Depuis la loi Pinel du 18 juin 2014, le droit de préférence du locataire commercial constitue un acquis majeur dans la protection du preneur en cas de vente du local loué. Ce droit, désormais codifié à l’article L. 145-46-1 du Code de commerce, oblige le bailleur à informer son locataire de son intention de vendre et à lui proposer l’acquisition en priorité, sous peine de nullité de la vente.
Toutefois, ce mécanisme protecteur connaît des limites légales importantes, souvent ignorées des preneurs. L’arrêt rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation le 19 juin 2025 (n° 23-17.604) vient rappeler que ce droit de préférence ne s’applique pas en cas de cession globale d’un immeuble, même si le local loué commercialement en constitue la seule unité commerciale.
Cet article revient sur les contours de ce droit, son champ d’application, l’exception de la cession globale, et les enseignements à tirer de la jurisprudence récente.
Le texte de l’article L. 145-46-1, alinéa 1er du Code de commerce prévoit que :
« Lorsque le propriétaire d’un local à usage commercial ou artisanal envisage de vendre celui-ci, il en informe le locataire par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou remise en main propre contre récépissé ou émargement. Cette notification vaut offre de vente au locataire. »
Ce droit de préférence concerne :
Le locataire dispose alors d’un délai d’un mois pour se prononcer. En cas d’acceptation, la vente est régularisée aux conditions initialement proposées. Si le bailleur vend à un tiers sans avoir respecté ce droit, la vente peut être annulée sur action du preneur.
Ce droit vise à garantir la stabilité de l’exploitation commerciale, souvent dépendante de la localisation du local, et à éviter les effets de précarisation du bail liés à des changements de propriétaire.
Toutefois, le dernier alinéa de l’article L. 145-46-1 vient restreindre la portée du droit de préférence :
« Les dispositions du présent article ne sont pas applicables à la cession globale d’un immeuble comprenant des locaux commerciaux. »
Ce texte exclut clairement les situations dans lesquelles le propriétaire vend l’ensemble d’un immeuble, y compris lorsqu’un ou plusieurs locaux commerciaux y sont loués.
La finalité de cette exception est double :
Autrement dit, le droit de préférence ne vise que les ventes unitaires d’un local commercial, et non les ventes d’un immeuble entier incluant ce local, même si ce dernier constitue l’unique usage commercial des lieux.
Dans l’affaire jugée par la Cour de cassation le 19 juin 2025, une SCI propriétaire d’un ensemble immobilier vendait celui-ci dans sa globalité. Une partie des locaux était exploitée sous bail commercial pour des activités variées : bars, discothèque, snack, location de salles.
Le preneur commercial entendait faire valoir son droit de préférence, considérant qu’il aurait dû être informé de la vente et qu’il aurait dû pouvoir se porter acquéreur aux conditions proposées au tiers acquéreur.
La Cour de cassation rejette cette prétention, en s’appuyant sur deux constats essentiels :
Ainsi, peu importe que le local commercial soit le seul de l’immeuble, dès lors qu’il est intégré à une unité foncière plus large. Ce qui compte, ce n’est pas le nombre de baux, mais l’objet même de la vente : si celle-ci couvre plus que le local loué, le droit de préférence est écarté.
L’arrêt du 19 juin 2025 s’inscrit dans une jurisprudence constante de la Cour de cassation qui a, à plusieurs reprises, précisé la portée du droit de préférence du locataire commercial.
Déjà, dans des décisions antérieures (notamment Cass. 3e civ., 28 juin 2018, n° 17-18.158), la Haute juridiction avait jugé que ce droit ne s’applique pas lorsque la vente porte sur plus qu’un seul local, c’est-à-dire sur un ensemble immobilier indivisible, même si le local commercial y est prépondérant.
L'arrêt de 2025 pousse plus loin cette logique : l’exception au droit de préférence s’applique même lorsque le local commercial est le seul local à usage commercial dans l’immeuble. Autrement dit, ce n’est pas la nature commerciale du bien qui est déterminante, mais l’unité de la vente : dès lors que le bien cédé forme un tout, et que le bail porte sur une simple partie de ce tout, le mécanisme de protection du preneur ne joue pas.
La cohérence de la jurisprudence repose ici sur un équilibre entre :
Cette décision offre des enseignements concrets, tant pour les propriétaires-bailleurs que pour les locataires commerçants.
La question d’un éventuel élargissement du droit de préférence légal a déjà été soulevée, notamment par certaines organisations de commerçants et parlementaires, au motif qu’il n’est plus adapté aux pratiques immobilières contemporaines, où les ventes globales sont devenues la norme (portefeuilles d’actifs, immeubles mixtes, cessions de foncières…).
Toutefois, toute extension de ce droit poserait des difficultés structurelles :
Dans ce contexte, la jurisprudence reste fidèle à une ligne de compromis : elle protège fermement le preneur dans les cas d’atteinte directe à son droit d’usage, mais elle refuse d’étendre cette protection au-delà du périmètre du bail, même lorsque la situation semble désavantageuse pour le locataire.
L’arrêt rendu par la Cour de cassation le 19 juin 2025 (n° 23-17.604) apporte une clarification utile : le droit de préférence du locataire commercial ne s’applique pas lorsqu’il est locataire d’un local qui ne constitue qu’une partie de l’immeuble vendu, et ce même si le local est le seul espace commercial de l’ensemble.
Il s’agit d’une lecture strictement textuelle et finaliste de l’article L. 145-46-1 du Code de commerce, qui maintient un équilibre entre la protection des locataires et les droits des propriétaires. Pour les bailleurs, c’est une confirmation de leur liberté en matière de cessions globales. Pour les preneurs, c’est un appel à la vigilance : le droit de préférence n’est pas un réflexe automatique, mais un outil juridique conditionné à un contexte bien précis.
À défaut de réforme législative, la sécurité juridique reste du côté de la prévision contractuelle, et non de l’interprétation extensive du texte légal.
1. Le locataire commercial a-t-il toujours un droit de préférence en cas de vente ?
Non. Le locataire ne bénéficie du droit de préférence que si la vente porte exclusivement sur le local qu’il loue. En cas de vente globale de l’immeuble, ce droit ne s’applique pas.
2. Que signifie “vente globale d’un immeuble” ?
Il s’agit d’une vente qui porte sur l’ensemble d’un immeuble ou d’un ensemble immobilier, y compris s’il ne contient qu’un seul local commercial. Dans ce cas, le preneur n’a aucun droit prioritaire à l’achat.
3. Ce droit peut-il être contourné par une cession en bloc artificielle ?
Non. Une vente déguisée ou morcelée artificiellement peut être contestée. Les juridictions apprécient la réalité économique de la vente pour éviter les fraudes au droit de préférence.
4. Le bail peut-il prévoir un droit de priorité conventionnel ?
Oui. Les parties peuvent convenir contractuellement d’un droit de priorité plus étendu que le droit légal, notamment en cas de vente globale. Ce mécanisme est fortement recommandé pour les preneurs.
5. Que peut faire un locataire s’il découvre la vente après coup ?
Si le droit de préférence légal s’appliquait et qu’il n’a pas été respecté, le locataire peut agir en nullité de la vente dans un délai de deux ans. En revanche, s’il s’agit d’une vente globale, aucun recours n’est ouvert sur ce fondement.