Travail

Tests salivaires au travail : règles, droits et sanctions expliqués

Jordan Alvarez
Editeur
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Stupéfiants en entreprise : que dit le droit sur les tests salivaires ?

La consommation de stupéfiants n’épargne aucun pan de la société, et le monde du travail se retrouve de plus en plus confronté à ses répercussions. Le développement d’addictions en milieu professionnel, qu’il s’agisse de cannabis, cocaïne, amphétamines ou drogues de synthèse, pose des enjeux sanitaires, sécuritaires et juridiques considérables.

La recrudescence de situations dans lesquelles des salariés se présentent à leur poste en état d’ébriété ou sous l’emprise de substances illicites contraint les employeurs à mettre en œuvre des moyens de contrôle adaptés, dans le strict respect du droit du travail et des libertés fondamentales des salariés.

Parmi les dispositifs de prévention disponibles, le test salivaire s’impose comme un outil de détection rapide et non-invasif. Pourtant, il soulève de nombreuses questions : l’employeur peut-il librement y recourir ? Quelles sont les garanties encadrant son utilisation ? Le salarié peut-il s’y opposer ? Quels risques juridiques l’entreprise encourt en cas de procédure non conforme ? Autant d’interrogations qui témoignent de la délicatesse du sujet, à la croisée des impératifs de sécurité et du respect de la vie privée.

L’encadrement juridique de ces pratiques est rigoureux, notamment à travers les dispositions du Code du travail, la jurisprudence du Conseil d’État et de la Cour de cassation, mais également les obligations liées à l’actualisation du Document Unique d’Évaluation des Risques Professionnels (DUERP). Ce cadre impose à l’employeur une vigilance constante, tant sur la licéité de la démarche que sur sa proportionnalité et son intégration dans le règlement intérieur.

Dans un contexte où la politique de prévention des risques professionnels est appelée à jouer un rôle central, cet article vise à éclairer les employeurs comme les salariés sur les conditions légales du recours aux tests salivaires en entreprise, tout en exposant les conséquences disciplinaires, les limites légales et les bonnes pratiques de prévention.

Sommaire

  1. Introduction
  2. Est-il légal pour l’employeur de procéder à un test salivaire ?
  3. Dans quelles conditions les tests sont-ils autorisés ?
  4. Le salarié peut-il refuser un test salivaire ?
  5. Qui est autorisé à pratiquer un test salivaire en entreprise ?
  6. Comment réagir face à un salarié sous l’emprise de drogues ?
  7. Que risque un salarié qui consomme de la drogue en dehors du travail ?
  8. Prévenir les addictions : le rôle du DUERP
  9. Conclusion

Est-il légal pour l’employeur de procéder à des tests salivaires ?

L’employeur est tenu à une obligation de sécurité à l’égard de ses salariés, tant sur le plan physique que mental. Cette obligation est consacrée par l’article L4121-1 du Code du travail, lequel impose à l’employeur de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité des travailleurs.

Dans le cadre de ce devoir, le recours aux tests salivaires peut être justifié pour prévenir les risques liés à l’usage de stupéfiants sur le lieu de travail. Le Conseil d’État, dans une décision du 5 décembre 2016 (n°394178), a confirmé la possibilité pour l’employeur de recourir à ces tests lorsqu’ils sont justifiés par la nature du poste occupé et proportionnés au but poursuivi.

À quelles conditions les tests salivaires sont-ils autorisés ?

Le test salivaire ne peut être mis en œuvre que dans un cadre strictement encadré par la loi :

  • Il doit cibler exclusivement les postes dits "hypersensibles drogue et alcool", c’est-à-dire ceux où une consommation de substances psychoactives met en péril la sécurité (ex. : conduite, hauteur, machines dangereuses).
  • Ces postes doivent être identifiés en concertation avec le médecin du travail et le Comité Social et Économique (CSE).
  • La mesure doit être prévue dans le règlement intérieur de l’entreprise, comme l’exigent les articles L1321-1 et L1321-3 du Code du travail. À défaut, une note de service peut en faire office dans les petites structures non soumises à l’obligation de rédiger un règlement intérieur.

En outre, l’usage du test ne peut être arbitraire. Il suppose des indices sérieux et objectifs (ex. : état de nervosité, comportements incohérents, signalement par des collègues, etc.) permettant de suspecter une consommation récente.

Le salarié peut-il refuser un test salivaire ?

Le consentement du salarié est requis. Nul ne peut être contraint à se soumettre à un test sans avoir été informé et avoir pu faire valoir son refus. Toutefois, ce refus peut constituer une faute disciplinaire, voire justifier un licenciement pour cause réelle et sérieuse, à condition que le test ait été régulièrement prévu et mis en œuvre.

En cas de résultat positif, le salarié doit pouvoir demander une contre-expertise, à la charge de l’employeur. Cette garantie, bien que non expressément prévue par la loi, découle du principe de loyauté de la preuve et du respect des droits de la défense.

Qui peut pratiquer un test salivaire en entreprise ?

Le test salivaire n’est pas un examen de biologie médicale au sens de l’article L6211-1 du Code de la santé publique. Par conséquent, il peut être pratiqué par un supérieur hiérarchique ayant reçu une formation adéquate, sans qu’il soit nécessaire de recourir à un médecin.

L’intervention du médecin du travail n’est donc pas obligatoire, sauf si le test est intégré dans une démarche d’évaluation de l’aptitude médicale au poste. En tout état de cause, les résultats du test, bien que non couverts par le secret médical, doivent rester confidentiels et ne peuvent être divulgués, en vertu de l’obligation de discrétion incombant à l’employeur.

Que faire lorsqu’un salarié se présente sous l’emprise de stupéfiants ?

La démarche de l’employeur doit être progressive et proportionnée :

  1. Observation des signes : comportement anormal, pupilles dilatées, crises d’angoisse, etc.
  2. Éloignement du poste : pour prévenir tout risque d’accident.
  3. Mise à l’écart temporaire : dans une salle sécurisée ou un bureau isolé, jusqu’au retour à la normale.
  4. Test salivaire si les conditions sont réunies : poste à risque, procédure prévue, etc.
  5. Appel à un tiers ou aux secours si nécessaire : notamment si le salarié présente un danger pour lui-même ou autrui.
  6. Sanction disciplinaire si les faits sont avérés : blâme, mise à pied, voire licenciement.

L’ensemble de ces mesures doit être anticipé dans le règlement intérieur, lequel constitue un cadre juridique protecteur pour l’entreprise et le salarié.

La consommation de drogue en dehors du travail est-elle sanctionnable ?

La jurisprudence distingue deux cas :

Consommation sans conséquence sur le travail

Un fait tiré de la vie personnelle ne peut justifier un licenciement que s’il constitue un manquement à une obligation du contrat de travail. Autrement dit, si la consommation de stupéfiants en dehors du temps de travail n’a aucune incidence sur le comportement professionnel du salarié, la sanction serait dépourvue de cause réelle et sérieuse.

Cette position est confirmée par la Cour de cassation dans un arrêt du 25 septembre 2024 (n°22-20672), relatif à un salarié de la RATP dont le licenciement a été jugé injustifié, bien que fondé sur des faits réels. La haute juridiction a considéré que la vie personnelle ne relève pas automatiquement de l’intimité de la vie privée, et que seul un manquement contractuel ou une incidence sur l’activité professionnelle peut justifier une sanction.

Consommation ayant une incidence sur l’activité

En revanche, si la consommation a un impact sur le travail (ex. : retards, comportements agressifs, erreurs répétées), elle devient sanctionnable, dans les conditions classiques du droit disciplinaire.

Le DUERP : un levier de prévention indispensable

L’approche préventive est aujourd’hui essentielle. L’employeur est invité à intégrer le risque d’addiction dans le Document Unique d’Évaluation des Risques Professionnels (DUERP), conformément à l’article L4121-3 du Code du travail.

Cela implique :

  • d’identifier les facteurs de risque favorisant les addictions (stress, surcharge, isolement) ;
  • de mettre en œuvre des actions correctives (formation, communication, ateliers) ;
  • d’associer les acteurs internes et externes (CSE, médecin du travail, services de prévention) ;
  • d’accompagner les salariés en difficulté, sans les stigmatiser.

L’inclusion des problématiques d’addiction dans la politique de santé et sécurité au travail permet non seulement de réduire les risques juridiques pour l’employeur, mais aussi de favoriser un climat de confiance dans l’entreprise.

Conclusion

La mise en place de tests salivaires en entreprise pour détecter la consommation de drogues s’inscrit dans une logique de préservation de la sécurité collective, mais ne saurait s’affranchir des garanties fondamentales du droit du travail. L’employeur, dépositaire du pouvoir de direction et du devoir de protection, doit agir avec mesure, transparence et rigueur juridique.

Ainsi, le recours à ces tests ne peut être envisagé sans avoir, au préalable, identifié les postes à risque, inscrit la procédure dans le règlement intérieur, formé les supérieurs hiérarchiques compétents, et informé les salariés de leurs droits, notamment celui de refuser le test ou de demander une contre-expertise. À défaut, l’entreprise s’expose à des contentieux prud’homaux, voire à des sanctions civiles en cas d’atteinte aux libertés individuelles.

Par ailleurs, il serait illusoire de considérer le test salivaire comme une solution autonome. Il doit s’insérer dans une politique globale de prévention des addictions, articulée autour du DUERP, de la formation des équipes, et de l’accompagnement des salariés en difficulté. Seule une approche systémique et bienveillante permettra de concilier les impératifs de sécurité avec le respect des droits de chacun.

Enfin, l’équilibre entre contrôle et prévention doit rester au cœur de la démarche de l’employeur. La sécurité en entreprise ne peut être efficacement assurée qu’en s’appuyant sur un cadre juridique solide, des pratiques internes claires et une collaboration étroite avec les instances représentatives du personnel.

FAQ

1. L’employeur peut-il imposer un test salivaire à tous les salariés ?

Non, l’employeur ne peut pas imposer un test salivaire à l’ensemble des salariés de l’entreprise. Le recours à ce type de dépistage est strictement encadré par le principe de proportionnalité, confirmé par le Conseil d’État dans sa décision du 5 décembre 2016 (n°394178).

Seuls les salariés affectés à des postes à risques dits "hypersensibles drogue et alcool" peuvent faire l’objet de ce contrôle. Ces postes sont ceux dont l’exercice, sous l’emprise de stupéfiants, mettrait gravement en danger la sécurité du salarié lui-même ou celle des tiers (ex. : conduite d’engins, travail en hauteur, manipulation de produits dangereux).

Il est donc strictement interdit d’instaurer un dépistage systématique, généralisé ou discriminatoire, sous peine de porter une atteinte illégale à la vie privée des salariés.

2. Le test salivaire au travail doit-il obligatoirement figurer dans le règlement intérieur ?

Oui, le recours au test salivaire doit impérativement être prévu par le règlement intérieur de l’entreprise, conformément aux articles L1321-1 et L1321-3 du Code du travail.

Le règlement doit notamment préciser :

  • les catégories de postes concernées ;
  • les modalités de réalisation du test (qui l’effectue, dans quelles circonstances, avec quels moyens) ;
  • les garanties offertes aux salariés (droit à l’information, possibilité de refus, droit à une contre-expertise) ;
  • les conséquences en cas de refus ou de test positif.

En l’absence de règlement intérieur, une note de service peut valablement encadrer la procédure dans les entreprises de moins de 50 salariés non soumises à l’obligation d’en établir un.

À défaut de formalisme, tout test pratiqué pourra être jugé illicite et inopposable au salarié, rendant toute sanction disciplinaire fragile juridiquement.

3. Le salarié a-t-il le droit de refuser un test salivaire au travail ?

Oui, mais ce refus peut avoir des conséquences. En principe, un salarié ne peut être contraint à subir un test salivaire, car cela constitue une atteinte au respect de sa vie privée et à son intégrité corporelle, protégés par le Code civil (articles 9 et 16-1) et la jurisprudence constante.

Cependant, ce droit au refus n’est pas absolu. Si le test est légalement encadré, prévu dans le règlement intérieur, et si le poste concerné est reconnu à risque, le refus injustifié peut être interprété comme une faute. Il appartient alors à l’employeur d’engager, au cas par cas, une procédure disciplinaire pouvant aller jusqu’au licenciement pour faute simple ou grave, selon les circonstances.

En parallèle, le salarié dispose du droit de demander une contre-expertise médicale, notamment en cas de test positif. Cette contre-analyse est à la charge de l’employeur, et doit être réalisée dans un délai raisonnable pour garantir l’objectivité du résultat.

4. Qui est habilité à pratiquer un test salivaire de dépistage de stupéfiants en entreprise ?

Le test salivaire peut être réalisé par un supérieur hiérarchique, dès lors que celui-ci a reçu une formation spécifique sur la procédure et la lecture des résultats. En effet, le test salivaire n’a pas le statut d’un acte de biologie médicale, contrairement au test urinaire ou à une prise de sang.

Cette distinction repose sur l’article L6211-1 du Code de la santé publique, qui définit les examens de biologie médicale comme devant être réalisés par un biologiste médical ou sous sa responsabilité. Le test salivaire étant un test de terrain, à lecture rapide, il est exclu de cette catégorie, comme le confirme également l’article L6211-7.

Par conséquent :

  • le recours au médecin du travail n’est pas requis pour administrer ou encadrer ce test ;
  • les résultats du test salivaire ne sont pas couverts par le secret médical, mais demeurent confidentiels : l’employeur et tout supérieur impliqué sont tenus au secret professionnel sur ces données.

5. Peut-on licencier un salarié pour consommation de drogue en dehors du temps de travail ?

Pas automatiquement. Un fait relevant de la vie personnelle du salarié ne peut justifier une sanction disciplinaire que s’il a un impact direct sur la relation de travail, en lien avec les obligations contractuelles.

Autrement dit, un salarié ne peut être licencié pour simple possession ou usage privé de stupéfiants en dehors du temps et du lieu de travail, sauf à démontrer que ce comportement :

  • porte atteinte à l’image ou au bon fonctionnement de l’entreprise ;
  • ou qu’il entraîne une défaillance professionnelle identifiable (ex. : comportements violents, retards, incidents répétés).

Cette position est illustrée par un arrêt de la Cour de cassation du 25 septembre 2024 (n°22-20672), dans lequel le licenciement d’un salarié de la RATP, fondé sur un signalement de police pour détention de cannabis hors service, a été jugé sans cause réelle et sérieuse, en l’absence d’incidence sur son activité professionnelle.

La frontière entre vie privée et vie professionnelle reste donc délicate à tracer, et chaque situation doit être analysée au cas par cas.

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