’égalité entre les femmes et les hommes 2020-2025, adoptée par la Commission le 5 mars 2020, et impose aux États de revoir leur législation pour garantir une égalité salariale effective et mesurable.

Conclusion

La directive européenne 2023/970 marque une étape déterminante dans la construction d’un marché du travail plus équitable et transparent. En imposant des obligations concrètes de publication, d’information et d’évaluation, elle met fin à une opacité salariale longtemps tolérée et souvent source d’inégalités structurelles.

Pour la France, cette transposition s’annonce comme un choc de conformité sociale : les entreprises devront non seulement ajuster leurs pratiques RH, mais aussi repenser leurs systèmes de classification, de rémunération et de communication interne.
Les employeurs devront anticiper la mise en place d’outils d’audit, de tableaux de bord et de procédures internes pour démontrer la conformité de leur politique salariale aux nouvelles normes européennes.

Du côté des salariés, cette réforme ouvre la voie à une vraie démocratie salariale, où chacun pourra connaître et contester une différence de rémunération injustifiée. À terme, l’objectif est de replacer la valeur du travail au centre de la rémunération, en dépassant les biais historiques et les stéréotypes de genre.

En 2026, la transparence ne sera plus une option, mais une obligation légale et morale pour toutes les entreprises opérant sur le sol européen. Elle participera à renforcer la confiance au sein des organisations et à affirmer que, dans une société moderne, l’égalité de rémunération n’est pas seulement un droit, mais une exigence de justice sociale.

FAQ

Q1. Qu’impose la directive 2023/970 en matière de transparence salariale ?
La directive (UE) 2023/970 du 10 mai 2023 marque une étape majeure dans la lutte contre les inégalités salariales. Elle impose aux États membres, dont la France, d’introduire des mesures contraignantes pour rendre les rémunérations plus transparentes et garantir une application réelle du principe d’égalité de rémunération pour un travail de valeur égale.
Les principales obligations comprennent :

  • la communication des fourchettes salariales dans les offres d’emploi, afin que les candidats puissent négocier sur une base claire et non discriminatoire ;
  • l’interdiction de demander l’historique salarial des candidats ;
  • la mise à disposition des salariés des critères objectifs de fixation et d’évolution des salaires ;
  • le droit d’accès à des informations précises sur leur rémunération et sur celle de leurs collègues exerçant un travail équivalent ;
  • la publication des écarts de rémunération entre les femmes et les hommes à partir de 2027 ;
  • la possibilité pour les victimes de discrimination salariale d’obtenir une réparation intégrale sans plafond d’indemnisation.
    Cette directive vise donc à faire de la transparence un levier d’égalité réelle et à responsabiliser les employeurs par la preuve.

Q2. Quelles sont les principales échéances à retenir en France ?
Le calendrier de mise en œuvre s’articule en deux étapes clés :

  • Transposition nationale avant le 7 juin 2026 : la France devra adapter son droit interne, notamment le Code du travail, pour intégrer les exigences de la directive ;
  • Obligation de publication dès le 7 juin 2027 pour les entreprises de 250 salariés et plus, qui devront communiquer chaque année leurs écarts de rémunération femmes-hommes.
    Les entreprises de 150 à 249 salariés seront tenues de publier ces données tous les trois ans, et celles de 100 à 149 salariés à partir de 2031, également tous les trois ans.
    Les structures de moins de 100 salariés pourront participer sur une base volontaire, avec un soutien technique et juridique prévu par les États membres.
    En France, ces obligations s’ajoutent à celles déjà existantes relatives à l’Index de l’égalité professionnelle femmes-hommes (EGAPRO), instauré par l’article L1142-8 du Code du travail. Les entreprises devront donc articuler ces deux dispositifs afin d’assurer une cohérence et une conformité complète.

Q3. Comment définir un “travail de valeur égale” pour comparer les salaires ?
La notion de travail de valeur égale est centrale pour évaluer les écarts de rémunération. Elle ne se limite pas à l’intitulé du poste ou au service concerné, mais repose sur des critères objectifs, définis par le Code du travail (articles L3221-2 et L3221-3) :

  • le niveau de qualification ou de compétence requis ;
  • la responsabilité exercée dans les fonctions ;
  • l’effort mental ou physique demandé ;
  • les conditions de travail et d’environnement ;
  • la valeur ajoutée réelle pour l’entreprise.
    Ainsi, deux emplois différents peuvent être considérés comme de valeur égale s’ils présentent une exigence comparable en termes de savoir-faire, d’effort ou de responsabilité.
    L’évaluation objective du travail repose sur des outils concrets : grilles de classification, fiches de poste détaillées, référentiels de compétences, matrices de rémunération.
    Ces documents deviennent essentiels pour justifier les différences salariales et prévenir les contentieux. Une absence de traçabilité ou de justification objective pourra être interprétée comme une discrimination indirecte.

Q4. Quelles données sur les écarts femmes-hommes devront être publiées ?
À partir de 2027, les employeurs de 250 salariés ou plus devront publier un ensemble de données chiffrées reflétant la réalité des rémunérations internes. Ces informations comprendront :

  • l’écart moyen et médian des rémunérations entre les femmes et les hommes ;
  • les écarts sur les éléments variables (primes, bonus, avantages complémentaires) ;
  • la proportion d’hommes et de femmes dans chaque quartile de rémunération ;
  • la part de salariés bénéficiant de composantes variables ;
  • l’analyse des écarts par catégorie professionnelle.
    Ces données devront être transmises à une autorité nationale désignée (en France, probablement la DGT ou la DARES) et rendues accessibles au public — soit sur le site internet de l’entreprise, soit par tout autre moyen garantissant la transparence.
    Les représentants du personnel, les organismes d’égalité de traitement et l’inspection du travail pourront exiger des explications détaillées sur tout écart observé, voire demander des mesures correctrices.
    Cette obligation de publication transforme la transparence en un outil de contrôle citoyen et social.

Q5. Quels sont les risques en cas de non-conformité ou de discrimination avérée ?
La directive impose des voies de recours effectives et une protection renforcée des victimes. Un salarié qui prouve ou présume une inégalité salariale bénéficie désormais :

  • d’une réparation intégrale du préjudice (rappels de salaire, primes, avantages en nature, intérêts de retard, indemnisation du préjudice moral) ;
  • de la nullité de toute clause de confidentialité limitant son droit à divulguer sa rémunération ;
  • du renversement de la charge de la preuve : c’est désormais à l’employeur de démontrer qu’il n’a commis aucune discrimination ;
  • de mesures d’injonction pouvant être ordonnées par les autorités administratives ou judiciaires pour faire cesser la violation.
    Les entreprises s’exposent, en cas de manquements répétés ou d’absence de publication, à des sanctions financières, à une atteinte à leur réputation et à un risque contentieux accru.
    Pour se prémunir, il est fortement recommandé de mettre en place une politique de rémunération documentée, des audits internes réguliers, un suivi statistique des écarts, et de former les responsables RH à la détection des biais sexistes dans les décisions salariales.

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