La grève est un droit constitutionnellement reconnu en France, consacré par le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et par l’article L2511-1 du Code du travail. Elle permet aux salariés d’interrompre collectivement et temporairement leur activité professionnelle afin de faire valoir des revendications d’ordre professionnel. Pour l’employeur, un mouvement de grève entraîne des enjeux organisationnels, économiques et parfois juridiques majeurs. Il doit composer avec un taux d’absentéisme soudain, assurer la continuité de son activité et veiller au respect des libertés individuelles de ses salariés.
En pratique, le droit de grève est encadré par une jurisprudence abondante, faute de dispositions précises pour le secteur privé. L’exercice de ce droit implique un équilibre : d’une part, la protection des salariés dans l’expression collective de leurs revendications ; d’autre part, la préservation des intérêts légitimes de l’entreprise. Ainsi, la gestion d’un mouvement de grève nécessite pour l’employeur de maîtriser ses droits et obligations : modalités d’organisation, effets sur le contrat de travail, rôle des représentants du personnel, limites en matière de remplacement, mais aussi recours possibles pour maintenir l’activité.
Pour qu’un arrêt de travail soit qualifié de grève, deux conditions doivent être réunies (Cass. soc., 16 mai 1989, n° 85-43359) :
Certains mouvements sont exclus du champ du droit de grève : la grève perlée (ralentissement volontaire du travail), la grève dite « du zèle » ou les arrêts isolés sans revendication professionnelle. Ces formes d’action constituent des abus et peuvent justifier des sanctions disciplinaires.
Contrairement au secteur public, dans le secteur privé, l’exercice du droit de grève ne nécessite pas de préavis (Cass. soc., 22 octobre 2014, n° 13-19858). Les salariés ne sont pas tenus d’informer l’employeur à l’avance, mais celui-ci doit avoir connaissance des revendications au moment du déclenchement du mouvement.
En cas de conflit collectif, l’article L2521-2 du Code du travail prévoit que les parties peuvent engager des négociations si les conventions collectives applicables le prévoient ou si l’une des parties en prend l’initiative. À défaut, une commission de conciliation peut être saisie.
Si le droit de grève autorise les salariés à se regrouper, il ne leur permet pas de disposer des locaux de l’entreprise. Une occupation abusive entraînant un blocage ou une entrave à la liberté du travail constitue un trouble manifestement illicite justifiant l’expulsion des grévistes (Cass. soc., 21 juin 1984, n° 82-16596).
En revanche, une occupation symbolique et temporaire peut être tolérée si elle ne perturbe pas l’activité des non-grévistes (Cass. soc., 26 février 1992, n° 90-40760).
L’exercice du droit de grève entraîne la suspension du contrat de travail (Cass. soc., 8 juillet 1992, n° 89-42563). Concrètement :
Toutefois, la retenue de salaire doit être strictement proportionnelle à la durée de l’arrêt (Cass. soc., 19 mai 1998, n° 97-41900). Elle ne peut être forfaitaire, sous peine d’être qualifiée de sanction pécuniaire, prohibée par l’article L1331-2 du Code du travail.
Le licenciement d’un salarié pour avoir fait grève est en principe nul, sauf en cas de faute lourde commise pendant le mouvement.
Contrairement au contrat de travail, le mandat des représentants du personnel (membres du CSE, délégués syndicaux) n’est pas suspendu pendant une grève. Ils conservent leurs prérogatives, notamment en matière d’information et de consultation, et peuvent utiliser leurs heures de délégation.
Ils jouent un rôle central dans le dialogue social et peuvent faciliter la recherche d’une solution négociée. L’employeur doit leur garantir une libre circulation dans l’entreprise, sauf abus, faute de quoi il s’expose à un délit d’entrave.
L’employeur demeure tenu de fournir du travail aux salariés non-grévistes et de les rémunérer (Cass. soc., 11 mars 1992, n° 90-42817). Toutefois, il peut rencontrer des difficultés pratiques liées à la paralysie de la production.
La fermeture temporaire est en principe illicite. Toutefois, elle peut être considérée comme légale dans des cas exceptionnels assimilés à un cas de force majeure, par exemple lorsqu’un blocage imprévu empêche toute activité (Cass. soc., 18 janvier 1979, n° 77-40982).
Depuis 2024, plusieurs propositions de loi ont été déposées au Parlement afin de restreindre l’exercice du droit de grève dans certains secteurs considérés comme stratégiques, en particulier les transports ferroviaires et aériens. Ces initiatives législatives ont pour objectif affiché de garantir la continuité du service public et de limiter l’impact des mobilisations sur la vie quotidienne des usagers.
Ces textes prévoient notamment d’interdire les mouvements sociaux pendant des périodes sensibles, telles que :
L’idée défendue par certains parlementaires est que le droit de grève, bien que protégé par le Préambule de la Constitution de 1946, pourrait être encadré davantage dans des secteurs où son exercice entraîne une paralysie économique ou une atteinte directe aux usagers.
📌 Exemple : une grève de contrôleurs aériens un week-end de départ en vacances peut bloquer des centaines de vols et toucher des millions de voyageurs, ce qui alimente régulièrement les débats sur l’instauration d’un service minimum renforcé.
Si certaines de ces propositions ont été examinées au Sénat ou renvoyées en commission à l’Assemblée nationale, aucune n’a, à ce jour, abouti à une réforme en vigueur. La principale difficulté réside dans la conciliation entre deux principes fondamentaux :
Ainsi, ces propositions suscitent un vif débat juridique et politique, opposant ceux qui estiment que la liberté des salariés doit primer, et ceux qui plaident pour un encadrement plus strict afin de protéger l’intérêt général.
La gestion d’une grève en entreprise représente un exercice d’équilibriste pour tout employeur. D’un côté, le droit de grève est un droit fondamental, garanti par le Préambule de la Constitution de 1946 et le Code du travail. Il assure aux salariés la possibilité de défendre collectivement leurs intérêts professionnels. De l’autre, l’employeur doit veiller à la continuité de l’activité, à la sécurité des personnes et des biens, tout en respectant scrupuleusement les libertés individuelles.
La jurisprudence a progressivement dessiné un cadre clair : si l’exercice normal du droit de grève ne peut en aucun cas justifier un licenciement, l’abus ou la faute lourde commise à cette occasion peut être sanctionnée. De même, l’employeur ne peut pas recourir librement à des remplacements externes (intérim, CDD) ou imposer un lock-out illégal. En revanche, il dispose de leviers internes : réaffectation temporaire des salariés non-grévistes, recours à la sous-traitance ou encore négociations avec les représentants du personnel.
Dans ce contexte, l’attitude de l’employeur joue un rôle déterminant. Une gestion autoritaire ou répressive accroît le risque de tensions sociales, tandis qu’une approche fondée sur le dialogue social, l’écoute des revendications et la recherche de solutions négociées permet bien souvent de limiter la durée et l’impact du mouvement. Les représentants du personnel, dont le mandat se poursuit même en période de grève, constituent à ce titre des acteurs incontournables de la médiation.
Les débats parlementaires récents, qui tendent à envisager une restriction du droit de grève dans certains secteurs stratégiques comme les transports, rappellent que la conciliation entre liberté syndicale et intérêt général demeure une question sensible. Les entreprises doivent donc anticiper les conflits collectifs en mettant en place des dispositifs de prévention (concertation, médiation, clauses conventionnelles de conciliation) afin d’éviter que la grève ne devienne l’unique mode d’expression des tensions sociales.
En définitive, gérer une grève ne revient pas seulement à appliquer des règles juridiques : c’est aussi un enjeu de management social et de responsabilité juridique. La capacité de l’employeur à conjuguer respect du droit, maintien de l’activité et climat social apaisé conditionnera la sortie du conflit et l’avenir des relations collectives au sein de l’entreprise.
1. Un salarié peut-il faire grève seul dans une entreprise ?
Le droit de grève, reconnu par le Préambule de la Constitution de 1946 et encadré par la jurisprudence, suppose une cessation collective et concertée du travail. Cela signifie qu’au moins deux salariés doivent arrêter simultanément leur activité pour que le mouvement soit qualifié de grève (Cass. soc., 16 mai 1989, n° 85-43359).
Cependant, une exception existe : un salarié peut cesser seul le travail lorsqu’il répond à un appel à la grève national ou interprofessionnel lancé par un syndicat représentatif. Dans ce cas, même isolé dans son entreprise, il bénéficie de la protection juridique attachée au droit de grève.
📌 Exemple : un salarié d’une PME qui suit un appel de la CGT à une grève nationale des retraites est considéré comme gréviste, même si ses collègues ne participent pas.
2. L’employeur peut-il sanctionner un salarié gréviste ?
L’article L2511-1 du Code du travail protège le salarié gréviste : aucune sanction disciplinaire ou rupture du contrat de travail ne peut être prononcée pour le seul exercice normal du droit de grève. Un licenciement prononcé dans ce contexte serait nul de plein droit (Cass. soc., 23 novembre 2022, n° 21-19722).
Toutefois, la protection n’est pas absolue. L’employeur peut sanctionner un salarié gréviste en cas de faute lourde :
⚠ Exemple : des salariés qui, sous couvert de grève, empêchent les camions de quitter un entrepôt logistique et bloquent toute l’activité peuvent être licenciés pour faute lourde.
3. Les jours de grève sont-ils rémunérés ?
La participation à une grève entraîne la suspension du contrat de travail (Cass. soc., 8 juillet 1992, n° 89-42563). Par conséquent, l’employeur n’est pas tenu de verser le salaire correspondant aux heures ou jours non travaillés.
La retenue doit être strictement proportionnelle à la durée de l’arrêt de travail (Cass. soc., 19 mai 1998, n° 97-41900). Une retenue forfaitaire ou discriminatoire constituerait une sanction pécuniaire prohibée (Cass. soc., 7 janvier 1988, n° 84-42448).
📌 Exemple : un salarié payé 2 500 € bruts mensuels pour 151,67 heures par mois fait une grève de 7 heures. L’employeur peut retenir 2 500 / 151,67 = 16,48 € par heure, soit 115,36 € bruts.
👉 Exception : si la grève est déclenchée en raison de manquements graves et répétés de l’employeur (par exemple, salaires impayés ou conditions de sécurité gravement compromises), les juges peuvent décider du maintien de la rémunération.
4. L’employeur peut-il remplacer les grévistes pour maintenir son activité ?
La loi interdit tout recours à des CDD ou à des intérimaires pour remplacer des grévistes (articles L1242-6 et L1251-10 du Code du travail). Cette interdiction vise à préserver l’efficacité du droit de grève et à empêcher l’employeur de contourner la contestation.
En revanche, plusieurs solutions légales existent :
📌 Exemple : un supermarché touché par une grève de ses caissiers peut demander temporairement à des salariés du rayon alimentaire de renforcer les caisses, mais il ne peut pas embaucher en urgence des CDD pour les remplacer.
5. Le représentant du personnel peut-il continuer à exercer son mandat pendant une grève ?
Oui. Contrairement au contrat de travail, qui est suspendu pendant la grève, le mandat représentatif (membre du CSE, délégué syndical…) n’est pas suspendu. Les représentants doivent continuer à exercer leurs missions, notamment en matière de dialogue social, de sécurité et de conditions de travail.
Ils peuvent utiliser leurs heures de délégation même pendant la grève et circuler dans l’entreprise pour rencontrer les salariés, sauf abus manifeste. L’employeur qui entraverait leur action s’exposerait au délit d’entrave (article L2317-1 du Code du travail).
📌 Exemple : un représentant du personnel gréviste peut tout de même participer à une réunion extraordinaire du CSE convoquée pour gérer l’impact de la grève, car son mandat continue indépendamment de la suspension de son contrat.