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Retraites et employeurs : contribution unique, C2P, carrières longues, que changer ?

Jordan Alvarez
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Allongement des carrières : transformer la réforme des retraites en atout RH

Le 1er septembre 2023 a marqué une nouvelle étape dans le paysage social français avec l’entrée en vigueur des principales mesures issues de la réforme des retraites portée par la loi n°2023-270 du 14 avril 2023 de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023.
Présentée comme une réponse au déséquilibre financier du système, cette réforme modifie en profondeur les règles applicables à la retraite, tout en redéfinissant le rôle des entreprises dans la gestion de la fin de carrière de leurs salariés.

Pour les employeurs, ces changements ne se résument pas à un simple ajustement administratif : ils bouleversent les équilibres économiques, sociaux et humains de l’entreprise. Entre l’allongement de la durée d’activité, la création d’une contribution unique sur les indemnités de rupture, la réforme du compte professionnel de prévention (C2P) et la fermeture progressive des régimes spéciaux, les directions doivent désormais repenser leurs stratégies RH et leur politique sociale.

Cette réforme consacre également un principe désormais central : le maintien en emploi des seniors. L’objectif affiché par le législateur est d’encourager la prolongation de l’activité professionnelle tout en prévenant l’usure liée à certaines conditions de travail. Mais derrière cette ambition sociale, se cachent des enjeux financiers significatifs : indemnités majorées, contributions nouvelles, gestion de la pénibilité, adaptation des postes et accompagnement de la reconversion.

À travers cet article, defendstesdroits.fr vous propose une analyse détaillée des impacts juridiques et pratiques de la réforme des retraites sur les entreprises : du coût des départs à la retraite à la refonte du régime social des indemnités, en passant par la protection de la santé des salariés et la gestion des carrières longues.

Sommaire

  1. Introduction : contexte et enjeux pour les entreprises
  2. Harmonisation du régime social des indemnités (contribution de 30 %)
  3. Prévention de la pénibilité et C2P : nouveaux droits et financements
  4. Âge légal, durée d’assurance et carrières longues : les règles clés
  5. Travail des seniors : retraite progressive et cumul emploi-retraite
  6. Fin des régimes spéciaux : impacts sur les recrutements
  7. Impacts RH et financiers : coûts, GPEC et adaptation des postes

1. HARMONISATION DU RÉGIME SOCIAL DES INDEMNITÉS : UNE CONTRIBUTION UNIQUE À 30 %

La réforme a instauré une contribution unique de 30 % (article L.137-12 du Code de la sécurité sociale) sur les indemnités versées lors d’une rupture conventionnelle ou d’une mise à la retraite, pour leur part exclue de l’assiette des cotisations sociales.
Cette mesure remplace :

  • le forfait social de 20 % applicable aux ruptures conventionnelles ;
  • la contribution spécifique de 50 % sur les indemnités de mise à la retraite.

Cette harmonisation vise à rééquilibrer les pratiques : auparavant, le coût moindre de la rupture conventionnelle incitait certaines entreprises à contourner la mise à la retraite.
Désormais, la contribution unique rend ces deux dispositifs financièrement équivalents et encourage les employeurs à maintenir leurs salariés seniors en poste.

Le produit de cette contribution est affecté à la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV), participant ainsi au financement général du système de retraite.

2. LA PROTECTION DES SALARIÉS FACE À L’USURE PROFESSIONNELLE : UN AXE PRIORITAIRE

La réforme renforce les mécanismes de prévention de la pénibilité à travers l’évolution du compte professionnel de prévention (C2P).
Ce dispositif, prévu à l’article L.4163-1 du Code du travail, permet aux salariés exposés à des facteurs de risques professionnels d’acquérir des points échangeables contre des droits : formations, passage à temps partiel, départ anticipé à la retraite ou désormais reconversion professionnelle.

Depuis le 16 avril 2023, le C2P peut être utilisé pour financer des projets de reconversion, avec maintien partiel de la rémunération durant un congé de reconversion professionnelle (article L.4163-8-4 du Code du travail).
Ce congé est assimilé à du temps de travail effectif, garantissant au salarié la préservation de ses droits à ancienneté, à congés payés et à retraite.

Parallèlement, un fonds d’investissement pour la prévention de l’usure professionnelle a été créé auprès de la Commission des accidents du travail et maladies professionnelles (AT/MP) (article L.221-1-5 du Code de la sécurité sociale).
Ce fonds finance des actions de formation, de reconversion et d’adaptation des conditions de travail dans les entreprises les plus exposées à des facteurs de pénibilité.

3. LE REPORT DE L’ÂGE LÉGAL ET L’ALLONGEMENT DE LA DURÉE DE COTISATION

Le recul progressif de l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans s’applique depuis le 1er septembre 2023 (décrets n°2023-435 et 2023-436 du 3 juin 2023).
Les salariés nés à compter du 1er septembre 1961 sont les premiers concernés.
L’âge d’annulation de la décote reste fixé à 67 ans.

La durée d’assurance nécessaire pour une retraite à taux plein atteindra 172 trimestres (43 ans) pour les générations nées à partir de 1973.
Ce rallongement entraîne une présence prolongée des salariés expérimentés dans les effectifs, nécessitant une adaptation des politiques de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC).

Les entreprises doivent par ailleurs ajuster leurs dispositifs internes (accords collectifs, plans seniors, politique salariale) pour répondre aux exigences de santé, de reconversion et de maintien en emploi.

4. LES DISPOSITIONS RELATIVES AUX RETRAITES ANTICIPÉES ET AUX CARRIÈRES LONGUES

Le dispositif des carrières longues est conservé, mais réaménagé pour tenir compte du nouveau calendrier de départ.
Désormais, un niveau intermédiaire est créé pour les assurés ayant commencé à travailler avant 18 ans.
Selon l’âge de début d’activité, le départ anticipé reste possible :

  • à 58 ans pour les carrières débutées avant 16 ans ;
  • à 60 ans avant 18 ans ;
  • à 62 ans avant 20 ans ;
  • à 63 ans avant 21 ans.

Les travailleurs handicapés bénéficient également d’un régime assoupli : un départ à 55 ans demeure possible, avec suppression de la condition de durée minimale cotisée (article L.351-1-3 du Code de la sécurité sociale).
L’accès à la commission de reconnaissance du handicap a été élargi, rendant la procédure plus équitable.

Ces aménagements impliquent pour les entreprises de revoir leurs prévisions de départs, leurs coûts de remplacement et leurs outils de planification.

5. LE TRAVAIL DES SENIORS : RETRAITE PROGRESSIVE ET CUMUL EMPLOI-RETRAITE

Retraite progressive étendue

La réforme généralise la retraite progressive à l’ensemble des régimes, y compris la fonction publique et les professions libérales (décret n°2023-751 du 10 août 2023).
Tout salarié peut désormais réduire son activité à temps partiel tout en percevant une fraction de sa pension, sous réserve de remplir les conditions d’âge et de durée d’assurance.

L’article L.3123-4-1 du Code du travail impose à l’employeur de répondre à la demande du salarié dans un délai déterminé :
à défaut de réponse motivée, l’accord est réputé acquis.
Ce mécanisme facilite le passage progressif vers la retraite et renforce la protection du salarié en fin de carrière.

Cumul emploi-retraite modernisé

Depuis le 1er septembre 2023, le cumul emploi-retraite devient créateur de nouveaux droits : un retraité ayant liquidé sa pension à taux plein peut, s’il reprend une activité, cotiser à nouveau et bénéficier d’une seconde pension, sous certaines conditions.
Cette évolution incite les entreprises à recourir à l’expertise des retraités tout en leur offrant un cadre légal sécurisé.

6. LA FIN DES RÉGIMES SPÉCIAUX : UNE HARMONISATION PROGRESSIVE

La réforme supprime progressivement les régimes spéciaux pour les nouveaux recrutés, qui seront désormais affiliés au régime général (décrets n°2023-689 à n°2023-693 du 28 juillet 2023).
Sont notamment concernés :
les industries électriques et gazières, la Banque de France, la RATP, les clercs et employés de notaires.

Cette mesure vise à unifier le système et à réduire les disparités entre régimes, tout en prévoyant des adaptations spécifiques pour certaines professions, comme les artistes de la Comédie-Française ou de l’Opéra de Paris.

7. LES CONSÉQUENCES SOCIALES ET ORGANISATIONNELLES POUR LES ENTREPRISES

Les entreprises doivent désormais :

  • anticiper le maintien plus long des seniors dans l’emploi, avec les enjeux de santé et d’adaptation des postes que cela implique ;
  • renforcer la gestion des carrières et la formation continue ;
  • intégrer les nouvelles obligations de prévention de la pénibilité ;
  • ajuster les politiques de départ volontaire et de rupture conventionnelle à la contribution unique.

Cette réforme conduit à repenser le modèle RH, à mieux articuler la performance économique avec la responsabilité sociale, et à encourager le dialogue collectif autour des fins de carrière.

Conclusion

La réforme des retraites de 2023 transforme profondément la manière dont les entreprises gèrent l’âge, la carrière et la fin d’activité de leurs salariés.
En repoussant l’âge légal à 64 ans, le législateur impose une adaptation structurelle de la politique sociale et du dialogue social au sein des organisations.

Les employeurs doivent désormais investir dans une gestion préventive du vieillissement au travail, s’appuyer sur les dispositifs de reconversion et de prévention de la pénibilité, et repenser leurs stratégies de rémunération et de départ.
Cette réforme, bien qu’exigeante, peut devenir une opportunité juridique et économique : celle de transformer le vieillissement de la population active en levier de transmission, de savoir-faire et de stabilité.

En définitive, la réussite de cette transition repose sur un équilibre entre obligations légales et innovation managériale.
Les entreprises qui sauront s’approprier ces évolutions, en conciliant prévention, formation et accompagnement, construiront un modèle durable, respectueux des salariés et conforme à l’esprit du droit social français.

FAQ :

1. En quoi la contribution unique à 30 % change-t-elle la gestion des départs et ruptures ?

Avant la réforme, le régime social des indemnités différait selon le mode de rupture :

  • La rupture conventionnelle était soumise à un forfait social de 20 %,
  • Tandis que la mise à la retraite impliquait une contribution patronale de 50 % sur la part exonérée de cotisations sociales.

Cette disparité incitait de nombreux employeurs à favoriser la rupture conventionnelle pour des raisons de coût, au détriment du dispositif légal de mise à la retraite.

Depuis le 1er septembre 2023, la réforme a instauré une contribution unique de 30 % applicable à ces deux modes de rupture (article L.137-12 du Code de la sécurité sociale).
Ce taux intermédiaire vise à uniformiser les pratiques et à inciter les entreprises à conserver leurs salariés seniors plutôt qu’à chercher des solutions de séparation anticipée.

Pour l’entreprise, cela implique une nouvelle logique de gestion :

  • une neutralité financière entre les modes de rupture,
  • une réévaluation budgétaire des coûts de départ,
  • et une nécessité de renforcer les dispositifs de maintien dans l’emploi (formation, aménagement des postes, mentorat, etc.).

Cette mesure est aussi un outil de politique publique : elle alimente directement la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV), participant au financement du système de retraite.

2. Comment le compte professionnel de prévention (C2P) protège-t-il mieux les salariés ?

Le C2P est un levier essentiel de la réforme pour prévenir l’usure professionnelle. Il concerne les salariés exposés à des facteurs de risques listés par l’article D.4163-2 du Code du travail : travail de nuit, port de charges lourdes, postures pénibles, températures extrêmes, etc.

Avant la réforme, chaque période d’exposition était évaluée annuellement. Depuis le 1er septembre 2023, les salariés acquièrent désormais des points tous les trois mois d’exposition, avec un point par facteur de risque (article L.4163-7 du Code du travail).

Ces points peuvent être utilisés pour :

  • Financer une formation de reconversion professionnelle vers un emploi non exposé,
  • Bénéficier d’un passage à temps partiel payé à temps plein,
  • Ou encore partir plus tôt à la retraite, en compensant les trimestres d’exposition.

La réforme introduit également un droit à la reconversion professionnelle et un congé de reconversion assimilé à du temps de travail effectif (articles L.4163-8-4 et L.4163-8-5 du Code du travail).
Le salarié conserve ainsi ses droits à ancienneté, congés et retraite pendant cette période.

Pour les entreprises, cela suppose :

  • de mieux évaluer les risques professionnels,
  • de former les managers à la prévention de la pénibilité,
  • et de cofinancer certaines actions via le fonds d’investissement pour la prévention de l’usure professionnelle (article L.221-1-5 du Code de la sécurité sociale).

3. Qui est concerné par le report de l’âge légal à 64 ans et comment s’adapter ?

Les décrets n°2023-435 et n°2023-436 du 3 juin 2023 précisent les conditions du recul progressif de l’âge légal à 64 ans.
Sont concernés les salariés nés à partir du 1er septembre 1961, tandis que la durée d’assurance pour une retraite à taux plein atteindra 43 ans (172 trimestres) pour les générations nées à compter de 1973.

Cette évolution bouleverse la gestion des carrières dans les entreprises :

  • Les salariés seniors resteront 2 années supplémentaires en activité,
  • Les employeurs devront adapter leurs politiques de santé et de maintien dans l’emploi,
  • Et les directions RH devront repenser les plans de succession et de formation.

En parallèle, la réforme maintient l’âge d’annulation de la décote à 67 ans, ce qui prolonge la présence des salariés âgés dans les effectifs.
Pour l’entreprise, cette situation impose de renforcer la prévention des risques liés à l’âge, et de mobiliser le dialogue social pour aménager les fins de carrière (télétravail, temps partiel, tutorat, reconversion).

4. Comment la retraite progressive et le cumul emploi-retraite peuvent-ils devenir des outils RH ?

La retraite progressive, élargie à tous les régimes (salariés, fonctionnaires, professions libérales), permet à un salarié de réduire son temps de travail tout en percevant une fraction de sa pension (décret n°2023-751 du 10 août 2023).
Elle favorise une transition douce vers la retraite et permet à l’entreprise de transférer progressivement les compétences.

La réforme introduit une garantie importante :
lorsqu’un salarié éligible formule une demande de retraite progressive, le silence de l’employeur vaut accord (article L.3123-4-1 du Code du travail).
Un refus ne peut être opposé que pour motif économique légitime, par exemple en cas d’incompatibilité avec les besoins de l’entreprise.

Le cumul emploi-retraite, quant à lui, devient plus attractif : un retraité ayant liquidé sa pension à taux plein peut, s’il reprend une activité, ouvrir de nouveaux droits à retraite et percevoir une seconde pension.
C’est une innovation majeure qui permet aux entreprises de :

  • Recruter ou conserver des profils expérimentés,
  • Former les jeunes collaborateurs,
  • Et optimiser la flexibilité du travail des seniors.

Ces dispositifs conjuguent souplesse, maintien des savoirs et réduction des coûts liés au remplacement de compétences clés.

5. Comment anticiper les départs anticipés et les situations de carrière longue ?

Le dispositif des carrières longues (article L.351-1-1 du Code de la sécurité sociale) est maintenu mais ajusté.
Il autorise un départ anticipé selon l’âge d’entrée dans la vie active :

  • 58 ans pour un début avant 16 ans,
  • 60 ans avant 18 ans,
  • 62 ans avant 20 ans,
  • 63 ans avant 21 ans.

Pour les travailleurs handicapés (article L.351-1-3 CSS), le départ à 55 ans reste possible, avec simplification des conditions : la double exigence de durée cotisée et validée est supprimée.
Les personnes reconnues inaptes, invalides ou titulaires d’une allocation adulte handicapé (AAH) bénéficient également d’un régime de départ anticipé à taux plein dès 62 ans (circulaire CNAV du 20 novembre 2023).

Pour les employeurs, ces ajustements entraînent :

  • un besoin de prévision fine des départs,
  • une gestion des coûts d’indemnités de fin de carrière,
  • et la mise en place d’outils RH adaptés (entretiens de fin de carrière, mobilité interne, tutorat).

L’enjeu est de concilier les impératifs économiques avec le respect du droit à la retraite anticipée et le maintien de la continuité opérationnelle.

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