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Travail en astreinte : ce que dit le Code du travail en 2025

Jordan Alvarez
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Astreinte au travail : droits du salarié et obligations de l’employeur

Dans un monde professionnel de plus en plus régi par la flexibilité du temps de travail, la notion d’astreinte occupe une place stratégique au sein des entreprises et des administrations. Derrière ce terme technique se cache une réalité bien connue de nombreux salariés, notamment dans les secteurs de l’industrie, des services informatiques, du bâtiment, des transports, ou encore de la santé : être joignable et prêt à intervenir en dehors des horaires habituels, sans pour autant être physiquement présent sur le lieu de travail.

Mais cette disponibilité partielle, qui empiète sur la vie personnelle, est strictement encadrée par le Code du travail. La loi, la jurisprudence et les conventions collectives imposent des conditions rigoureuses en matière d’information préalable, de durée de repos, de compensation financière ou en temps, et de protection des libertés individuelles. Ignorer ou mésestimer ces règles expose l’employeur à des sanctions prud’homales et prive le salarié de droits essentiels.

Dès lors, il est fondamental pour les employeurs comme pour les salariés de maîtriser le régime juridique des astreintes, tant dans leur mise en œuvre que dans leur rémunération. Qui peut être soumis à une astreinte ? Comment est-elle organisée ? Est-elle obligatoire ? Quelle est sa contrepartie ? Quelles sont les limites légales imposées à son utilisation ? Autant de questions auxquelles le présent article, rédigé par l’équipe de defendstesdroits.fr, apporte des réponses précises, actualisées et étayées par les textes en vigueur.

Sommaire

  1. Définition légale de l’astreinte
  2. Conditions de mise en place de l’astreinte
  3. Salariés concernés par les astreintes
  4. Peut-on refuser une astreinte ?
  5. Libertés individuelles et astreinte
  6. Délai de prévenance et organisation
  7. Respect des temps de repos pendant l’astreinte
  8. Rémunération de l’astreinte et du temps d’intervention
  9. Suppression ou modification des astreintes

Définition de l’astreinte selon le Code du travail

L’astreinte est définie à l’article L3121-9 du Code du travail comme une période durant laquelle le salarié, sans être sur son lieu de travail ni à la disposition permanente et immédiate de son employeur, doit néanmoins rester en mesure d’intervenir pour accomplir une tâche dans l’intérêt de l’entreprise, sur demande de l’employeur.

Autrement dit, l’astreinte suppose un état de disponibilité partielle : le salarié conserve une liberté de mouvement, mais cette liberté est limitée par l’obligation d’être joignable et de pouvoir se rendre rapidement sur un lieu d’intervention en cas de sollicitation. Cela implique une contrainte pesant sur sa vie personnelle, sans pour autant constituer du travail effectif tant qu’aucune intervention n’a lieu.

Ce régime juridique distingue donc clairement l’astreinte du temps de travail effectif, qui, lui, est défini à l’article L3121-1 comme le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l’employeur, se conforme à ses directives et ne peut vaquer librement à ses occupations personnelles.

Cependant, dès que le salarié est effectivement sollicité pendant une période d’astreinte, le temps consacré à l’intervention devient du temps de travail effectif à part entière. Ce temps est dès lors rémunéré sur la base du taux horaire normal, éventuellement majoré selon les conditions d’exécution (travail de nuit, dimanche, jour férié, etc.), et est pris en compte dans le calcul des durées maximales de travail et des repos légaux.

Ainsi, l’astreinte constitue un dispositif hybride : la période elle-même donne lieu à une compensation spécifique (sous forme de repos ou d’indemnité), tandis que le temps d’intervention active est pleinement assimilé à du travail classique, avec les droits afférents.

Ce mécanisme permet à l’employeur de garantir la continuité ou la réactivité du service, tout en préservant un équilibre entre les contraintes professionnelles imposées au salarié et ses droits fondamentaux à la vie privée et au repos.

Mise en place de l’astreinte : cadre conventionnel et décision unilatérale

Par voie d’accord collectif

La mise en place des astreintes suppose en principe l’intervention d’un accord collectif d’entreprise, d’établissement ou de branche (article L3121-11 du Code du travail). Cet accord doit fixer notamment :

  • les activités concernées par les astreintes ;
  • les modalités d’organisation (programmation, délai de prévenance) ;
  • la nature des compensations (financières ou repos).

À défaut d’accord : pouvoir de l’employeur

En l’absence d’accord collectif, l’employeur peut instaurer des astreintes par une décision unilatérale, mais uniquement après consultation du CSE s’il existe, et information de l’agent de contrôle de l’inspection du travail (article L3121-12 du Code du travail).

Qui peut être soumis à une astreinte ?

Sont concernés :

  • les salariés du secteur privé, quel que soit leur statut (cadre, non-cadre, temps plein ou partiel) ;
  • certains agents de la fonction publique, soumis à des régimes spécifiques de permanence (cf. décret n°2005-542 du 19 mai 2005 pour la fonction publique territoriale).

L’insertion d’une clause d’astreinte dans le contrat de travail n’est pas suffisante à elle seule : l'existence d’un cadre collectif est déterminante pour en garantir la légalité.

Le salarié peut-il refuser une astreinte ?

Astreinte prévue par accord collectif

Dans ce cas, le refus du salarié constitue une faute, même si son contrat de travail n’en faisait pas mention initialement. Un tel refus peut justifier une sanction disciplinaire, y compris un licenciement pour faute simple (cf. Cass. soc., 13 février 2002, n°00-40387).

Astreinte décidée unilatéralement par l’employeur

Le salarié peut refuser de se soumettre à l’astreinte si celle-ci :

  • n’est pas encadrée par un accord collectif ;
  • n’a pas été précédée d’une consultation du CSE et d’une information de l’inspection du travail (cf. Cass. soc., 23 mai 2017, n°15-24507).

Libertés individuelles et astreinte

L’article L1121-1 du Code du travail impose à l’employeur de respecter les droits fondamentaux du salarié, y compris en période d’astreinte. Ainsi, les obligations imposées au salarié doivent être :

  • justifiées par la nature de la tâche à accomplir ;
  • proportionnées au but recherché.

Le salarié n’a pas l’obligation de rester à son domicile, mais doit pouvoir intervenir dans un délai raisonnable, ce qui restreint sa liberté de déplacement.

Programmation et délai de prévenance

Prévision par accord collectif

L’accord doit préciser le délai de prévenance applicable (article L3121-11). Il s’agit généralement d’un délai raisonnable, permettant au salarié d’anticiper.

En l'absence d’accord

La loi impose que le salarié soit informé au moins un jour franc à l’avance, sauf circonstances exceptionnelles. Le non-respect de ce délai peut invalider la période d’astreinte.

Durée de repos et compatibilité avec l’astreinte

Conformément à l’article L3121-10 du Code du travail, les périodes d’astreinte, hors temps d’intervention, sont prises en compte dans le calcul du repos quotidien et hebdomadaire. Cela garantit :

  • un repos quotidien minimum de 11 heures consécutives (article L3131-1) ;
  • un repos hebdomadaire minimum de 35 heures, sauf dérogation (article L3132-2).

L’objectif est de protéger la santé du salarié en limitant les atteintes à sa récupération physique et psychique.

Rémunération de l’astreinte

Distinction période d’astreinte / temps d’intervention

  • La période d’astreinte donne lieu à compensation (article L3121-9) sous forme de repos ou d’indemnité financière, selon les termes de l’accord collectif.
  • La durée d’intervention, quant à elle, est assimilée à du temps de travail effectif et rémunérée aux conditions habituelles, avec application des majorations légales en cas de travail de nuit, dominical ou jour férié.

En l’absence d’accord collectif

L’employeur doit fixer la compensation après avis du CSE, et informer l’inspection du travail (article L3121-12). À défaut, toute compensation pourrait être contestée par le salarié.

Suppression de l’astreinte : quelles limites ?

Pouvoir unilatéral de l’employeur

La jurisprudence reconnaît à l’employeur la faculté de supprimer un régime d’astreinte, dès lors que cette suppression ne constitue pas une modification du contrat de travail (cf. Cass. soc., 10 octobre 2012, n°11-10454).

Conséquence sur la rémunération

Si la suppression de l’astreinte entraîne une diminution de la rémunération, elle peut constituer une modification du contrat, qui requiert l’accord exprès du salarié (cf. Cass. soc., 19 juin 2008, n°07-41282). À défaut, la suppression peut être considérée comme illicite.

Conclusion

L’astreinte est un instrument d’organisation du travail qui permet aux employeurs d’assurer la continuité ou la réactivité de leurs services, tout en respectant un cadre juridique strict protecteur des droits des salariés. Loin d’être une simple tolérance ou une pratique informelle, elle obéit à une construction légale et conventionnelle rigoureuse, articulée autour des articles L3121-9 à L3121-12 du Code du travail.

Pour être licite, l’astreinte doit être précédée d’un accord collectif ou, à défaut, mise en place après consultation des représentants du personnel et information de l’inspection du travail. Elle suppose aussi un délai de prévenance raisonnable, une compensation effective, et un respect du droit au repos. Toute dérive ou approximation en matière de gestion des astreintes peut non seulement entacher la légalité de l’organisation du travail, mais aussi exposer l’entreprise à des litiges prud’homaux coûteux.

Le droit du travail n’exclut pas la souplesse, mais impose qu’elle soit équitablement répartie entre les impératifs de l’entreprise et les droits fondamentaux des salariés. C’est dans cet esprit que defendstesdroits.fr accompagne les employeurs et les salariés dans la compréhension et l’application concrète de ce dispositif, afin d’éviter les contentieux et de garantir une pratique conforme à la législation sociale.

FAQ :

1. Quelle est la différence entre une astreinte et du temps de travail effectif ?

La distinction est essentielle sur le plan juridique comme en matière de rémunération. Selon l’article L3121-9 du Code du travail, l’astreinte est une période durant laquelle le salarié n’est pas à la disposition immédiate de son employeur, mais doit pouvoir intervenir si nécessaire. Il n’est donc ni physiquement présent sur le lieu de travail, ni en situation d’exécution directe d’un travail.

Le temps de travail effectif, défini à l’article L3121-1, se caractérise par l’exécution directe d’une tâche sous l’autorité de l’employeur. Il ouvre droit à rémunération complète, majorations éventuelles, et comptabilisation dans les durées maximales de travail.

En revanche, pendant une astreinte, seul le temps d’intervention est considéré comme du temps de travail effectif. Le reste de la période donne droit à une contrepartie spécifique, prévue par accord collectif ou fixée par l’employeur dans les conditions légales.

2. Un salarié peut-il légalement refuser une astreinte ?

Le refus d’astreinte n’est pas toujours possible, tout dépend de son fondement juridique.

  • Si l’astreinte est prévue par une convention collective ou un accord d’entreprise, elle s’impose au salarié même si son contrat de travail n’en fait pas mention. En cas de refus injustifié, l’employeur peut engager une procédure disciplinaire, pouvant aller jusqu’au licenciement pour faute simple (Cass. soc., 13 février 2002, n°00-40387).
  • Si l’astreinte a été décidée unilatéralement par l’employeur, elle n’est valable que si celui-ci a :
    • consulté le comité social et économique (CSE), s’il existe ;
    • informé l’inspection du travail (article L3121-12).

À défaut, le salarié est en droit de refuser l’astreinte sans que cela constitue une faute. Le droit du travail impose ici un encadrement protecteur pour éviter les abus.

3. Comment l’astreinte est-elle rémunérée et compensée ?

La rémunération de l’astreinte repose sur une double logique : compensation de la disponibilité et paiement de l’intervention.

  • Période d’astreinte (sans intervention) : elle donne droit à une compensation financière ou à un repos équivalent, selon ce que prévoit la convention collective ou, à défaut, une décision de l’employeur conforme aux exigences légales. Le montant est souvent forfaitaire, fixé par jour ou demi-journée d’astreinte.
  • Temps d’intervention effectif : ce temps est intégré au temps de travail et rémunéré au taux horaire habituel, avec application des majorations prévues pour les heures supplémentaires, le travail de nuit (majoration de 25 % à 100 % selon les accords), les dimanches et jours fériés.

En cas de non-respect de ces règles, le salarié peut saisir le conseil de prud’hommes pour obtenir un rappel de salaire ou des dommages et intérêts.

4. Un employeur peut-il supprimer une astreinte sans modifier le contrat de travail ?

Oui, sous conditions strictes. Contrairement à une idée reçue, il n’existe aucun "droit à l’astreinte" pour le salarié. L’employeur peut donc réorganiser ou supprimer les périodes d’astreinte, à condition que cette décision :

  • n’entraîne pas une modification substantielle du contrat de travail (ex : baisse de rémunération) ;
  • ne repose pas sur un motif discriminatoire ou abusif.

La jurisprudence (Cass. soc., 19 juin 2008, n°07-41282) considère qu’en cas de perte de rémunération liée à la suppression d’une astreinte, l’accord du salarié est obligatoire, car cela équivaut à modifier la contrepartie financière de son contrat.

Ainsi, si l’astreinte représente une part significative du salaire, sa suppression sans accord du salarié est susceptible d’être contestée juridiquement.

5. Quelles sont les règles applicables au repos du salarié pendant une astreinte ?

Le respect du repos minimum légal constitue une obligation impérative pour l’employeur, y compris lorsque le salarié est en astreinte.

  • Repos quotidien : au moins 11 heures consécutives entre deux journées de travail (article L3131-1 du Code du travail).
  • Repos hebdomadaire : au moins 35 heures consécutives, incluant un jour de repos (article L3132-2).

Lorsque l’astreinte donne lieu à une intervention, celle-ci interrompt potentiellement le repos. Dans ce cas, l’employeur doit reprogrammer le repos minimum dans un délai raisonnable, sauf dérogation spécifique prévue par accord collectif.

Un non-respect du repos peut constituer une infraction pénale (amende prévue par l’article R3124-2) et engager la responsabilité de l’employeur sur le terrain du harcèlement moral, du risque psychosocial, voire de la faute inexcusable en cas d’accident lié à la fatigue.

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