Longtemps considéré comme un moyen « détourné » pour quitter son emploi tout en obtenant ensuite des allocations chômage, l’abandon de poste a profondément évolué sur le plan juridique. La pratique consistait pour certains salariés à ne plus se présenter au travail, à provoquer un licenciement pour faute grave puis à solliciter l’allocation d’aide au retour à l’emploi (ARE). Cette situation créait une inégalité manifeste avec les salariés ayant choisi de démissionner, lesquels, conformément à l’article L5422-1 du Code du travail, ne pouvaient prétendre au chômage, sauf cas de démissions dites légitimes.
Afin d’encadrer cette pratique et de réduire le nombre de demandeurs d’emploi indemnisés, le législateur est intervenu en instituant une présomption de démission applicable en cas d’abandon de poste. Depuis cette réforme, l’absence injustifiée et prolongée peut entraîner, sous conditions, une requalification automatique de la rupture en démission, privant alors le salarié de toute indemnisation chômage.
L’objectif de cet article publié sur defendstesdroits.fr est de détailler les règles désormais applicables, d’en préciser les effets sur les droits aux allocations, et d’exposer les recours possibles pour les salariés contestataires. Cette analyse s’appuie sur les textes légaux, la jurisprudence pertinente ainsi que les mécanismes mis en place par France Travail.
L’abandon de poste se caractérise par une absence non justifiée, non autorisée, volontaire et prolongée du salarié. Celui-ci quitte son poste sans raison légitime, sans prévenir son employeur et sans fournir d’éléments d’explication. Cette situation constitue un manquement à l’obligation d’exécution de bonne foi du contrat de travail, obligation consacrée par l’article L1222-1 du Code du travail.
Toute absence doit être justifiée et légitime. À défaut, l’employeur est fondé à réagir, soit en engageant une procédure disciplinaire, soit en mettant en œuvre la procédure de présomption de démission prévue par les articles L1237-1-1 et R1237-13 du Code du travail.
Oui. Lorsque l’employeur choisit d’appliquer la présomption de démission, la rupture du contrat est automatiquement analysée comme une démission volontaire, ce qui exclut l’ouverture des droits au chômage, conformément à l’article L5422-1 du Code du travail.
Ainsi, un salarié présumé démissionnaire ne peut pas percevoir l’ARE, puisque la perte d’emploi ne résulte pas d’un événement involontaire.
À retenir : la mise en œuvre de la présomption appartient entièrement à l’employeur. Celui-ci peut choisir de l’appliquer… ou non.
Oui. Si l’employeur n’applique pas la présomption de démission, il conserve la possibilité de procéder à un licenciement pour faute grave. Ce licenciement constitue une perte involontaire d’emploi ouvrant droit à l’ARE, sous réserve de remplir les conditions d’affiliation.
La jurisprudence (notamment Cass. soc., 22 septembre 2015, n°14-11563) rappelle que l’absence injustifiée peut constituer une faute grave. Lorsque cette faute donne lieu à un licenciement, celui-ci ouvre droit à indemnisation, comme tout licenciement fondé.
L’employeur doit adresser au salarié une mise en demeure, par lettre recommandée ou remise en main propre contre décharge, lui demandant :
Cette formalité est indispensable. À défaut, la présomption ne peut pas jouer.
La validité de cette mise en demeure a été confirmée par la jurisprudence administrative, qui exige une information claire sur les conséquences de l’absence de réponse.
Le salarié dispose d’un délai minimal de 15 jours calendaires pour régulariser sa situation. Si, à l’issue de ce délai, il n’a :
il est alors présumé démissionnaire.
Le législateur reconnaît plusieurs situations de nature à faire obstacle à la présomption :
Ces motifs doivent être invoqués dans le délai imparti et justifiés par des pièces probantes.
Cette procédure présente plusieurs avantages pour l’employeur :
C’est pourquoi la procédure est aujourd’hui largement utilisée dans les entreprises, notamment dans les secteurs où le phénomène d’abandon de poste est fréquent.
Le salarié peut contester la nature de la rupture devant le Conseil de prud’hommes (CPH). Il doit démontrer que son absence reposait sur un motif légitime, ou que la procédure n’a pas été respectée par l’employeur.
Le bureau de jugement statue dans un délai d’un mois, conformément à l’article L1237-1-1 du Code du travail, même si, en pratique, ce délai peut s’avérer plus long.
Pendant cette période :
Le salarié se trouve donc dans une situation particulièrement précaire jusqu’à la décision du CPH.
Indépendamment de la présomption, le salarié peut invoquer une prise d’acte si l’employeur a commis des manquements graves rendant impossible la poursuite du contrat (absence de paiement des salaires, harcèlement, etc.).
Si la prise d’acte est justifiée, elle produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, ouvrant droit :
Cette procédure exige cependant des preuves solides.
L’évolution récente du régime juridique de l’abandon de poste marque une transformation majeure du droit du travail contemporain. En instaurant une présomption de démission applicable aux salariés qui ne justifient pas leur absence dans les délais, le législateur a profondément modifié l’équilibre entre les droits du salarié et les prérogatives de l’employeur. Cette présomption, désormais codifiée dans les articles L1237-1-1 et R1237-13 du Code du travail, constitue un mécanisme autonome, distinct de la logique disciplinaire traditionnelle, qui impose au salarié une réactivité et une vigilance accrues en cas de mise en demeure.
L’impact de cette réforme sur l’accès à l’allocation d’aide au retour à l’emploi (ARE) est considérable : la requalification automatique de la rupture en démission prive, par principe, le salarié de toute indemnisation, conformément à l’article L5422-1 du Code du travail. À travers cette évolution, le droit positif vise à limiter les situations dans lesquelles l’abandon de poste servait de vecteur indirect pour obtenir le chômage. L’objectif, pour les pouvoirs publics, est de renforcer la cohérence du système d’indemnisation des demandeurs d’emploi en distinguant clairement les ruptures volontaires des ruptures imposées.
Cependant, cette réforme ne doit pas être interprétée comme un mécanisme rigide. Le salarié conserve la possibilité de contester la présomption devant le Conseil de prud’hommes, lequel statue sur la nature exacte de la rupture, apprécie la bonne foi des parties et vérifie l’existence éventuelle d’un motif légitime. Le contrôle juridictionnel demeure une garantie essentielle pour prévenir les abus, notamment lorsque la mise en demeure a été irrégulièrement rédigée, lorsque l’employeur n’a pas respecté les exigences procédurales, ou lorsque l’absence du salarié repose sur des circonstances légales telles que le droit de retrait ou le droit de grève.
Cette nouvelle architecture juridique impose également aux employeurs une grande rigueur procédurale : l’envoi d’une mise en demeure claire, la fixation d’un délai raisonnable, la prise en compte des justificatifs éventuels et la cohérence de la motivation sont désormais des éléments déterminants. Une présomption mal appliquée peut être annulée par le juge, ce qui transforme la rupture en licenciement injustifié, avec toutes les conséquences indemnitaires qui en découlent.
Dans ce contexte, les salariés doivent adopter une approche éclairée. L’abandon de poste n’est plus un moyen tactique permettant d’accéder aux allocations chômage. Au contraire, il expose à une privation totale d’indemnisation, à une rupture réputée volontaire et, potentiellement, à une perte de droits substantiels. L’anticipation, la communication et l’analyse juridique sont indispensables pour éviter toute situation préjudiciable.
Les employeurs, de leur côté, doivent maîtriser les contours de la nouvelle procédure : si la présomption est un outil rapide et efficace pour gérer certaines absences injustifiées, elle requiert un strict respect des exigences légales et une documentation précise des démarches accomplies. La moindre irrégularité peut inverser les effets de la procédure, notamment en cas de contestation prud’homale.
Dans l’ensemble, la réforme redéfinit l’équilibre des responsabilités au sein de la relation de travail. Elle renforce l’idée que l’exécution du contrat repose sur la bonne foi, sur le dialogue et sur la transparence. Elle rappelle également que le droit du travail, loin de se réduire à des mécanismes automatiques, demeure un droit protecteur fondé sur l’examen au cas par cas. Le rôle de France Travail, du Conseil de prud’hommes et des textes légaux offre ainsi un cadre complet, dans lequel les justiciables doivent évoluer avec prudence et connaissance.
Non, la présomption de démission n’est pas automatique. Elle ne peut s’appliquer que si l’employeur accomplit des formalités strictement définies par les articles L1237-1-1 et R1237-13 du Code du travail. Pour que l’abandon de poste soit juridiquement assimilé à une démission, l’employeur doit :
Si le salarié répond, fournit un justificatif ou invoque un motif légitime, la présomption ne peut être activée.
Si l’employeur omet la mise en demeure, la rupture ne peut jamais être requalifiée en démission et relève alors d’une procédure disciplinaire classique.
Un abandon de poste peut ouvrir droit à l’allocation d’aide au retour à l’emploi (ARE) si l’employeur choisit de ne pas appliquer la présomption de démission et engage à la place un licenciement pour faute grave. Dans cette hypothèse :
Le droit au chômage dépend donc du choix procédural de l’employeur.
Il s'agit d’un élément capital du dispositif : deux salariés ayant abandonné leur poste peuvent connaître des issues différentes selon que leur employeur invoque ou non la présomption.
Le Code du travail reconnaît plusieurs motifs légitimes de nature à empêcher la présomption. Ces motifs doivent être justifiés, réels, et invoqués avant la fin du délai fixé dans la mise en demeure.
Les motifs légitimes reconnus sont notamment :
Si le motif est recevable, la procédure de présomption doit être abandonnée, et l’employeur doit envisager une autre voie (entretien disciplinaire, avertissement, licenciement pour faute…).
Le salarié peut saisir directement le Conseil de prud’hommes (CPH) pour contester la nature de la rupture. Le CPH doit statuer dans un délai d’un mois, conformément au texte législatif applicable.
Pour gagner son action, le salarié doit démontrer :
Le Conseil de prud’hommes peut alors :
Durant cette période, le salarié n’a aucun revenu : ni salaire, ni indemnités de rupture, ni ARE. Cette situation peut durer plus longtemps si les délais judiciaires sont supérieurs au délai théorique.
Oui, la prise d’acte constitue un recours distinct lorsque l’employeur a commis un manquement grave rendant impossible la poursuite du contrat de travail.
Exemples de manquements reconnus par la jurisprudence :
Si le CPH juge la prise d’acte justifiée, elle produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, ouvrant droit :
En revanche, si les faits reprochés ne sont pas suffisamment graves, la prise d’acte est requalifiée en démission, ce qui prive le salarié :
La prise d'acte doit donc être envisagée avec précaution et idéalement accompagnée de preuves solides.