Civil

Vote des détenus : pourquoi la correspondance est désormais interdite aux municipales et législatives

Estelle Marant
Collaboratrice
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Droit de vote des détenus : la fin du vote par correspondance aux municipales et législatives

Le droit de vote des personnes détenues vient de connaître un tournant important. Avec la loi n° 2025-658 du 18 juillet 2025, publiée au Journal officiel le 19 juillet 2025, le vote par correspondance n’est plus autorisé pour les scrutins locaux, à savoir les élections municipales et législatives. Une décision qui soulève autant de préoccupations que de justifications juridiques et politiques.

Un cadre législatif révisé : ce que dit la loi de 2025

La nouvelle loi acte une restriction ciblée du droit de vote par correspondance. Désormais, cette modalité de vote n’est autorisée que pour :

  • Les élections européennes (circonscription nationale unique)
  • L’élection présidentielle
  • Les référendums nationaux

Pour tous les autres scrutins, et notamment les élections municipales et législatives, le vote par correspondance est interdit pour les personnes détenues.

Les alternatives restent toutefois en place : les détenus pourront voter par procuration ou à l’urne en cas de permission de sortir, sous réserve d’une décision favorable du juge de l’application des peines.

Pourquoi cette réforme ?

La réforme s’inscrit dans une volonté de préserver la sincérité du scrutin et le lien civique local :

  • Préserver le lien avec la commune d’inscription : pour les élections locales, l’intention est de faire primer le rattachement réel et affectif au territoire, et non la seule possibilité logistique de voter.
  • Éviter la concentration artificielle de votes : jusqu’à présent, les détenus votant par correspondance étaient inscrits dans des bureaux de vote spécifiques, notamment ceux des chefs-lieux de département, pouvant générer une distorsion dans la représentation électorale locale, particulièrement dans les communes comptant peu d’électeurs.

Ce choix s’appuie sur l’article L. 12 du Code électoral, qui fixe les modalités d’inscription des personnes incarcérées. Lorsqu’un détenu ne peut prouver une résidence de six mois dans une commune, il est inscrit sur les listes électorales du chef-lieu du département de la prison. Résultat : des milliers de votes étaient concentrés artificiellement dans des communes n’ayant aucun lien avec les électeurs concernés.

Quels droits restent garantis aux personnes détenues ?

Il est essentiel de rappeler que les personnes incarcérées ne perdent pas automatiquement leur droit de vote. La perte du droit de vote ne résulte que d’une condamnation expresse à une peine complémentaire d’interdiction des droits civiques.

La loi de juillet 2025 n’interdit pas de voter, elle encadre uniquement une modalité particulière du vote : le vote par correspondance.

Les autres formes de participation restent ouvertes :

  • Le vote par procuration : une modalité classique qui permet au détenu de désigner une personne de confiance inscrite sur les listes électorales pour voter à sa place.
  • Le vote en personne à l’urne : accessible à condition d’obtenir une permission de sortir, ce qui reste exceptionnel et soumis à l’autorisation du juge de l’application des peines.

Les enjeux démocratiques en tension

Derrière cette réforme, se dessine une tension classique entre l’impératif démocratique d’accessibilité au vote et la nécessité de préserver la sincérité du scrutin et l’équité territoriale.

Pour les associations de défense des droits des détenus, cette restriction constitue une régression symbolique dans le processus de réinsertion sociale et de reconnaissance civique. Elles soulignent que le droit de vote est un instrument de citoyenneté, et que le vote par correspondance constituait un levier pour garantir l’exercice effectif de ce droit en milieu carcéral, où les permissions de sortie sont rares et les conditions de procuration parfois difficiles à réunir.

À l’inverse, les partisans de la réforme y voient un rééquilibrage légitime, visant à éviter les effets de concentration électorale dans des zones où les détenus ne résident pas réellement, ce qui poserait un problème de représentativité locale.

Quels recours possibles contre cette limitation ?

La loi a été adoptée et publiée. Toutefois, certains juristes évoquent la possibilité d’un contentieux constitutionnel ou européen, notamment au regard de l’article 3 du Protocole n° 1 de la Convention européenne des droits de l’homme, garantissant le droit à des élections libres.

Pour être recevable, un recours devrait démontrer que la restriction opérée :

  • n’est pas proportionnée à l’objectif poursuivi
  • n’offre pas de modalités alternatives suffisamment effectives
  • introduit une discrimination indirecte ou une inégalité d’accès au suffrage

Mais la jurisprudence actuelle, notamment celle de la Cour européenne des droits de l’homme, laisse une marge d’appréciation importante aux États en matière d’aménagement du droit de vote pour les personnes incarcérées, tant que celui-ci n’est pas totalement supprimé.

Une réforme à surveiller à l’épreuve des prochains scrutins

Le test de réalité de cette réforme aura lieu lors des prochaines élections municipales et législatives. On pourra alors mesurer :

  • Le taux réel de participation des détenus par procuration
  • La fréquence des permissions de sortie accordées à cet effet
  • L’impact de la suppression du vote par correspondance sur la participation globale des personnes incarcérées

Il est probable que cette évolution législative alimente le débat sur la citoyenneté carcérale, entre inclusion républicaine et impératifs de sincérité électorale.

En résumé

  • Le vote par correspondance est supprimé pour les détenus lors des élections municipales et législatives (loi n° 2025-658).
  • Il reste autorisé pour les élections européennes, présidentielles et les référendums.
  • Les détenus peuvent toujours voter par procuration ou à l’urne via permission de sortir.
  • La réforme vise à limiter les concentrations artificielles de votes dans les chefs-lieux départementaux.
  • Des recours sont envisageables, mais la jurisprudence européenne reconnaît une large marge d’appréciation aux États.

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