La rupture conventionnelle, forme hybride de séparation entre employeur et salarié, s’est imposée depuis son introduction comme une solution consensuelle aux conflits de fin de contrat.
Son attrait repose précisément sur sa simplicité procédurale et sa sécurité juridique. Mais que devient l’indemnité convenue lorsque, entre l’homologation de la convention et la date effective de départ, l’employeur engage un licenciement pour faute grave ?
La Cour de cassation, dans un arrêt rendu le 25 juin 2025 (n° 24-12.096), clarifie cette question, tranchant dans le sens d’une dissociation des effets du licenciement et de ceux de la convention. Ce faisant, elle redéfinit les contours de la créance née d’un consentement déjà formalisé.
La rupture conventionnelle repose sur un mécanisme autonome, régi par les articles L. 1237-11 à L. 1237-16 du Code du travail. Elle suppose un double accord : l’un sur le principe de la rupture, l’autre sur ses modalités, notamment la date de départ et l’indemnité spécifique due au salarié. Cette indemnité ne peut être inférieure au montant légal prévu à l’article L. 1234-9.
Ce processus repose sur la liberté contractuelle, mais il est encadré par une double protection : un délai de rétractation et une homologation administrative obligatoire.
L’arrêt commenté révèle un point aveugle du dispositif : la zone intermédiaire entre l’issue du délai de rétractation et la date fixée de rupture.
Que se passe-t-il si, dans cet interstice, l’employeur découvre un comportement fautif du salarié de nature à justifier un licenciement immédiat ? Peut-il y voir une cause de caducité ou d’inexécution de la convention ?
Dans l’affaire portée devant la Cour, l’employeur et le salarié avaient conclu une rupture conventionnelle, fixant une date de départ différée. Or, avant cette échéance, des faits graves ont été portés à la connaissance de l’employeur, entraînant une procédure de licenciement. L’entreprise considérait que ce licenciement rompait le lien contractuel avant son terme et rendait ainsi sans objet l’indemnité convenue.
La cour d’appel lui donna raison, estimant que le comportement du salarié (des faits de harcèlement) rendait impossible son maintien dans l’entreprise, donc la poursuite du calendrier prévu.
La Cour de cassation adopte une lecture radicalement différente.
Elle affirme que la convention, une fois homologuée, produit des effets de droit indépendamment de son exécution différée. L’indemnité prévue constitue une créance acquise, même si elle n’est exigible qu’à la date convenue. Dès lors, le licenciement pour faute grave peut certes intervenir et rompre le contrat de manière anticipée, mais il ne fait pas obstacle à l’exécution de l’obligation indemnitaire née de la convention.
Ce raisonnement consacre une approche duale du contrat de travail en phase terminale : le licenciement a un effet extinctif sur l’exécution future du contrat, mais il n’annule pas rétroactivement les engagements librement consentis dans un acte antérieur. La rupture conventionnelle conserve ainsi son efficacité juridique, sauf rétractation ou annulation judiciaire de la convention elle-même.
En fondant sa décision sur les articles L. 1237-11, L. 1237-13 et L. 1237-14 du Code du travail, la Haute juridiction confirme que la rupture conventionnelle est un mécanisme contractuel doté de sa propre logique interne.
Ce mécanisme ne se confond ni avec le licenciement, ni avec la démission. Il n’en partage ni les causes, ni les effets. Il s'agit d’un accord hybride, irréductible aux formes traditionnelles de rupture du contrat de travail.
La Cour en déduit que le licenciement pour faute grave, même régulier et justifié, n’emporte pas l’annulation automatique des obligations nées d’une convention homologuée. La faute grave ne devient donc pas un motif exonératoire postérieur à l’engagement contractuel. Elle ne rétroagit pas sur les effets déjà cristallisés par l’homologation. Ce faisant, la Cour réaffirme un principe central en droit des obligations : l’intangibilité du contrat formé, sauf cause spécifique de nullité ou de rétractation légale.
La portée de l’arrêt dépasse le seul cas d’espèce.
Il opère une mise au point sur l’articulation entre pouvoir disciplinaire de l’employeur et force obligatoire de l’accord homologué. En validant le versement de l’indemnité conventionnelle même après un licenciement pour faute grave, la Cour rappelle que le droit disciplinaire ne confère pas à l’employeur un pouvoir d’annulation unilatérale de la convention.
Ce rééquilibrage est d’autant plus important que certaines entreprises pouvaient être tentées d’instrumentaliser la découverte tardive de fautes — parfois anciennes — pour revenir sur un accord signé.
Le risque d’une stratégie d’éviction déguisée est ainsi désamorcé. À l’inverse, cela n’empêche nullement l’exercice du pouvoir disciplinaire en tant que tel : l’employeur conserve le droit de rompre de manière anticipée, mais sans se soustraire aux engagements déjà pris.
En garantissant l’indemnité convenue, même en cas de licenciement, la Cour de cassation protège donc la finalité économique de la rupture conventionnelle : une sécurisation de la séparation dans un climat pacifié. Le salarié est assuré de percevoir l’indemnité convenue, ce qui permet d’éviter les ruptures brutales et imprévisibles. L’employeur, quant à lui, peut toujours sanctionner des fautes graves, mais à la condition de ne pas remettre en cause un engagement déjà cristallisé.
L’enseignement de l’arrêt incite à une vigilance accrue dans la gestion de la période entre l’homologation et la date de rupture prévue. C’est dans ce laps de temps que peuvent émerger des tensions, des dénonciations ou des conflits latents.
Si l’employeur découvre des faits potentiellement graves, il lui appartient de mesurer les risques juridiques associés à une remise en cause de l’exécution du contrat. Mais il ne saurait, sauf manœuvre frauduleuse ou vice du consentement, évacuer la portée de la convention homologuée.
Une solution préventive peut résider dans la fixation d’une date de rupture plus rapprochée, afin de limiter l’exposition à des événements postérieurs. Une autre est de s’assurer, avant signature, de l’absence de contentieux ou d’incertitudes susceptibles de fragiliser l’accord.
La période intermédiaire, souvent négligée, devient désormais une zone de vigilance stratégique, tant pour les employeurs que pour les conseils en droit social.
En consacrant le droit du salarié à percevoir l’indemnité spécifique prévue dans une rupture conventionnelle homologuée, même en cas de licenciement pour faute grave intervenu avant la date d’effet de la convention, la Cour de cassation affirme la force obligatoire des conventions validées.
Elle opère ainsi une clarification attendue, tout en préservant l’équilibre entre les droits du salarié et le pouvoir disciplinaire de l’employeur. Cette décision offre un socle juridique stable pour sécuriser les pratiques de rupture négociée et renforcer la prévisibilité dans un contexte où la tentation de la résiliation unilatérale pouvait fragiliser le consentement réciproque.
Oui, le licenciement pour faute grave reste possible entre l’homologation de la rupture conventionnelle et la date prévue de rupture du contrat. Il doit cependant reposer sur des faits graves survenus ou révélés durant cette période. Le licenciement a alors pour effet de rompre le contrat avant la date convenue, sans toutefois remettre en cause la validité de la convention homologuée.
Non. Selon la Cour de cassation (25 juin 2025, n° 24-12.096), l’indemnité spécifique prévue dans la rupture conventionnelle est acquise dès l’homologation. Le licenciement pour faute grave ne fait que modifier la date de fin du contrat ; il n’a pas d’effet rétroactif sur l’indemnité convenue, qui reste due.
Non, sauf en cas de vice du consentement (erreur, dol, violence) ou de fraude avérée, la rupture conventionnelle homologuée reste valable. Une faute découverte après l’homologation ne constitue pas en soi un motif d’annulation, mais elle peut justifier un licenciement anticipé, sans affecter les engagements financiers nés de la convention.