Travail

Présomption de démission : conséquences après un abandon de poste

Estelle Marant
Collaboratrice
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Absence injustifiée : démission ou licenciement, quelles différences ?

Longtemps considéré comme un moyen « détourné » pour quitter son emploi tout en obtenant ensuite des allocations chômage, l’abandon de poste a profondément évolué sur le plan juridique. La pratique consistait pour certains salariés à ne plus se présenter au travail, à provoquer un licenciement pour faute grave puis à solliciter l’allocation d’aide au retour à l’emploi (ARE). Cette situation créait une inégalité manifeste avec les salariés ayant choisi de démissionner, lesquels, conformément à l’article L5422-1 du Code du travail, ne pouvaient prétendre au chômage, sauf cas de démissions dites légitimes.

Afin d’encadrer cette pratique et de réduire le nombre de demandeurs d’emploi indemnisés, le législateur est intervenu en instituant une présomption de démission applicable en cas d’abandon de poste. Depuis cette réforme, l’absence injustifiée et prolongée peut entraîner, sous conditions, une requalification automatique de la rupture en démission, privant alors le salarié de toute indemnisation chômage.

L’objectif de cet article publié sur defendstesdroits.fr est de détailler les règles désormais applicables, d’en préciser les effets sur les droits aux allocations, et d’exposer les recours possibles pour les salariés contestataires. Cette analyse s’appuie sur les textes légaux, la jurisprudence pertinente ainsi que les mécanismes mis en place par France Travail.

Sommaire

  1. Introduction
  2. Qu’est-ce qu’un abandon de poste ?
  3. Abandon de poste et indemnisation chômage
  4. Mise en demeure et délais légaux
  5. Recours du salarié contestataire
  6. Conclusion

Qu’est-ce qu’un abandon de poste ?

Définition juridique

L’abandon de poste se caractérise par une absence non justifiée, non autorisée, volontaire et prolongée du salarié. Celui-ci quitte son poste sans raison légitime, sans prévenir son employeur et sans fournir d’éléments d’explication. Cette situation constitue un manquement à l’obligation d’exécution de bonne foi du contrat de travail, obligation consacrée par l’article L1222-1 du Code du travail.

Toute absence doit être justifiée et légitime. À défaut, l’employeur est fondé à réagir, soit en engageant une procédure disciplinaire, soit en mettant en œuvre la procédure de présomption de démission prévue par les articles L1237-1-1 et R1237-13 du Code du travail.

Abandon de poste et allocations chômage : quels droits ?

La présomption de démission prive-t-elle du chômage ?

Oui. Lorsque l’employeur choisit d’appliquer la présomption de démission, la rupture du contrat est automatiquement analysée comme une démission volontaire, ce qui exclut l’ouverture des droits au chômage, conformément à l’article L5422-1 du Code du travail.

Ainsi, un salarié présumé démissionnaire ne peut pas percevoir l’ARE, puisque la perte d’emploi ne résulte pas d’un événement involontaire.

À retenir : la mise en œuvre de la présomption appartient entièrement à l’employeur. Celui-ci peut choisir de l’appliquer… ou non.

L’abandon de poste peut-il ouvrir droit au chômage dans certains cas ?

Oui. Si l’employeur n’applique pas la présomption de démission, il conserve la possibilité de procéder à un licenciement pour faute grave. Ce licenciement constitue une perte involontaire d’emploi ouvrant droit à l’ARE, sous réserve de remplir les conditions d’affiliation.

La jurisprudence (notamment Cass. soc., 22 septembre 2015, n°14-11563) rappelle que l’absence injustifiée peut constituer une faute grave. Lorsque cette faute donne lieu à un licenciement, celui-ci ouvre droit à indemnisation, comme tout licenciement fondé.

Quand l’abandon de poste est-il assimilé à une démission ?

La mise en demeure préalable : une obligation légale

L’employeur doit adresser au salarié une mise en demeure, par lettre recommandée ou remise en main propre contre décharge, lui demandant :

  • de justifier son absence,
  • et de reprendre son poste.

Cette formalité est indispensable. À défaut, la présomption ne peut pas jouer.

La validité de cette mise en demeure a été confirmée par la jurisprudence administrative, qui exige une information claire sur les conséquences de l’absence de réponse.

Le délai de 15 jours : moment où la présomption devient effective

Le salarié dispose d’un délai minimal de 15 jours calendaires pour régulariser sa situation. Si, à l’issue de ce délai, il n’a :

  • ni repris son poste,
  • ni fourni de motif légitime,

il est alors présumé démissionnaire.

Les motifs légitimes pouvant empêcher la présomption

Le législateur reconnaît plusieurs situations de nature à faire obstacle à la présomption :

  • raison médicale avérée,
  • exercice du droit de retrait,
  • exercice du droit de grève.

Ces motifs doivent être invoqués dans le délai imparti et justifiés par des pièces probantes.

Pourquoi les employeurs privilégient-ils la présomption de démission ?

Cette procédure présente plusieurs avantages pour l’employeur :

  • suppression de l’obligation d’organiser un entretien préalable comme en matière disciplinaire ;
  • procédure plus rapide, car le délai est fixé par l’employeur (dans la limite du raisonnable) ;
  • moindre risque de requalification en cas de contentieux, sauf irrégularité manifeste.

C’est pourquoi la procédure est aujourd’hui largement utilisée dans les entreprises, notamment dans les secteurs où le phénomène d’abandon de poste est fréquent.

Comment contester une présomption de démission ?

Saisir le Conseil de prud’hommes

Le salarié peut contester la nature de la rupture devant le Conseil de prud’hommes (CPH). Il doit démontrer que son absence reposait sur un motif légitime, ou que la procédure n’a pas été respectée par l’employeur.

Le bureau de jugement statue dans un délai d’un mois, conformément à l’article L1237-1-1 du Code du travail, même si, en pratique, ce délai peut s’avérer plus long.

Conséquences pour le salarié durant la contestation

Pendant cette période :

  • aucun salaire n’est versé,
  • aucune allocation chômage n’est perçue,
  • aucune indemnité compensatrice n’est due.

Le salarié se trouve donc dans une situation particulièrement précaire jusqu’à la décision du CPH.

Faire reconnaître une prise d’acte de la rupture

Indépendamment de la présomption, le salarié peut invoquer une prise d’acte si l’employeur a commis des manquements graves rendant impossible la poursuite du contrat (absence de paiement des salaires, harcèlement, etc.).

Si la prise d’acte est justifiée, elle produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, ouvrant droit :

  • aux indemnités légales,
  • à une indemnisation par France Travail,
  • à des dommages et intérêts.

Cette procédure exige cependant des preuves solides.

Conclusion

L’évolution récente du régime juridique de l’abandon de poste marque une transformation majeure du droit du travail contemporain. En instaurant une présomption de démission applicable aux salariés qui ne justifient pas leur absence dans les délais, le législateur a profondément modifié l’équilibre entre les droits du salarié et les prérogatives de l’employeur. Cette présomption, désormais codifiée dans les articles L1237-1-1 et R1237-13 du Code du travail, constitue un mécanisme autonome, distinct de la logique disciplinaire traditionnelle, qui impose au salarié une réactivité et une vigilance accrues en cas de mise en demeure.

L’impact de cette réforme sur l’accès à l’allocation d’aide au retour à l’emploi (ARE) est considérable : la requalification automatique de la rupture en démission prive, par principe, le salarié de toute indemnisation, conformément à l’article L5422-1 du Code du travail. À travers cette évolution, le droit positif vise à limiter les situations dans lesquelles l’abandon de poste servait de vecteur indirect pour obtenir le chômage. L’objectif, pour les pouvoirs publics, est de renforcer la cohérence du système d’indemnisation des demandeurs d’emploi en distinguant clairement les ruptures volontaires des ruptures imposées.

Cependant, cette réforme ne doit pas être interprétée comme un mécanisme rigide. Le salarié conserve la possibilité de contester la présomption devant le Conseil de prud’hommes, lequel statue sur la nature exacte de la rupture, apprécie la bonne foi des parties et vérifie l’existence éventuelle d’un motif légitime. Le contrôle juridictionnel demeure une garantie essentielle pour prévenir les abus, notamment lorsque la mise en demeure a été irrégulièrement rédigée, lorsque l’employeur n’a pas respecté les exigences procédurales, ou lorsque l’absence du salarié repose sur des circonstances légales telles que le droit de retrait ou le droit de grève.

Cette nouvelle architecture juridique impose également aux employeurs une grande rigueur procédurale : l’envoi d’une mise en demeure claire, la fixation d’un délai raisonnable, la prise en compte des justificatifs éventuels et la cohérence de la motivation sont désormais des éléments déterminants. Une présomption mal appliquée peut être annulée par le juge, ce qui transforme la rupture en licenciement injustifié, avec toutes les conséquences indemnitaires qui en découlent.

Dans ce contexte, les salariés doivent adopter une approche éclairée. L’abandon de poste n’est plus un moyen tactique permettant d’accéder aux allocations chômage. Au contraire, il expose à une privation totale d’indemnisation, à une rupture réputée volontaire et, potentiellement, à une perte de droits substantiels. L’anticipation, la communication et l’analyse juridique sont indispensables pour éviter toute situation préjudiciable.

Les employeurs, de leur côté, doivent maîtriser les contours de la nouvelle procédure : si la présomption est un outil rapide et efficace pour gérer certaines absences injustifiées, elle requiert un strict respect des exigences légales et une documentation précise des démarches accomplies. La moindre irrégularité peut inverser les effets de la procédure, notamment en cas de contestation prud’homale.

Dans l’ensemble, la réforme redéfinit l’équilibre des responsabilités au sein de la relation de travail. Elle renforce l’idée que l’exécution du contrat repose sur la bonne foi, sur le dialogue et sur la transparence. Elle rappelle également que le droit du travail, loin de se réduire à des mécanismes automatiques, demeure un droit protecteur fondé sur l’examen au cas par cas. Le rôle de France Travail, du Conseil de prud’hommes et des textes légaux offre ainsi un cadre complet, dans lequel les justiciables doivent évoluer avec prudence et connaissance.

FAQ

1. L’abandon de poste entraîne-t-il toujours une présomption de démission et une perte du chômage ?

Non, la présomption de démission n’est pas automatique. Elle ne peut s’appliquer que si l’employeur accomplit des formalités strictement définies par les articles L1237-1-1 et R1237-13 du Code du travail. Pour que l’abandon de poste soit juridiquement assimilé à une démission, l’employeur doit :

  • adresser au salarié une mise en demeure écrite, par lettre recommandée ou remise en main propre contre décharge ;
  • exiger que le salarié justifie son absence ;
  • fixer un délai d’au moins 15 jours calendaires pour permettre au salarié de reprendre son poste.

Si le salarié répond, fournit un justificatif ou invoque un motif légitime, la présomption ne peut être activée.
Si l’employeur omet la mise en demeure, la rupture ne peut jamais être requalifiée en démission et relève alors d’une procédure disciplinaire classique.

2. Dans quels cas un abandon de poste peut-il malgré tout donner droit aux allocations chômage ?

Un abandon de poste peut ouvrir droit à l’allocation d’aide au retour à l’emploi (ARE) si l’employeur choisit de ne pas appliquer la présomption de démission et engage à la place un licenciement pour faute grave. Dans cette hypothèse :

  • la rupture est considérée comme une perte involontaire d’emploi,
  • conformément aux principes posés par l’article L5422-1 du Code du travail,
  • et France Travail peut accorder le chômage si le salarié remplit les conditions d’affiliation.

Le droit au chômage dépend donc du choix procédural de l’employeur.
Il s'agit d’un élément capital du dispositif : deux salariés ayant abandonné leur poste peuvent connaître des issues différentes selon que leur employeur invoque ou non la présomption.

3. Quels motifs légitimes permettent au salarié d’éviter la présomption de démission ?

Le Code du travail reconnaît plusieurs motifs légitimes de nature à empêcher la présomption. Ces motifs doivent être justifiés, réels, et invoqués avant la fin du délai fixé dans la mise en demeure.

Les motifs légitimes reconnus sont notamment :

  • Un motif médical, attesté par un professionnel de santé (arrêt de travail, incapacité temporaire).
  • L’exercice du droit de retrait, lorsque le salarié a été exposé à un danger grave et imminent.
  • L’exercice du droit de grève, droit constitutionnellement garanti.
  • Des circonstances exceptionnelles indépendantes de la volonté du salarié (par exemple, hospitalisation imprévisible, situation d’urgence familiale avérée).

Si le motif est recevable, la procédure de présomption doit être abandonnée, et l’employeur doit envisager une autre voie (entretien disciplinaire, avertissement, licenciement pour faute…).

4. Comment le salarié peut-il contester une présomption de démission devant le Conseil de prud’hommes ?

Le salarié peut saisir directement le Conseil de prud’hommes (CPH) pour contester la nature de la rupture. Le CPH doit statuer dans un délai d’un mois, conformément au texte législatif applicable.

Pour gagner son action, le salarié doit démontrer :

  • que l’employeur n’a pas respecté la procédure
    (absence de mise en demeure, délai insuffisant, courriel informel insuffisant, demande imprécise, absence de mention des conséquences),
  • ou qu’il existait un motif légitime d’absence, et que ce motif a été régulièrement notifié,
  • ou que la rupture doit être requalifiée en licenciement injustifié du fait d’un vice de procédure ou d’un manquement manifeste de l’employeur.

Le Conseil de prud’hommes peut alors :

  • annuler la présomption,
  • requalifier la rupture en licenciement sans cause réelle et sérieuse,
  • ouvrir droit à l’ARE,
  • accorder des dommages-intérêts,
  • et ordonner le paiement des indemnités de rupture.

Durant cette période, le salarié n’a aucun revenu : ni salaire, ni indemnités de rupture, ni ARE. Cette situation peut durer plus longtemps si les délais judiciaires sont supérieurs au délai théorique.

5. La prise d’acte est-elle possible après un abandon de poste et permet-elle d’obtenir le chômage ?

Oui, la prise d’acte constitue un recours distinct lorsque l’employeur a commis un manquement grave rendant impossible la poursuite du contrat de travail.
Exemples de manquements reconnus par la jurisprudence :

  • non-paiement répété des salaires,
  • harcèlement moral,
  • discrimination,
  • modification du contrat sans accord du salarié,
  • atteinte à la santé ou à la sécurité du salarié.

Si le CPH juge la prise d’acte justifiée, elle produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, ouvrant droit :

  • aux indemnités associées,
  • à une inscription à France Travail,
  • au versement de l’ARE (selon les conditions générales d'affiliation).

En revanche, si les faits reprochés ne sont pas suffisamment graves, la prise d’acte est requalifiée en démission, ce qui prive le salarié :

  • de toute indemnisation chômage,
  • des indemnités légales de licenciement,
  • de l’indemnité compensatrice de préavis.

La prise d'acte doit donc être envisagée avec précaution et idéalement accompagnée de preuves solides.

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