Travail

Travail en prison : cotisations, retraite, indemnités… ce qui change au 1er juillet 2025

Estelle Marant
Collaboratrice
Partager

Décrets du 30 juin 2025 : Nouvelle ère pour les droits sociaux des personnes détenues

Le 1er juillet 2025, deux décrets majeurs sont entrés en vigueur, modifiant en profondeur le régime social applicable aux personnes détenues exerçant une activité professionnelle ou suivant une formation en prison. Pris en application de l’ordonnance n° 2022-1336 du 19 octobre 2022, les décrets n° 2025-600 et 2025-601 participent à une transformation historique du droit pénitentiaire social.

Sommaire

  1. Décrets du 30 juin 2025 : une réforme historique
  2. Du travail pénal au contrat d’emploi pénitentiaire
  3. Nouvelle base de cotisations sociales en prison
  4. Affiliation au régime général de sécurité sociale
  5. Indemnités journalières et encadrement de la maladie
  6. Invalidité, rachat de cotisations et retraite
  7. Réparation des accidents du travail en détention
  8. Gestion administrative et modernisation des textes
  9. Conséquences pour administrations, détenus et caisses sociales
  10. Une réforme ancrée dans le cadre européen et constitutionnel
  11. Conclusion

Le cadre juridique rénové : une application différenciée selon l’activité en détention

Harmonisation avec le droit du travail et de la sécurité sociale

Longtemps considéré comme un “travail hors droit”, le travail en prison évolue vers un statut hybride. Le décret n° 2025-600 consacre le contrat d’emploi pénitentiaire, nouvelle catégorie juridique introduite par l’ordonnance de 2022. Ce contrat remplace l’ancienne logique du “travail pénal” dans un souci de modernisation terminologique et de cohérence avec le droit commun.

L’objectif du texte est double :

  • Assujettir les personnes détenues aux régimes de sécurité sociale dans un cadre légal clair,
  • Garantir une forme d’égalité de traitement social dans les limites spécifiques de la détention.

Cotisations sociales en prison : nouvelle base, nouveaux droits

Un assujettissement progressif et ciblé

Le décret n° 2025-601 précise les modalités techniques d’affiliation des personnes détenues au régime général de sécurité sociale, lorsqu’elles travaillent sous contrat pénitentiaire ou suivent une formation professionnelle agréée.

Sont désormais dues :

  • Des cotisations vieillesse sur une base forfaitaire, réformée pour plus de clarté (article R. 382-132 et suivants CSS),
  • Des cotisations AT-MP (accidents du travail et maladies professionnelles),
  • Des contributions à la retraite complémentaire.

L’assiette forfaitaire de cotisation est fixée à 50 fois la valeur horaire du SMIC par mois (article D. 382-35 CSS), et les taux sont calqués sur ceux du droit commun (notamment pour les assurances maladie, maternité, invalidité, décès…).

Une avancée vers l’universalité des droits

Il s’agit là d’un tournant : la personne détenue devient un travailleur cotisant au régime général, même si les modalités sont adaptées au contexte pénitentiaire. Ce mouvement d’intégration sociale progressive vise à lutter contre la précarisation des parcours de détention et à préparer la réinsertion.

Indemnités journalières et maladie en prison : un encadrement spécifique

Un dispositif adapté aux réalités carcérales

Autre évolution majeure introduite par les deux décrets : la clarification du régime d’indemnisation maladie pour les détenus.

Désormais, les indemnités journalières sont :

  • Versées à compter du quatrième jour d’incapacité de travail (art. R. 382-136),
  • Calculées de manière double : soit selon le droit commun (articles L. 161-8 ou L. 311-5), soit en fonction de la rémunération perçue dans le cadre du contrat d’emploi pénitentiaire (article R. 323-4 CSS),
  • Encadrées pour ne pas dépasser le gain journalier net perçu.

Cette réforme inclut également des dispositions spécifiques aux grossesses à risque et aux stagiaires de la formation professionnelle, qui pourront bénéficier d’une protection minimale en cas d’incapacité temporaire.

Invalidité, rachat de cotisations et retraite : des droits à long terme

Le rachat des cotisations pour les périodes antérieures à 1977

L’un des volets les plus symboliques du décret n° 2025-601 concerne la possibilité offerte aux personnes ayant travaillé en détention avant 1977 de racheter des trimestres de cotisation vieillesse (articles R. 382-138 à R. 382-145 CSS).

Deux conditions alternatives sont fixées :

  • Demander le rachat dans un délai de 10 ans après l’affiliation à l’assurance obligatoire,
  • Ou dans les 10 ans suivant la libération.

Ce rachat est payable de manière échelonnée, dans les conditions du régime général, et donne lieu à une révision des prestations déjà liquidées le cas échéant. La mesure vise à réparer une inégalité historique, longtemps dénoncée par les associations de défense des droits des personnes incarcérées.

Des pensions d’invalidité mieux encadrées

Le texte introduit aussi un dispositif de constatation et de maintien des pensions d’invalidité pendant la détention, assurant une continuité dans la prise en charge, y compris en cas de rechute. Les compétences sont partagées entre les caisses d’affiliation antérieures et la CPAM du département de détention (article R. 382-137).

Réparation des accidents du travail en détention : clarification attendue

Le décret n° 2025-600 met fin à de nombreuses incertitudes concernant la réparation des accidents survenus en prison, qu’il s’agisse d’une activité de travail ou d’une formation professionnelle.

Double régime selon la date de survenance

Deux cas sont distingués :

  1. Si l’accident ou la maladie survient avant l’incarcération, la caisse de sécurité sociale compétente reste en charge des prestations (article D. 412-38).
  2. Si l’accident a lieu pendant la détention, c’est la CPAM du lieu de détention qui assure les prestations et l’indemnisation.

Le texte prévoit en outre les modalités de suivi médical, de remise de la feuille d’accident en cas de libération ou d’aménagement de peine, ainsi que le rôle du médecin de l’unité sanitaire de l’établissement.

Une gestion administrative revue dans une logique de normalisation

Modernisation des libellés et unification des textes

La réforme apporte aussi une série de modifications terminologiques et techniques :

  • Remplacement du terme “travail pénal” par contrat d’emploi pénitentiaire dans de nombreux articles du Code de la sécurité sociale,
  • Harmonisation des références au médecin des unités sanitaires dans les certificats médicaux et les constatations d’arrêt,
  • Simplification des procédures en cas de rechute ou de consolidation médicale après libération.

Ces éléments permettent de rapprocher le traitement social des personnes détenues des autres assurés sociaux, sans nier la spécificité du cadre carcéral.

Impacts pratiques pour les administrations, les détenus et les organismes sociaux

Ces décrets impliquent des ajustements importants pour l’administration pénitentiaire, les établissements de santé en milieu fermé, mais aussi pour les organismes de sécurité sociale.

Les CPAM, les caisses vieillesse, la CNAM, la CNAV et les caisses de retraite complémentaire devront adapter leurs systèmes de traitement, notamment pour les affiliés détenus et les demandes de rachat de cotisation.

Pour les détenus eux-mêmes, la réforme ouvre la voie à une reconnaissance accrue de leurs droits sociaux, dans une logique de réinsertion et de réparation, bien qu’aucune égalité stricte avec les travailleurs libres ne soit encore proclamée.

Une réforme qui s’inscrit dans une dynamique européenne et constitutionnelle

Cette évolution du statut social des personnes détenues s’inscrit dans les principes de dignité humaine, de droit à la santé et au travail consacrés par :

  • La Constitution française (Préambule de 1946),
  • La Convention européenne des droits de l’homme (article 3 et 8),
  • La Charte sociale européenne et les recommandations du Comité européen pour la prévention de la torture (CPT).

Elle reflète également les exigences de la jurisprudence constitutionnelle française et des rapports du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, qui dénoncent depuis des années les lacunes du régime antérieur.

Conclusion : une avancée notable, mais encore incomplète

Les décrets du 30 juin 2025 constituent une avancée structurante du droit social en détention. Ils marquent une étape vers la reconnaissance du détenu comme sujet de droit social à part entière, même si des écarts subsistent avec le droit commun.

À terme, ce socle juridique rénové pourrait servir de tremplin vers une véritable égalité d’accès aux droits sociaux fondamentaux, condition indispensable à une réinsertion effective et durable.

FAQ

1️⃣ Quelle est la principale nouveauté apportée par les décrets du 30 juin 2025 pour les personnes détenues ?
Les décrets n° 2025-600 et 2025-601 instaurent une véritable modernisation du statut social des détenus exerçant une activité professionnelle ou suivant une formation en prison. La grande nouveauté est l’introduction du contrat d’emploi pénitentiaire, qui remplace l’ancien “travail pénal”. Cela rapproche le régime carcéral du droit du travail commun, tout en l’adaptant aux contraintes de la détention. Pour la première fois, le travail en prison devient assujetti au régime général de sécurité sociale, permettant aux détenus de cotiser pour leur retraite, leurs droits maladie et accident du travail.

2️⃣ Les personnes détenues cotisent-elles désormais comme des salariés ordinaires ?
Pas totalement, mais le système s’en rapproche :

  • Les détenus sous contrat d’emploi pénitentiaire cotisent à la vieillesse, aux accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP) et à la retraite complémentaire, sur une assiette forfaitaire équivalente à 50 fois le SMIC horaire par mois.
  • Les taux de cotisation sont alignés sur ceux du droit commun, mais adaptés à la spécificité de la détention.
  • Cette affiliation leur ouvre des droits à la retraite et à une couverture sociale de base, alors qu’auparavant ils n’étaient souvent pas affiliés ou mal couverts.

3️⃣ Qu’en est-il de l’indemnisation en cas de maladie ou d’accident du travail en détention ?
C’est une avancée majeure :

  • Les indemnités journalières maladie sont versées à partir du quatrième jour d’arrêt, comme pour un salarié classique, mais dans un cadre adapté.
  • Elles sont calculées soit selon les règles du régime général, soit sur la base de la rémunération versée dans le cadre du contrat pénitentiaire.
  • Les accidents du travail survenant en détention sont désormais clairement pris en charge par la CPAM du lieu de détention, ce qui met fin aux incertitudes et renforce la protection en cas de sinistre ou de rechute après libération.

4️⃣ Que prévoit la réforme pour les personnes détenues ayant travaillé avant 1977 ?
C’est un aspect réparateur inédit : le décret autorise le rachat de trimestres de cotisation vieillesse pour les périodes de travail en prison antérieures à 1977, période pour laquelle les détenus n’avaient souvent aucun droit ouvert.

  • Le rachat peut être demandé dans les 10 ans suivant l’affiliation à l’assurance obligatoire ou après la libération.
  • Cette mesure permet de reconstituer une carrière incomplète et de bénéficier d’une révision de pension. Elle répond à une revendication historique des associations de défense des droits des détenus.

5️⃣ Quels impacts concrets pour la réinsertion et le droit au respect de la dignité ?
En élargissant l’accès aux droits sociaux fondamentaux, cette réforme s’inscrit dans une dynamique constitutionnelle et européenne qui vise à garantir la dignité des personnes incarcérées.

  • Elle facilite la réinsertion en donnant une continuité aux droits à la retraite, à la santé et à la réparation en cas d’accident.
  • Les administrations pénitentiaires, CPAM, CNAV et caisses de retraite doivent adapter leurs pratiques pour gérer ces nouveaux dossiers.
  • Bien qu’il reste des écarts avec les droits des travailleurs libres, ces décrets posent un socle minimal de protection sociale, reconnu par la Constitution et la Convention européenne des droits de l’homme.

Articles Récents

Besoin d'aide ?

Nos équipes sont là pour vous guider !

Thank you! Your submission has been received!
Oops! Something went wrong while submitting the form.