Un salarié qui tombe malade au beau milieu de ses vacances ne devrait pas « perdre » les journées déjà posées.
C’est, en substance, la règle que rappelle la jurisprudence européenne depuis plus de quinze ans – et que la Commission européenne vient d’enjoindre à la France de transposer pleinement.
Le 18 juin 2025, Bruxelles a adressé à l’État français une mise en demeure (procédure d’infraction n° INFR(2025)4012) pour manquement à la directive 2003/88/CE relative au temps de travail : la législation nationale ne garantit pas, à ce jour, un report automatique des congés coïncidant avec un arrêt maladie.
Pour les justiciables, la solution européenne est pourtant déjà applicable devant les juges français. Voici, en détail, ce qu’il faut retenir.
Le droit au congé annuel payé est garanti par l’article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003. Ce texte prévoit que :
« Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie d’un congé annuel payé d’au moins quatre semaines ».
Ce droit est irréductible et vise à garantir à chaque travailleur une période de repos et de récupération, distincte de l’arrêt pour raisons de santé.
Dans un arrêt fondamental du 20 janvier 2009, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a clairement différencié les objectifs des deux types de congés :
Affaire Schultz-Hoff (C-350/06 et C-520/06)
« Le congé annuel vise à permettre au salarié de se reposer et de profiter d’un temps de loisirs, tandis que le congé maladie vise à permettre sa guérison. »
Conséquence directe : un salarié malade pendant ses congés payés doit pouvoir en reporter les jours pour que son droit au repos soit réellement effectif.
Dans l’affaire F.E.T. SA (CJUE, C-214/16, 2018), la Cour a été encore plus claire :
« Toute règle nationale qui empêche le report de congés en cas de maladie est incompatible avec le droit de l’Union européenne. »
Peu importe que la maladie survienne avant ou pendant les congés payés : si le salarié est en incapacité de travail médicalement constatée, alors les jours d’arrêt ne peuvent être décomptés du solde de congés payés.
Le 18 juin 2025, la Commission européenne a adressé une mise en demeure à la France (procédure d’infraction INFR(2025)4012). En cause : une législation nationale non conforme à la directive européenne.
Les articles L.3141-1 et suivants du Code du travail français ne prévoient aucune obligation explicite de report des jours de congés en cas de maladie. De plus, la jurisprudence ancienne de la Cour de cassation (Soc., 23 novembre 1986) continue de faire obstacle à l’application uniforme du droit de l’Union.
La Commission estime que cela constitue une violation du droit au repos effectif, protégé au niveau européen, et une atteinte à la santé et à la sécurité du travailleur.
Même sans modification du Code du travail, un salarié peut déjà invoquer la directive 2003/88/CE et la jurisprudence CJUE devant le conseil de prud’hommes pour obtenir le report de ses jours. Plusieurs juridictions l’ont fait :
Trib. jud. Paris, 4 juin 2024 : « La maladie interrompt le congé ; les jours non consommés sont reportés. »
Depuis le décret n° 2024‑427 du 31 janvier 2024 (art. D.3141‑5‑1 C. trav.), l’employeur doit, dans le mois suivant la reprise, notifier au salarié :
Le gouvernement devra choisir entre :
La négociation sociale sera cruciale pour sécuriser les PME : clarifier les formalités, encadrer les délais et éviter les contentieux massifs.
Un certificat médical étranger est-il valable ?
Oui, s’il est rédigé en langue compréhensible et indique clairement les dates d’incapacité. En pratique, une traduction peut être demandée.
Et si l’employeur refuse malgré tout ?
Le salarié peut demander des dommages-intérêts pour violation d’un droit fondamental à la santé (art. L.4121‑1 C. trav.) et, le cas échéant, un rappel de salaire si des jours ont été indûment déduits.
Existe‑t‑il un délai de report maximal ?
La CJUE admet que les États fixent un plafond de report (souvent 15 mois) pour éviter l’accumulation indéfinie. En l’absence de texte français, le juge applique la solution la plus favorable : report jusqu’à la prochaine période légale, voire plus si l’employeur n’a pas informé le salarié.
Le message est net : un arrêt maladie interrompt les congés payés. Le salarié a droit de récupérer ses journées, principe déjà opposable devant les prud’hommes grâce au droit européen. L’employeur qui refuse s’expose non seulement à un rappel de congés mais aussi à des dommages‑intérêts et, demain, à un risque de sanction administrative si la CNIL ou l’Inspection du travail y voient un manquement à la santé et sécurité.
Dans l’attente d’une réforme française annoncée pour 2026, employeurs et salariés ont tout intérêt à sécuriser leurs pratiques : déclarer l’arrêt dès le premier jour, tracer la demande de report, respecter les délais de réponse et, en cas de litige, se fonder sur la jurisprudence CJUE. La santé ne doit jamais rogner le droit au repos : c’est désormais un principe de droit effectif, et bientôt – enfin – une obligation nationale écrite noir sur blanc.