Le droit des étrangers connaît de constantes évolutions, en particulier lorsqu’il s’agit de régularisation par le travail. La circulaire du 5 février 2024 adressée par le ministère de l’Intérieur aux préfets de France vient préciser les modalités de l’admission au séjour des ressortissants étrangers justifiant d’une expérience professionnelle dans les métiers en tension.
Ce dispositif s’inscrit dans le cadre prévu par l’article L.435-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), qui permet déjà d’obtenir un titre de séjour « salarié » ou « travailleur temporaire » sous conditions. La nouveauté réside dans l’encadrement préfectoral de ces demandes, l’accent mis sur les secteurs professionnels en manque de main-d’œuvre, et l’articulation avec les règles de régularisation existantes.
L’objectif affiché est double : répondre aux besoins économiques des entreprises françaises et offrir une perspective de stabilisation aux travailleurs étrangers insérés dans le tissu professionnel. Toutefois, l’accès au séjour reste encadré par des conditions strictes : ancienneté du séjour, expérience professionnelle démontrée, emploi actuel dans un métier en tension, mais aussi résidence stable, intégration sociale et absence de condamnations pénales.
Les préfectures sont tenues de recevoir toute demande d’admission exceptionnelle au séjour fondée sur un emploi dans un métier en tension, même si l’étranger a déjà fait l’objet d’un refus de séjour assorti d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF).
Les dépôts collectifs sont exclus : chaque demande doit être individuelle. Si le dossier est complet, un récépissé est remis, autorisant l’étranger à travailler durant l’instruction. Ce mécanisme reprend les principes posés par la circulaire du 28 novembre 2012 (n° NOR INTK1229185C), qui reste la base de la régularisation par le travail.
L’article L.435-4 du CESEDA impose la preuve d’une activité salariée d’au moins 12 mois (consécutifs ou non) sur les 24 derniers mois, dans un métier figurant sur la liste des métiers en tension.
L’étranger doit également occuper au jour de la décision préfectorale un emploi dans ce même type de métier.
Les bulletins de salaire sont l’élément de preuve privilégié, à condition de justifier au moins un mi-temps mensuel. En cas de travail temporaire, les préfectures peuvent exiger les contrats d’intérim afin d’identifier la nature exacte des missions.
Certaines expériences sont expressément exclues :
Un minimum de 3 années de résidence ininterrompue en France est exigé. Cette condition vise à s’assurer que le demandeur a un ancrage durable sur le territoire.
Conformément à l’article L.412-7 du CESEDA, introduit par la loi relative au Contrat d’intégration républicaine (CIAI), le demandeur doit démontrer :
L’étranger ne doit pas avoir de condamnation inscrite au bulletin n°2 de son casier judiciaire. Toute incapacité ou déchéance mentionnée entraîne un refus d’admission.
Dans l’attente d’un module informatique dédié, les préfectures délivrent une autorisation de travail liée à la validité du titre de séjour accordé.
Cette autorisation est limitée aux métiers figurant dans la liste des métiers en tension. Si l’étranger change d’employeur ou signe un nouveau contrat, il conserve l’autorisation tant que le nouvel emploi relève d’un métier listé. En revanche, pour exercer dans un autre secteur, une nouvelle demande d’autorisation de travail doit être déposée avant la signature du contrat.
Bien que l’accord franco-algérien du 27 décembre 1968 fixe des règles propres aux Algériens, les préfets disposent d’un pouvoir discrétionnaire leur permettant d’accorder un titre de séjour « salarié » ou « travailleur temporaire » en dehors du cadre strict du CESEDA (CE, avis, 22 mars 2010, n° 333679).
Les accords bilatéraux – franco-marocain du 9 octobre 1987 et franco-tunisien du 17 mars 1988 – prévoient également des règles spécifiques. Toutefois, les préfets peuvent, au titre de leur pouvoir d’appréciation, délivrer une carte de séjour « salarié » ou « travailleur temporaire » selon les conditions de la circulaire de 2024 (CE, avis, 2 mars 2012, n° 355208).
L’admission exceptionnelle au séjour par l’expérience professionnelle dans les métiers en tension s’impose comme un dispositif inédit qui articule à la fois les impératifs économiques de la France et les exigences juridiques en matière de droit des étrangers. Elle vise à offrir une réponse pragmatique aux besoins de main-d’œuvre dans des secteurs en pénurie, tout en encadrant strictement les conditions d’accès à un titre de séjour.
La circulaire du 5 février 2024 marque une évolution significative de la pratique préfectorale : désormais, la régularisation par le travail ne se limite pas à une appréciation discrétionnaire de l’administration mais s’appuie sur des critères clairs et codifiés. Les références au CESEDA – notamment aux articles L.435-1 et L.435-4 – garantissent une harmonisation des pratiques et une sécurité juridique accrue pour les demandeurs.
Toutefois, cette régularisation n’est pas ouverte à tous : elle suppose une résidence stable d’au moins trois ans, une expérience salariée avérée d’un an dans un métier en tension, la preuve d’une intégration sociale et professionnelle et l’absence de condamnations pénales. Ces conditions traduisent la volonté du législateur de réserver ce dispositif à des personnes véritablement insérées dans la société française, tout en préservant l’ordre public.
L’importance du rôle des préfectures ne doit pas être minimisée. Elles conservent un pouvoir d’appréciation considérable, notamment dans le cas particulier des ressortissants algériens, marocains et tunisiens, régis par des accords bilatéraux. Cette marge d’appréciation reflète la nature hybride du dispositif, à mi-chemin entre la régularisation exceptionnelle et l’application stricte des textes.
Pour les étrangers concernés, cette procédure représente une opportunité majeure : elle peut déboucher sur la délivrance d’un titre de séjour salarié ou travailleur temporaire, accompagné d’une autorisation de travail sécurisée. Pour les employeurs, elle permet de fidéliser une main-d’œuvre déjà formée et investie dans des métiers où les recrutements sont difficiles.
Au-delà des aspects techniques, cette réforme traduit un équilibre entre humanité et pragmatisme économique : reconnaître l’apport des travailleurs étrangers déjà intégrés tout en encadrant juridiquement les conditions d’admission au séjour. En cela, elle illustre la manière dont le droit des étrangers continue d’évoluer sous l’effet des réalités sociales, économiques et politiques contemporaines.
1. Qu’est-ce que l’admission au séjour par les métiers en tension ?
L’admission exceptionnelle au séjour par le travail est un mécanisme permettant aux étrangers en situation irrégulière mais occupant un emploi dans un secteur en forte demande de main-d’œuvre d’obtenir un titre de séjour salarié ou travailleur temporaire. Elle est encadrée par les articles L.435-1 et L.435-4 du CESEDA et par la circulaire du 5 février 2024. Ce dispositif, ouvert jusqu’au 31 décembre 2026, vise à répondre à la pénurie dans certains secteurs (restauration, bâtiment, aide à la personne, transport, etc.) tout en régularisant des travailleurs déjà insérés dans le tissu économique.
2. Quels critères faut-il remplir pour bénéficier de ce dispositif ?
Plusieurs conditions cumulatives doivent être respectées :
3. Quels documents faut-il fournir à la préfecture ?
Le dossier doit être solide et complet. Les pièces les plus fréquemment demandées sont :
À noter que les expériences effectuées sous couvert d’un titre de séjour étudiant, travailleur saisonnier ou dans le cadre d’une demande d’asile ne sont pas prises en compte. De même, les activités exercées comme auto-entrepreneur sont exclues, sauf requalification judiciaire en contrat de travail.
4. Quel est le rôle de l’employeur dans la demande ?
L’employeur joue un rôle déterminant dans la régularisation. Il doit :
L’absence de soutien de l’employeur compromet fortement la demande, car la régularisation repose sur la réalité d’un contrat de travail actif. Toutefois, la préfecture peut apprécier certains cas de manière plus souple si l’étranger produit d’autres preuves tangibles de son activité professionnelle (relevés de salaire, missions d’intérim identifiées).
5. Les ressortissants algériens, marocains et tunisiens peuvent-ils en bénéficier ?
Ces ressortissants relèvent de conventions bilatérales :
Ces textes prévoient des règles spécifiques d’accès au séjour. Toutefois, le Conseil d’État a confirmé que les préfets disposent d’un pouvoir d’appréciation discrétionnaire leur permettant d’accorder une carte de séjour salarié ou travailleur temporaire à ces ressortissants, même en dehors du cadre strict des accords (CE, avis, 22 mars 2010, n°333679 ; CE, avis, 2 mars 2012, n°355208).
En pratique, un ressortissant algérien, marocain ou tunisien peut donc parfaitement être régularisé sur le fondement de la circulaire du 5 février 2024, dès lors qu’il remplit les conditions de résidence, d’expérience professionnelle et d’intégration.